Le tourisme au Mexique : Puerto Viagra
Société

Le tourisme au Mexique : Puerto Viagra

Une toute nouvelle vague de touristes déferle présentement sur les plages du Mexique. Ils débarquent sur les côtes mexicaines pour se faire dorer au soleil, mais aussi pour découvrir la plus récente attraction touristique du pays: le  Viagra.

Depuis sa mise en marché il y a un an et demi, le célèbre losange bleu a fait une entrée en grande pompe dans toutes les pharmacies mexicaines. En fait, le Viagra surfe sur la houle d’un engouement intarissable, un vent d’enthousiasme dont les vacanciers sont en partie responsables.

Rappelons qu’au Mexique, le Viagra est facile à avaler. En effet, la molécule visant à améliorer la fonction érectile est disponible sans ordonnance dans toutes les pharmacies, si bien qu’on peut se procurer du Viagra avec autant de facilité qu’une boîte d’Advil ou un tube de dentifrice.

Résultat? Partout en Amérique, des zélateurs du Viagra s’organisent et font du Mexique leur destination voyage de choix pour s’abandonner aux vertus de ce nouvel aphrodisiaque récréatif. Certaines agences de voyages aux États-Unis – à Atlanta et à Boston, entre autres – annoncent des Viagra Tours sur leurs affiches publicitaires, espérant ainsi joindre une nouvelle clientèle de plaisanciers, davantage attirés par ce nouveau paysage pharmaceutique que par celui des pyramides aztèques.

No problemo!
«Depuis toujours, l’industrie du tourisme propose à la société occidentale des remèdes à ses propres défaillances: l’angoisse, le stress, l’insécurité…. Les agents de voyages soignent maintenant une nouvelle défaillance: l’impuissance!» constate Denis Asselin, originaire de Joliette, aujourd’hui propriétaire de condominiums à Puerto Vallarta. Asselin croit que l’apparition du Viagra sur le marché des drogues licites a donné lieu à la plus formidable campagne de marketing de ces dernières années. Une campagne qu’il a suffi à ses promoteurs de lancer, et qui, par la suite, s’est répandue et entretenue d’elle-même, tant elle répond à un besoin actuel et à des fantasmes de toujours. «Ici, le marché est ouvert, généralisé et médiatisé. Même dans ses rêves les plus fous, le gouvernement mexicain n’aurait jamais pu imaginer s’offrir une telle campagne publicitaire pour faire mousser l’industrie touristique.»

«La demande est si grande que plusieurs restent inattentifs aux contre-indications, et parfois aux graves dangers que présente ce médicament. Ici, personne n’a été vraiment troublé par les quelque cent dix morts imputées à l’usage du Viagra par abus ou manque de précautions, déplore Roberto Hernandez, pharmacien à Puerto Vallarta. Pour les gens souffrant de problèmes cardiaques, le Viagra peut être particulièrement néfaste. C’est la responsabilité des pharmaciens de rappeler aux vacanciers les dangers de cette drogue. Malheureusement, plusieurs préféreront empocher rapidement les dollars américains et rester avares de commentaires face à de nouveaux clients…»

Si certains s’inquiètent de voir l’usage du Viagra se répandre à un rythme stupéfiant, les touristes, eux, jubilent. Et pas seulement ceux qui ont besoin de la pilule pour prévenir les ratés de l’intime. Le Viagra a dorénavant joint la panoplie des drogues synthétiques bien en vue dans les boîtes de nuit, plusieurs club kids ayant trouvé dans cette pilule des vertus comparables à celles de l’ecstasy et du speed. Les drogues de synthèse se moulent fort bien à notre époque, notamment pour limiter le développement du sida, puisque l’utilisateur n’a pas besoin d’intraveineuse pour les consommer. Elles sont également moins chères et plus faciles à prendre que plusieurs des drogues traditionnelles. À moins de douze dollars la tablette, le Viagra peut être perçu comme une véritable aubaine. Ainsi, selon le British Medical Journal, près de 5 % des noctambules fréquentant régulièrement la scène des clubs et les afterhours auraient déjà fait usage de la pilule contre l’impuissance.

«L’époque est à l’excès et les drogues, à la mode. À l’instar de l’ecstasy, le Viagra est devenu le nouvel indispensable, un compagnon de route fidèle à toutes les sorties dans les clubs», explique Réal Veilleux, copropriétaire d’un des plus importants centres d’esthétique de Montréal. Il est allé sur la côte pacifique du Mexique le mois dernier. «Dès mon arrivée, j’ai compris que les Nord-Américains avaient littéralement embrassé la culture du Viagra. Les touristes associent souvent les vacances à des baises faciles et sans lendemain, il ne faut donc pas s’étonner qu’ils veuillent s’assurer de performer dès le premier soir… Lorsque l’on replace les choses dans ce contexte, rien de surprenant à ce que le Viagra soit si populaire!»

Problème de taille
Devant la libre circulation de la pilule partout au Mexique, une véritable Mecque du Viagra s’organise. «De plus en plus de touristes profitent de leur séjour ici pour en rapporter chez eux. Bien que la pilule se vende sensiblement dans les deux pays au même prix, elle peut valoir beaucoup plus sur le marché noir canadien ou américain», poursuit Veilleux.

À Immigration Canada, on se dit conscients de la problématique et l’on mentionne que de rapporter au pays une drogue contrôlée sous ordonnance sans avoir de prescription est prohibé. «Les règles de Santé Canada sont strictes: les médicaments doivent avoir été achetés pour usage personnel et prescrits par un médecin. Il est vrai que l’on peut se procurer plusieurs médicaments sans prescription au Mexique, mais ça ne veut surtout pas dire que les touristes puissent faire le plein de pilules comme ils le veulent», souligne Alain Surprenant, surintendant aux douanes.

Le responsable de la circulation douanière rappelle que le Viagra ne pourrait être que la face la plus visible de cette entreprise consumériste. En effet, on peut se procurer sans trop de difficultés dans la plupart des boutiques vétérinaires de la kétamine – un anabolisant pour animaux, mieux connu dans les clubs sous le nom de «Special K». Plusieurs haltérophiles profitent également de leurs vacances au Mexique pour faire le plein de stéroïdes; les hormones se trouvent aussi dans les présentoirs des pharmacies.

Le Viagra est-il en voie de devenir aussi typique que la tortilla et la margarita? Assiste-t-on à la naissance d’une nouvelle saveur locale prisée par les vacanciers? Sans doute, conclut Denis Asselin. «Si l’ascension du Viagra se poursuit, des villes comme Acapulco, Cancun et Puerto Vallarta acquerront une réputation semblable à celle d’Amsterdam. Plusieurs villes mexicaines pourraient se retrouver à partager le titre peu enviable de capitale internationale de la drogue récréative.»