Christian Rioux : Vive les petites nations!
Société

Christian Rioux : Vive les petites nations!

Dans Voyage à l’intérieur des petites nations, Christian Rioux, correspondant du Devoir, nous montre que les gros pays n’ont pas le monopole de la grandeur. Comme le disaient nos mères: «C’est souvent dans les p’tits pots qu’on trouve les meilleurs onguents…»

Grosses multinationales, gros P.I.B., grosse influence: les grosses puissances prennent de la place, et ont tendance à regarder les petits pays avec mépris. Quand les gros médias parlent des petites nations (entre deux reportages sur le New York Stock Exchange ou la fusion Time-Warner), c’est souvent pour les dépeindre comme des terres brûlées, ravagées par des guerres ancestrales. Il y aurait, d’un côté, les grands peuples ouverts sur le monde; et de l’autre, les petites tribus arriérées. Oncle Sam contre les Balkans.

Correspondant du Devoir, Christian Rioux a décidé de visiter quelques petites nations afin de voir si le portrait était aussi sombre qu’on le disait. Crayon en poche et micro en main, il a parcouru la Slovénie, l’Écosse, la Catalogne, le Pays basque, la Slovaquie, l’Irlande du Nord, la terre des Navajos et la Belgique. Voyage à l’intérieur des petites nations, le recueil de ses textes qu’il vient de publier chez Boréal, nous prouve qu’on peut être à la fois attaché à ses racines et furieusement contemporain.

Comme Ovide Plouffe, qui rêvait de voir Notre-Dame, ou Elvis Gratton, qui se prend pour le King, le Québec a tendance à se comparer à la France et aux États-Unis; et cette comparaison, souvent, le désole. On se trouve petit, sans envergure… Ne devrions-nous pas plutôt nous comparer à des nations de notre taille: la Suède, la Belgique, la Catalogne?
Effectivement, cette comparaison nous serait utile. Elle nous permettrait entre autres de nous rendre compte que nous ne sommes pas tout seuls dans notre situation. Partout à travers le globe, des peuples luttent pour leur survie, et certains ont trouvé des façons extrêmement originales de protéger leur culture tout en s’ouvrant sur le monde.

On se rendrait aussi compte que le Québec fait figure de pionnier dans le domaine de la coexistence des peuples. Partout où je suis allé, on me parlait du Québec. Nos batailles constitutionnelles nous ennuient peut-être parfois, mais elles intéressent énormément les autres pays. L’attachée de presse d’un important leader indépendantiste basque m’a demandé si j’étais parent avec Marcel Rioux! Elle connaissait son oeuvre, et avait lu beaucoup d’ouvrages sur le nationalisme québécois…

Dans une entrevue qu’il nous a accordée en 1995, Bernard-Henri Lévy disait que les francophones du Québec tenaient une grande part de leur génie culturel de leur destin précaire. «Les pays fragiles ont toujours une culture féconde, a-t-il lancé. Les terres de confins sont des terres riches, les communautés qui vivent dans un environnement menaçant sont des communautés où la culture est plus stimulante qu’ailleurs.» Qu’en pensez-vous?

Je crois qu’il a parfaitement raison. Les Québécois ont été les premiers à faire du rock en français. Nous sommes les premiers francophones à avoir exploré Internet. Quand tu vis dans un petit pays, tu n’as pas le choix: si tu veux grandir, tu es obligé de sortir de chez toi, de t’inspirer de ce qui se fait ailleurs, d’aller chercher toutes sortes d’influences à l’extérieur de tes frontières, chez les autres cultures, les autres peuples. Alors que lorsque tu fais partie d’une grosse nation, tu as plus tendance à t’asseoir sur tes acquis et à te regarder dans un miroir…

Tu sais, le vrai métissage, c’est dans les petites nations que ça se passe. Prends l’idéal canadien: celui de deux peuples fondateurs, deux langues, deux cultures… Où s’est-il concrétisé, cet idéal? Au Québec! C’est à Montréal qu’on parle deux langues, pas à Toronto! Le vrai Canada, c’est au Québec qu’on le trouve, pas en Colombie-Britannique ni en Nouvelle-Écosse!

Pourtant, les petites nations ont mauvaise presse. On dit qu’elles sont refermées sur elles-mêmes, accrochées à leur passé, rongées par le nationalisme…
On entretient toutes sortes de préjugés sur les petites nations. On critique le nationalisme des petits pays: mais qu’en est-il du nationalisme des grands? Depuis quelques années, on assiste à l’émergence d’un nationalisme canadien. En quoi ce nationalisme serait-il plus noble que le nationalisme québécois? En fait, c’est plutôt le contraire: il a tendance à être exclusif, à nier le fait que ce pays a été fondé par deux peuples…

Lors de mes voyages, j’ai rencontré un Catalan. «L’Espagne est un concept politique, m’a-t-il dit. Je ne sais pas si ce pays va toujours exister dans cent ans, mais une chose est sûre: les Catalans seront toujours là. Il y aura toujours une nation catalane, une culture catalane.» On pourrait dire la même chose du Canada. Qui sait ce qu’il adviendra du Canada dans un siècle? Mais la nation québécoise, elle, existera toujours…

En Belgique, en Espagne, en Grande-Bretagne, les choses avancent. Les Wallons, les Catalans et les Écossais ont réussi à rapatrier certains pouvoirs, ils ont obtenu une reconnaissance politique. Mais ici, c’est l’impasse. On se retrouve toujours dans le même cul-de-sac. Non seulement le gouvernement fédéral ne fait-il pas de concessions, mais il jette de l’huile sur le feu!
Les gens que j’ai rencontrés à l’étranger ne comprennent pas pourquoi un pays aussi admirable, aussi respectueux des droits de la personne et aussi démocratique que le Canada refuse de reconnaître la nation québécoise. Même les rois étaient plus ouverts! Chaque année, la reine Élisabeth remercie les Écossais d’accepter de faire partie de la Grande-Bretagne. Elle reconnaît l’existence de la nation écossaise. Mais ici, rien. On refuse de reconnaître la nation québécoise.

Cette stratégie est dangereuse. Comme m’a dit Jean Daniel (c’est la phrase qui clôt mon livre): «C’est seulement par la reconnaissance solennelle de l’identité du groupe national que l’on peut espérer que ce groupe dépassera la nation. Sans cela, il sera toujours en état de revendication nationale. Si l’on veut qu’il dépasse cette revendication, il faut d’abord la lui reconnaître formellement. Cela est vrai de tous les peuples et de tous les pays. Sinon, on se condamne à voir renaître un nationalisme émeutier et chauvin.»