Les salles de spectacles de la région de la capitale s’accrochent tant bien que mal à un marché fort restreint et font preuve d’une adresse et d’une imagination surprenantes afin de survivre, ce qui les éloigne souvent de leur vocation première.
Ce pan de l’activité économique est tout simplement saturé et les propriétaires de salles se battent littéralement afin de se maintenir à flot. «C’est un marché extrêmement captif et ciblé. Le show business, c’est une jungle… À Québec, je pense qu’on a atteint notre plein potentiel», lance un agent de recherche du ministère de la Culture, Pierre Desaulniers. Il n’y aurait donc pas trop de salles, selon lui, mais il n’y a plus de place pour de nouveaux joueurs.
Et, peu importent les moyens mis en oeuvre afin de remplir les salles, force est de constater que la plupart, sinon toutes, ne font que vivoter. En fait, sans les subventions émanant des différents paliers de gouvernement, il n’y aurait presque pas de salles de spectacles dans la région. «C’est sûr que ce n’est pas évident pour quelqu’un qui n’est pas subventionné», indique un autre agent de recherche du ministère, André Lajoie.
Voilà donc la clé: les subventions. «Des spectacles, c’est de plus en plus difficile d’en produire, indique le directeur technique de L’Autre Caserne, Jean-François Girard. On doit être subventionné pour survivre.» Pour cette salle de 200 places sise dans le quartier Limoilou, c’est un impératif. L’immeuble est une propriété de la Ville et autant le fonctionnement que les emplois dépendent des fonds publics.
«Enlevez les subventions aux organismes qui en profitent et, demain matin, il n’y en a à peu près aucun qui va rester!» s’exclame, quant à lui, le propriétaire des Oiseaux de passage, Pierre Jobin. Pas de subsides gouvernementaux, pas de spectacles, donc. Les frais fixes inhérents au fonctionnement d’une salle sont trop importants.
Selon M. Jobin, la fragilité du marché découle en grande partie du fait que Québec est l’une des villes nord-américaines où le ratio de sièges de salles de spectacles par habitant est le plus important. Les salles se sont multipliées en quelques décennies, mais la population, la clientèle, n’a pas crû aussi rapidement.
Alain Shreiber, le dirigeant de la Maison de la Chanson dans le Petit-Champlain, salle de 230 places, en remet. La quantité de sièges offerts est considérable, mais le nombre de personnes qui assistent régulièrement aux représentations est minime. Sur un demi-million d’habitants, il évalue à seulement quelques milliers les assidus. Et, puisque l’humour et la musique populaire sont nettement plus prisés, il ne reste que des miettes pour les autres types de spectacles. «La chanson, ce n’est pas une priorité pour les gens», déplore-t-il.
Le directeur général de la salle Albert-Rousseau, Claude Paquet, abonde dans le même sens. Il reconnaît que l’offre de spectacles est peut-être supérieure à la demande dans la région. Cette situation rend les finances des salles extrêmement précaires. «Je n’ai pas l’impression que les gens roulent sur l’or… Mais on réussit à s’en tirer, bon an mal an.»
Mais, pour «s’en tirer», M. Paquet n’a d’autre choix que de diversifier sa programmation en évitant de se cantonner dans un créneau bien spécifique. Puisque sa salle de 1 300 sièges doit être occupée durant au moins 200 jours par année, il ne peut lever le nez sur quelque production que ce soit. Le seul critère: est-ce que cela répond au goût d’une certaine catégorie de personnes et est-ce que les gens vont se déplacer? «Chacun développe des choses un peu moins spectacle… Il faut que les salles roulent», explique-t-il.
Sans couleur propre
Bien que chacune des salles de spectacles de la région tende à se définir une couleur propre, les impératifs de la concurrence les forcent à diversifier leur programmation. «Il n’y a personne qui a les moyens d’avoir des niches particulières», souligne la directrice générale du Grand Théâtre et présidente de la table de diffusion des arts de la scène du Conseil de la culture de la région de Québec, Francine Grégoire.
Ainsi, tous veulent se faire reconnaître pour un produit spécifique, mais personne n’en a les moyens pécuniaires. Surtout pas le Grand Théâtre avec ses deux salles de 1 878 et 500 places. D’autant plus que la société d’État doit supporter les grandes institutions que sont, entre autres, l’Orchestre symphonique et l’Opéra. On doit donc piger dans le même bassin de variétés que les autres et tenter de combler les manques à gagner avec des spectacles plus populaires.
Mais, ce ne sont pas des sacrifices en terme de qualité, insiste la coordonnatrice aux arts de la scène de l’Anglicane, Diane Blanchette. Elle a d’ailleurs une façon toute particulière de présenter la problématique. On ne renonce pas à la qualité, on «équilibre les risques, car on doit faire vivre la salle». Un peu plus d’humour pour que la relève ait une place au soleil.
Au Capitole de Québec, une des seules salles entièrement privées, on est allé encore plus loin dans la diversification, dans la quête de rentabilité. Avec deux salles de 1 200 et 500 places, il n’était pas question de se cantonner aux variétés, expose la porte-parole, Sylvie Jacques. Les instances décisionnelles se sont donc tournées vers le monde des événements corporatifs qui représente maintenant plus de 25 % du chiffre d’affaires. «Ça a été une arrivée importante… Ça amène de la clientèle importante à des moments de l’année qui auraient peut-être été plus difficiles.»
Autre tournant majeur dans la vie du Capitole, la production de shows mégapopulaires tels Elvis Story et Yesterday les Beatles, les vaches à lait du complexe. Ceux-ci attirent 80 % «d’étrangers» qui séjournent parfois à l’hôtel du Capitole et y mangent souvent. «Le fait de pouvoir conjuguer tout ça (spectacle, hôtellerie et restauration), ça aide vraiment à rentabiliser tous les secteurs», soutient Mme Jacques.
Mme Jacques concède que le virage corporatif-Elvis Story n’était pas prévu dans le projet initial. Mais, c’est ce changement de vocation qui leur permet de boucler le budget, affirme-t-elle.
Les grands gagnants
Selon tous les intervenants contactés, ce sont les habitants et les artistes qui bénéficient le plus du nombre élevé de salles de spectacles dans la région et de la compétition féroce qui sévit. Tous ont un choix considérable.
Cependant, l’agente de développement pour la table de diffusion des arts de la scène du Conseil de la culture, Suzanne Mercier, rappelle que «le marché est quand même assez fragile». Ses assises pourraient s’effondrer si les fonds publics venaient à manquer ou si la masse délaissait momentanément le marché du spectacle.
Mme Mercier prévient également que, selon le Conseil, le moratoire sur le développement des équipements culturels, en vigueur depuis plus de trois ans dans la région, devrait être levé. Il en irait du maintien de la qualité des services et des conditions de pratique des artistes. Les finances étatiques vont mieux et elle aimerait que les salles de spectacles puissent en bénéficier afin d’améliorer leur potentiel de survie.
L’agonie du D’Auteuil
Plus une note ne s’élève jusqu’au plafond ouvré du D’Auteuil, plus une voix ne filtre de derrière la tenture pourpre qui voile la scène, plus un cri de joie ne résonne entre ses murs de pierre. Après une dizaine d’années passées à présenter tant de vedettes discrètes, d’étoiles montantes et d’inconnus talentueux, la plus belle salle de spectacles de Québec se mure dans le silence.
Tel un adolescent en pleine crise d’identité, le D’Auteuil s’est beaucoup cherché au cours de la dernière année. Tenté par la musique, attiré par les filles, il a fini par faire son choix. Ces derniers temps, on nous y invitait moins à s’en mettre plein les oreilles qu’à nous rincer l’oeil en assistant à des concours style wet t-shirt.
Pour le fan de musique, le coup est dur à encaisser; aucune autre salle en ville n’offre la même chaleur ni la même intimité. Pour les musiciens de Québec, la perte est autrement plus lourde. «Que le D’Auteuil ferme, c’est le boutte d’la marde!» s’exclame Philippe Venne, d’Interférence Sardines, qui déplore également la disparition du café-théâtre Les Fourberies. «C’est devenu difficile de faire des spectacles à Québec, affirme-t-il. En plus, [le D’Auteuil] était une salle qui avait une âme. Lorsque c’était bien géré, c’était un endroit agréable où jouer.»
Y a-t-il une solution de rechange? «Il n’y en a pas, sinon de réouvrir le D’Auteuil, croit-il. J’espère que ça se peut…» Impossible de dire si le voeu de Philippe Venne se réalisera: malgré nos appels répétés, nous n’avons pu joindre un porte-parole du bar-spectacles…
Alexandre Vigneault
Québec: capitale ou région culturelle?
La culture est-elle viable à Québec? La bassin de population est-il assez important pour permettre aux arts de se développer? Le Portrait statistique du développement des arts de la scène au Québec, publié par le ministère de la Culture et des Communications, permet de jeter un éclairage intéressant sur ces questions. Sur une période de cinq ans, soit de la saison 1989-1990 à la saison 1993-1994, le nombre de représentations a grimpé de 8 % dans la capitale et le nombre de spectateurs de 7,4 %, des augmentations modestes si l’on compare à celles des régions, respectivement de 33 % et de 31,2 %. Par ailleurs, le taux d’occupation a chuté légèrement de 3,2 % tandis que les revenus au guichet ont connu une forte hausse de 43 %, imputable à l’augmentation importante du prix du billet (de l’ordre de 33,3 %).
Si on jette un oeil aux diverses disciplines, on constate qu’en danse, la capitale est la seule région où le nombre de représentations et le nombre de spectateurs est à la baisse. En musique toutefois, la situation est assez stable. Québec affiche une hausse de 1,9 % de l’offre et de 3,9 % de spectateurs. Bien que ces données soient à la baisse en musique symphonique, Québec obtient des hausses dans les domaines de l’opéra, de la musique de chambre et du chant choral. En théâtre, la situation est moins reluisante. On dénote des chutes de 9 % du nombre de représentations et de 31 % du nombre de spectateurs. Enfin, du côté des variétés (chanson, comédie musicale, humour, jeune public et rock) les résultats sont nettement meilleurs avec des hausses globales de 78,2 % pour les représentations et de 53,4 % pour le public. Cette hausse significative permet de donner le pouls des limites du rapport spectacles-spectateurs à Québec puisque, visiblement, le marché était saturé. Dans le domaine du rock, par exemple, le nombre de représentations a grimpé de 354,6 %, le nombre de spectateurs de 61,8 %, mais le taux d’occupation des salles a plafonné, chutant légèrement de 68,2 % à 65,2 %, une situation comparable à celle de l’ensemble des autres variétés.
Les diffuseurs spécialisés (tous subventionnés) jouent un rôle important à Québec, ils représentent 70 % de la diffusion artistique. Cependant, on remarquera que l’offre de leurs spectacles s’avère supérieure à l’assistance générée. Ainsi, en théâtre grand public, ils représentent 64,7 % de l’offre, 31,1 % des spectateurs et 14,2 % des revenus de guichet; en musique, 30,1 % de l’offre, 22,7 % de l’assistance et 20,4 % des revenus. De leur côté, les diffuseurs privés (non subventionnés) représentent 7 % de l’offre de spectacles, 21,5 % du nombre de spectateurs et 25,4 % des revenus.
Êtes-vous de ceux qui participent à l’émancipation des arts de la scène à Québec? Selon une récente enquête sur les pratiques culturelles des Québécois, les citoyens de Montréal et de Québec consacraient, en 1994, une moyenne de 11 heures par semaine aux loisirs. Pour 6,1 % des citoyens de la province, le premier choix d’activités était de type culturel, alors que 46 % préféraient le sport et les activités physiques. Et quand les Québécois faisaient une sortie culturelle, 48,5 % optaient pour la musique, 33,9 % pour le théâtre et 10,5 % pour la danse. Des quelque 5 000 répondants sélectionnés à travers l’ensemble de la province, 50 % disaient aller voir leurs spectacles à Montréal et 14 % à Québec.
Nicolas Houle