Société

Le CRTC et Radio-Canada : À couteaux tirés

Pendant plusieurs mois, les commissaires et la présidente du CRTC ont ratissé le pays pour entendre les citoyens exprimer leurs opinions à propos du renouvellement des licences de Radio-Canada et de la CBC. Après mûre réflexion, le CRTC a émis un document dans lequel on retrouve diverses recommandations.

Pendant plusieurs mois, les commissaires et la présidente du CRTC (Conseil de radio et télédiffusion canadienne) ont ratissé le pays pour entendre les citoyens exprimer leurs opinions à propos du renouvellement des licences de Radio-Canada et de la CBC.

Après mûre réflexion, le CRTC a donc émis un document dans lequel on retrouve, entre autres, les recommandations suivantes:

– Le CRTC suggère d’intégrer des émissions provenant de partout au pays afin de refléter l’ensemble des collectivités du Canada. Il souhaite que Radio-Canada mise sur les talents régionaux et fasse plus de place, en heure de grande écoute, aux collectivités francophones hors Québec et ce, surtout sur le plan culturel.

Faisons le point une fois pour toutes sur la question des régions. La vérité, c’est qu’on s’en fout! Je ne parle pas uniquement du chauvinisme des grands centres comme Montréal et Toronto. C’est vrai, la grande majorité des Montréalais se fout comme de l’an quarante des manifestations culturelles du Manitoba francophone ou de l’île du Prince-Édouard, mais les régions entre elles ne s’entendent pas mieux. Les Acadiens n’en ont probablement rien à cirer de la troupe de théâtre francophone d’Edmonton.

Le CRTC insiste pour leur faire plus de place? Soit. Après tout, les francophones hors Québec payent eux aussi des impôts. Ils ont donc le droit de se voir à la télé. Mais qu’ils se voient localement. Le meilleur exemple, c’est la diffusion des journaux télévisés. Pendant que les Montréalais regardent Montréal ce soir, les Franco-Ontariens regardent Toronto ce soir. Ainsi, on pourrait très bien concevoir une grille-horaire qui permettrait aux Montréalais de regarder Christiane Charette en direct pendant que les francophones de Winnipeg regarderaient Mona Saint-Onge en direct. Mais pour que les stations régionales développent des émissions de qualité, il faudra que le gouvernement canadien sorte ses bidous. Ça coûte cher à entretenir, des stations régionales.

– Le CRTC a également recommandé à Radio-Canada de ne plus diffuser des films blockbusters en heure de grande écoute d’ici trois ans. Où est le drame? «C’est ça, le CRTC veut qu’on diffuse des navets», a déclaré la vice-présidente de la télé française, Michèle Fortin, à Nathalie Petrowski sur les ondes de CKAC, samedi matin.

Cette remarque en dit long sur la vision de la culture de madame Fortin. À ses yeux, un film qui n’a pas été vu par trente millions de personnes est automatiquement un navet. The Nutty Professor est donc un grand film, et le dernier Almodovar, une merde totale. Or, culture généraliste ne veut pas nécessairement dire nivellement par le bas. Le dernier film de John Sayles est bien plus à sa place sur les ondes de Radio-Canada que la comédie Plaxmol, non?

– Le CRTC encourage Radio-Canada à offrir au moins quatre heures de productions originales destinées aux moins de douze ans. Qui peut être contre la vertu? Il est temps que Radio-Canada reprenne son leadership dans le secteur jeunesse actuellement laissé entre les mains de réseaux un peu trop commerciaux comme Télétoon, par exemple.

– Enfin, le CRTC rappelle à Radio-Canada qu’elle devrait diffuser au moins 50 % de productions indépendantes en heure de grande écoute, ce qui ravira les producteurs.

Vous l’avez lu comme moi, le nouveau président de Radio-Canada, Robert Rabinovitch, n’est pas content. On peut le comprendre. Le pauvre est à peine nommé qu’il doit obéir à une liste d’épicerie qui ne correspond pas nécessairement à ses propres objectifs. Va-t-il écouter le CRTC (qui n’a pas le pouvoir d’obliger Radio-Canada à se soumettre à ses recommandations); ou va-t-il faire à sa tête? À quelles interminables discussions allons-nous encore assister?

Les conditions émises par le CRTC sont loin d’être parfaites, mais avouez qu’on est un peu tanné de voir les patrons de Radio-Canada monter sur leurs grands chevaux chaque fois qu’on les critique.

Quel changement si, pour une fois, la direction de la télé française parlait un peu moins de cotes d’écoute et de rentabilité, et un peu plus de créativité…

Méga-fusion
Pendant que le CRTC et Radio-Canada se cherchent des poux, les grands groupes médias américains fusionnent. Après CBS et Viacom, c’est au tour d’America Online et de Time Warner de convoler en justes noces. Montant de la transaction: trois cent cinquante milliards de dollars. Des échanges d’actions qui, selon plusieurs articles dans les journaux américains, auraient rendu certains employés du groupe Time Warner très, très riches, puisqu’un très grand nombre d’entre eux sont payés en actions.

L’impact de cette fusion sur l’univers des médias est spectaculaire (voir page 6).

En conférence de presse, les patrons des différentes compagnies concernées avaient un sourire fendu jusqu’aux oreilles. Ils ont même réussi à parler des «bienfaits sociaux» de la transaction sans éclater de rire. Tu parles!

Les analyses des conséquences de cette union ne font que commencer mais, comme l’a judicieusement fait remarquer le journaliste du magazine en ligne Salon, Scott Rosenberg, il y avait quelque chose d’étrange à voir le président de Time Warner répondre aux questions de SES employés, pendant que SA conférence de presse était retransmise sur SES réseaux de télé et qu’on pouvait lire SON communiqué sur SES sites Internet. «De plus, ajoute Rosenberg, comment expliquer qu’aucune information relative à cette fusion n’ait filtré avant son annonce? Est-ce que les journalistes de Fortune, Time ou Money ont été muselés? Est-ce le type de journalisme auquel on doit s’attendre à l’avenir?» Bonne question.

Coup d’oeil
– Le 9 avril prochain, CBS renouera avec un genre rarissime: la dramatique en direct. Le réseau américain s’est engagé à diffuser quatre heures produites par la compagnie de George Clooney, qui interprétera également le rôle principal. La première émission, Fail Safe, racontera l’histoire d’un avion de guerre américain qui se pose par erreur à Moscou. On se souvient qu’il y a deux ans, Clooney avait piloté la diffusion d’un épisode d’ER en direct.

– Dès vendredi prochain, l’édition française du superbe magazine National Geographic sera en vente dans les boutiques de presse spécialisée. En 1998, le magazine avait rompu avec la tradition en offrant sa publication en kiosque. La version française (qui adapte pour le marché francophone les meilleurs textes publiés en anglais, nous dit-on) est offerte en Europe depuis septembre dernier.