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Les jeunes et le jeu : Un gratteux, avec ça?
Le jeu est la première forme de dépendance chez les jeunes Québécois: avant la drogue, l’alcool et la cigarette! Un groupe de recherche de l’Université McGill étudie d’ailleurs le phénomène. Grâce aux sous de… Loto-Québec.
Mahité Breton
Photo : Benoit Aquin
Joueurs compulsifs? On pense tout de suite à ceux qui hantent les casinos, les poches vides et le REER envolé en fumée. Pas aux adolescents qui flambent tout leur argent – et parfois même celui des autres, volé – dans les paris sportifs, les appareils de loterie vidéo ou les parties de cartes. Pourtant, les problèmes de jeu pathologiques affectent deux fois plus les jeunes que les adultes.
«Environ 6 % des adolescents ont des problèmes de jeu graves. C’est deux à quatre fois plus élevé que chez les adultes», dénonce Rina Gupta, psychologue et chercheuse à la Clinique pour le traitement et la recherche sur les problèmes de jeu chez les jeunes, de l’Université McGill. Cette disproportion s’expliquerait entre autres par le fait que les jeunes sont portés à chercher les sensations fortes, ce que procurent les jeux de hasard et d’argent.
Le phénomène demeure peu connu, beaucoup moins en tout cas que la toxicomanie. Pourtant, une étude de la Clinique de l’Université McGill révèle que, parmi les activités susceptibles d’induire une dépendance, comme consommer de l’alcool, des drogues ou fumer, c’est au jeu que les jeunes s’adonnent le plus souvent. Chez les jeunes de douze-treize ans, par exemple, 30 % disent participer à des jeux de hasard et d’argent au moins une fois par semaine, contre moins de 10 % pour l’alcool, la cigarette ou les drogues.
Dépendance encouragée
Bien sûr, tous ne sont pas des joueurs pathologiques pour autant. «Mais, comparée aux autres dépendances, celle-ci pourrait devenir plus grave, car le jeu est encouragé par la société. Même le gouvernement en fait la promotion. Ce n’est pas comme la cigarette, contre laquelle nous sommes sans cesse mis en garde, ou encore les drogues, qui sont illégales», s’inquiète la chercheuse de McGill.
Et ce n’est pas la récente loi, qui interdit la vente de billets de loterie aux mineurs, qui règle le problème. Les jeunes continuent sans problème à faire des paris sportifs illégaux. «Ils ont tous commencé avec Mise-O-Jeu, de Loto-Québec, mais réalisent qu’ils n’ont pas beaucoup de chances de gagner, et se tournent vers les paris illégaux et les bookmakers, qui ont envahi les écoles», déplore Rina Gupta. Ou encore ils font tinter leur monnaie dans les appareils de loterie vidéo. «Ils n’ont pas le droit (ces appareils ne sont installés que dans les bars, brasseries et autres lieux interdits aux mineurs), mais c’est tellement peu surveillé que les propriétaires ne voient aucune raison de les renvoyer.»
Les solutions sont ailleurs. «Il faut éduquer les parents, affirme la psychologue. Car c’est souvent à la maison que les jeunes commencent à jouer, les parents ne sachant pas que ça peut devenir un problème pour leurs enfants.» Les messages publicitaires sur le jeu doivent aussi changer, adopter le modèle de la publicité responsable, ajoute-t-elle en citant en exemple le slogan «La modération a bien meilleur goût». Et, finalement, il faut implanter des programmes de prévention dans les écoles.
C’est d’ailleurs ce que fait le Groupe Jeunesse depuis septembre 1998. Les enseignants du deuxième cycle du primaire et du premier cycle du secondaire reçoivent une trousse incluant un cahier d’activités pour l’élève, un dépliant destiné aux parents et un bulletin de liaison pour eux-mêmes. «Notre objectif n’est pas de changer les comportements, car ça nécessite beaucoup de temps. Nous voulons seulement sensibiliser les jeunes et leurs enseignants aux problèmes engendrés par le jeu excessif, informer les parents aussi, leur faire comprendre qu’aller avec son enfant de treize ans jouer aux machines n’est peut-être pas la meilleure façon de passer la soirée», explique la présidente de l’organisation spécialisée dans la communication jeunesse, Ginette Flynn.
Les millions de Loto-Québec
Cette initiative est subventionnée par la Direction de la recherche et prévention du jeu pathologique de Loto-Québec, dont les trois casinos, les 168 salles de bingo, les 11 571 points de vente de billets de loterie et les 15 314 machines à sous font pourtant le malheur des joueurs compulsifs. La société d’État s’est dotée de cette Direction en 1998, ayant constaté que l’expansion du jeu au Québec, avec l’arrivée des casinos et de la loterie vidéo, exposait davantage les citoyens aux problèmes de dépendance. N’aurait-il pas mieux valu freiner cette expansion? Chez Loto-Québec, la Direction de la recherche et prévention renvoie la balle au gouvernement. C’est une question politique, dit-on.
La Clinique de recherche et traitement de l’Université McGill est aussi financée par Loto-Québec. Certes, la société d’État n’exerce aucun contrôle sur les chercheurs. Ceux-ci proposent des projets et la Direction de la recherche et prévention de Loto-Québec accorde ou non le financement. «Évidemment, ils peuvent refuser un thème qui ne leur plaît pas, mais une fois accepté, ils ne peuvent en contrôler les résultats, que nous leur communiquons après publication», nuance Rina Gupta. Mais les chercheurs ne ressentent-ils pas un malaise à l’idée d’être subventionnés par l’organisme qui promeut l’activité à l’origine des maux qu’ils traitent? «Un peu, admet-elle, mais le problème est qu’il n’y a pas d’autres sources de financement, et il faut vraiment se pencher et traiter le problème des jeunes joueurs pathologiques.»
Ressources pour jeunes joueurs pathologiques:
Clinique pour le traitement et la recherche des problèmes de jeu chez les jeunes: (514) 398-1391
Ligne Jeu, aide et référence: (514) 527-0140 ou 1 800 461-0140
Pavillon Foster: (514) 486-1304