Oubliez la génération X: aujourd’hui, les jeunes forment la génération hold. Assis sur un strapontin alors que leurs aînés ont le cul calé dans une causeuse, ils essaient tant bien que mal de faire valoir leurs intérêts.
Le mois prochain, tous les intervenants, porte-parole et groupes de pression «jeunes» se donneront rendez-vous au fameux Sommet du Québec et de la jeunesse. Pour une fois qu’on leur donne le micro, les jeunes vont en profiter. La discussion sera animée. Mais selon François Rebello, président de Force Jeunesse, quatre dossiers méritent d’être défendus avec ardeur.
Quatre points chauds, qui feront sûrement des vagues.
1) La conciliation travail-famille
«Dis-moi où tu travailles, je te dirai dans quel contexte se passe ta grossesse.» Au Québec, la situation des femmes enceintes pourrait se résumer en ces termes.
«Présentement, l’assurance-emploi verse 55 % de leur salaire aux femmes qui prennent un congé de maternité. Mais encore faut-il être admissible au programme! note Christine Fréchette, membre de Force Jeunesse et de la Fédération des femmes du Québec. Si vous êtes travailleuse autonome ou à contrat, le gouvernement n’a rien prévu pour vous.» Selon Force Jeunesse, une caisse d’assurance parentale pourrait être mise sur pied, une solution que le gouvernement connaît d’ailleurs très bien pour l’avoir lui-même proposée. «Mais les négociations entre Ottawa et Québec sur le sujet sont suspendues depuis bientôt trois ans. Il faut croire que Québec n’est pas pressé de faire bouger les choses, même si la création d’une caisse d’assurance parentale était l’une des nombreuses promesses électorales que le PQ a faites aux jeunes.»
Le problème des garderies fait également partie des préoccupations de Force Jeunesse. «Au Québec, il y a environ 97 000 places dans les garderies, alors que pour répondre à la demande, cela en prendrait le double, explique Christine Fréchette. Les parents qui font une demande dans une garderie se font répondre qu’il y a une liste d’attente jusqu’en 2002. On a le taux de natalité le plus bas depuis les années trente, et on n’est même pas capable de le gérer! Et dire qu’on entend partout qu’il faudrait faire plus d’enfants.»
2) La formation des jeunes décrocheurs
Qu’advient-il des jeunes qui décrochent avant d’avoir obtenu un diplôme de secondaire V – au bas mot, un jeune sur trois? Entre les petits boulots ici et là, le loyer à payer et, éventuellement, la famille à nourrir, certains pourront manifester le désir de retourner sur les bancs d’école pour aspirer à une meilleure condition.
«Pourquoi alors ne pas offrir un revenu à ceux qui désirent retourner aux études? demande Martin Koskinen, vice-président de Force Jeunesse. Il faut trouver des moyens concrets pour permettre à ceux qui le veulent réintégrer le système de façon durable. Quand tu es analphabète et qu’on t’apprend à visser des boulons au lieu de te montrer à lire et à écrire, tu ne vas pas aller bien loin.» Aux jeunes bénéficiaires de l’aide sociale qui désireraient retourner aux études, Force Jeunesse propose de donner un revenu de deux cents dollars par semaine ainsi qu’une formation gratuite dans un domaine porteur d’avenir. «Les jeunes préfèrent souvent garder leur jobine au lieu de retourner aux études: il faut bien qu’ils paient leur loyer! La société doit leur offrir les moyens de briser ce cercle vicieux», estime Martin Koskinen.
Koskinen pense-t-il que le gouvernement va prêter une oreille attentive à ce projet? «C’est certain que le gouvernement va nous répondre qu’il manque d’argent pour financer un programme comme celui-là. Mais, d’après nous, offrir un revenu minimum aux jeunes qui veulent se réinsérer est une idée qui fait consensus à la fois dans les groupes de droite et de gauche: tôt ou tard, elle finira par s’imposer.»
3) Les jeunes non syndiqués
«La première chose à faire est d’améliorer les lois sur les normes du travail: elles sont complètement désuètes, explique Geneviève Shield, vice-présidente de Force Jeunesse. Par exemple, selon la loi, l’employeur n’est même pas tenu de donner une pause repas à ses employés! C’est ça, l’an 2000? L’employeur a également le droit de renvoyer un employé sans fournir de justification, si ce dernier a moins de trois années d’ancienneté. Il faut absolument ramener ça à un an: le PQ est d’ailleurs mal placé pour s’y opposer, puisque c’est une de ses promesses électorales.» Quant à la syndicalisation des employés précaires, Force Jeunesse déplore qu’elle soit quasi impossible à réaliser puisque l’employeur peut contester la demande d’accréditation, et ainsi faire traîner le dossier pendant des années.
Geneviève Shield pense-t-elle que le Sommet de la jeunesse sera fructueux? «Je crois que le gouvernement veut que les jeunes se lèvent et forment des groupes de pression pour contrecarrer le discours du patronat. En fait, le gouvernement va appuyer ceux qui sont le mieux préparés, et il n’en tient qu’à nous de faire le nécessaire pour que nos idées soient retenues. Mais, présentement, le gouvernement ne fait rien pour améliorer le sort des jeunes. Que ce soit sur le plan de la famille, de la politique ou du travail, les jeunes sont sur le hold, ils attendent…»
Force Jeunesse profitera aussi de l’occasion pour réfléchir sur une nouvelle idée: utiliser le pouvoir de consommation pour améliorer les conditions de travail des jeunes travailleurs non syndiqués. «Nous voulons instaurer un système de cotation comparable à celui des ISO, explique Karine Blondin, conseillère à l’exécutif. Les entreprises qui donnent de bonnes conditions de travail à leurs employés se verraient octroyer une bonne note. Les consommateurs pourraient donc orienter leurs choix en conséquence. Pour l’employeur, donner de bonnes conditions de travail aux jeunes serait alors perçu comme un outil de marketing, ce qui est autrement plus motivant pour lui.»
4) La fonction publique et les jeunes
«Actuellement, le gouvernement donne les mêmes responsabilités à un stagiaire qu’à un employé régulier, mais avec un salaire amputé de 40 %», explique Marc Dean, du regroupement des Stagiaires-nouveaux diplômés, un groupe qui représente les stagiaires du gouvernement qui se sentent lésés dans leur rémunération. Environ trente-six mille fonctionnaires ont pris leur retraite au cours des trois dernières années, et ces personnes n’ont pas été remplacées. «En faisant travailler les stagiaires comme des employés, le gouvernement fait une économie substantielle sur les salaires: au lieu de nous faire commencer au bas de l’échelle, il bricole de nouveaux échelons!»
Marc Dean croit-il que le Sommet de la jeunesse sera un exercice fructueux? «Je ne sais pas. Je me rends compte que les jeunes passent encore une fois en dernier. Maintenant que les infirmières, les professeurs et les fonctionnaires ont négocié, je me demande si le gouvernement ne va pas nous dire qu’il est cassé. Ce serait ironique, parce que c’est lui qui nous a demandé de nous organiser et de lui présenter des idées en vue du Sommet. J’espère que ce ne sera pas simplement un gros show qui accouchera d’un comité…»
Fin de semaine de réflexion de Force Jeunesse
Samedi 15 janvier: Université de Montréal, pavillon Jean-Brillant, local B-2305
Dimanche 16 janvier: maison de la culture Côte-des-Neiges
Info: 343-2425 ou www.forcejeunesse.qc.ca