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Protocole sur la biosécurité : L’AMI des OGM
Cette semaine, des délégués de cent trente pays se réunissent à Montréal pour discuter de l’avenir du commerce des organismes génétiquement modifiés (OGM). Selon le groupe Biotech Action Montréal, la rencontre doit absolument accoucher de règles strictes, dont un programme d’étiquetage obligatoire. Le hic est que notre gouvernement, lui, demande exactement le contraire.
Nicolas Bérubé
Photo : Stephanie Conway
«Depuis vingt ans, le gouvernement s’affaire à créer un contexte favorable pour l’industrie des biotechnologies. Et, depuis vingt ans, il néglige les inquiétudes du public», tranche Charles Mercier, porte-parole de Biotech Action Montréal, un groupe d’action composé de citoyens et de citoyennes préoccupés par la prolifération des aliments transgéniques.
Biotech Action ne s’attend pas à ce que la situation change cette semaine, alors que quatre cents délégués des quatre coins du monde sont à Montréal pour réinventer les règles du commerce international des OGM. À la table des négociations, les pays du groupe de Miami (qui comprend le Canada, les États-Unis, l’Argentine, le Chili, l’Uruguay, et l’Australie – producteurs de plus de 95 % des OGM de la planète) tentent de convaincre les autres nations de faire tomber les barrières qui nuisent à la libre exportation de leurs OGM. Lyle Vanclief, le ministre canadien de l’Agriculture, s’est même dit prêt à se battre pour augmenter la consommation d’aliments transgéniques dans le monde, et ce, même s’il n’est pas en mesure de garantir leur innocuité. Comme dit le proverbe: avec des élus comme ça, on n’a pas besoin d’ennemis…
Le fardeau de la preuve
Selon le groupe de Miami, un État qui refuse d’importer des produits contenant des OGM sous prétexte que ces derniers représentent un danger potentiel pour sa population doit justifier scientifiquement ses inquiétudes, sans quoi il sera accusé de contrevenir aux règles du commerce international. «Le problème avec les OGM, c’est qu’on ne connaît pas leurs effets à long terme, explique Charles Mercier. Il est donc difficile de prouver leur toxicité, tout comme il est d’ailleurs difficile de prouver leur innocuité. Ils ne produisent pas de catastrophes palpables qui feraient les manchettes des journaux… Il est donc normal que certains pays choisissent, par précaution, de ne pas importer d’OGM. Et c’est ce droit que le groupe de Miami veut annihiler. »
En faisant reposer le fardeau de la preuve sur les pays acheteurs, les producteurs d’OGM s’assurent d’un marché libre qui serait à l’abri des boycotts. Pour eux, le temps presse: déjà, les OGM ont commencé à être refoulés aux frontières. La BBC rapportait récemment que les ventes de maïs transgénique américain à l’Europe ont chuté de façon draconienne, passant de soixante-dix millions de boisseaux en 1997 à moins de trois millions en 1998. «L’American Corn Growers Association (ACGA), un puissant lobby des producteurs de maïs, conseille même à ses membres de recommencer à planter des semences non transgéniques sur une partie de leurs terres, tout simplement parce que la demande s’accroît en Europe pour ce type de produits», lance Charles Mercier.
Autre enjeu majeur des négociations: l’étiquetage obligatoire des aliments transgéniques, une idée avec laquelle 90 % des Québécois qui ont entendu parler des OGM sont d’accord. Mais, pour le gouvernement canadien, pas question d’obliger les compagnies à identifier les produits transgéniques. «Nous demandons un protocole fort, et il ne peut y avoir de protocole fort sans étiquetage, explique Charles Mercier. Mais le gouvernement nous répond qu’étiqueter tous les produits exportés qui contiennent des OGM coûterait environ 750 millions de dollars en tests et en infrastructures, alors que le marché est de 6,4 milliards. Le gouvernement trouve cette solution trop onéreuse, mais ce n’est pas à lui de payer: c’est aux compagnies de biogénétique! Sauf que pour l’instant, la position de nos élus est directement calquée sur celle de l’industrie, qui ne veut pas entendre parler d’étiquetage obligatoire.»
Biotech Action a d’ailleurs déjà remis au gouvernement une pétition de vingt mille signatures en faveur d’un étiquetage obligatoire des produits qui contiennent des OGM. «Depuis plus de cinq ans, des groupes se battent pour un étiquetage obligatoire. Mais le gouvernement nous a répondu qu’il créerait un comité chargé de mettre au point un système d’étiquetage volontaire, ce qui est une demi-mesure tout à fait inutile. Quelle compagnie monterait volontairement sur l’échafaud?»
En Europe, un cadre légal est en cours d’élaboration, et il stipule que si des OGM comptent pour plus de 1 % de la totalité d’un produit, il devra être clairement étiqueté. «Les compagnies qui produisent des OGM chez nous et qui les vendent en Europe doivent les identifier, lance Mercier. Mais leur production destinée au marché local n’est pas étiquetée, parce que les pressions n’ont pas encore été assez fortes ici. Par exemple, les tablettes de chocolat Nestlé sont étiquetées là-bas, mais pas au Canada. Les compagnies ne bougent que lorsqu’elles sont acculées au pied du mur.»
Argent comptant
Au-delà des pressions populaires et des pétitions, Biotech Action pense que ce sont les données économiques qui feront bouger les choses. «Nous croyons que l’initiative pourrait difficilement venir du gouvernement car, dans son discours, il s’acharne à faire la promotion des biotechnologies. C’est pour cela que les pays doivent absolument garder le droit de refuser d’importer des OGM par mesure préventive. Et si plusieurs pays se prévalaient de ce droit, la demande pour les aliments transgéniques serait moins forte, et leur production pourrait éventuellement commencer à décliner.»
Le gouvernement bouge si lentement que Biotech Action entreprend maintenant de contacter directement les agriculteurs pour leur signifier l’inquiétude des consommateurs. «On ne peut pas s’asseoir et simplement attendre que nos élus se réveillent. La prolifération des aliments transgéniques est telle, que l’étiquetage risque bientôt d’être impossible à réaliser, parce que l’agriculture biologique et l’agriculture traditionnelle auront été contaminées par le biais du pollen qui voyage entre les plantations. Je crains le jour où le gouvernement va carrément nous répondre d’aller nous faire voir avec notre étiquetage parce que, de toute façon, les OGM seront partout.»
Note: Lisez le texte sur les OGM, signé par le journaliste Roch Côté, dans les Grandes Gueules.