

Entrevue avec Michel Chartrand, syndicaliste : À propos de la mini-série «Chartrand et Simonne»
Tour à tour travailleur, politicien et syndicaliste, MICHEL CHARTRAND se passe de présentation. La mini-série Chartrand et Simonne, diffusée depuis le 2 février sur les ondes de la SRC, mettra en lumière les années 1935-1960 de sa vie en compagnie de Simonne Monet-Chartrand.
Propos recueillis par Nicolas Houle
Est-ce que l’idée d’une mini-série vous concernant, de votre vivant, vous plaisait?
«J’ai dit à mon fils [qui en est le réalisateur]: "T’as pas à faire autre chose que ça?" Il m’a dit: "C’est parce que tu es un monument!" Je lui ai dit: "Ne répète pas ça, mon gamin, parce que je vais me fâcher!" Mais c’est bien parce qu’il voulait parler de sa mère en même temps et c’est un bel hommage. Ça me flatte, naturellement, mais je ne trouve pas que ma vie est une affaire importante, j’ai fait ce que bien d’autres font et continuent de faire. Il y a des travailleurs qui ont eu bien plus de misère que j’en ai eu.»
Mais n’êtes-vous pas justement devenu un véritable monument? Pour plusieurs travailleurs, vous êtes un modèle d’intégrité…
«Ça, c’est juste à cause de l’âge, il faut attendre! J’ai pas changé d’idée peut-être parce que je suis comme les Anglais! À l’époque, je pensais qu’ils étaient tenaces, mais après je me suis rendu compte que c’était parce qu’ils n’avaient pas deux idées en même temps! […] Je continue parce que je n’ai pas d’imagination! Ma femme me disait toujours: "Tu radotes" et je lui répondais que ça fait 50 ans que les choses n’ont pas changé, mais là, ça a changé: on régresse au Québec.»
Votre fils disait que, d’abord et avant tout, Chartrand et Simonne est une fiction, êtes-vous d’accord avec ça?
«Ça dépend de ce qu’il entend par fiction. Moi, je trouve que dans l’ensemble, c’est authentique. C’est-à-dire qu’il a bâti des scènes pour agencer le tout, mais le texte est proche de l’authenticité, et les scènes aussi. Des menaces au revolver, des bombes lacrymogènes, des bains de sang, des emprisonnements, j’ai vécu tout ça.»
Lors du visionnement de presse, vous avez dû faire face aux grévistes de Radio-Canada, vous avez particulièrement bien retourné la situation en faisant un pied de nez à leur employeur, comment le tout s’est-il déroulé?
«Quand je suis arrivé à 10h, je suis allé voir les grévistes. On a parlé de leur grève, puis je leur ai dit: "Ça fait longtemps que vous êtes dehors, voulez-vous vous réchauffer et voir la série, on parle de trois grèves, là-dedans." Ils se sont consultés et ils ont dit qu’ils étaient d’accord. On a ouvert la porte, et je suis entré en dernier. Les grévistes, c’est des gens comme tout le monde, ça! Mais s’ils n’étaient pas entrés, je ne serais pas allé au visionnement, un point c’est tout, c’est pas une catastrophe.»
Que pensez-vous de la décision de la SRC de ne pas poursuivre la mini-série, bien que le scénario soit déjà écrit pour les années 1970 et 1980?
«Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas discuté de ça et ce ne sont pas de mes affaires. Robert Ménard, le producteur, a dit: "On veut faire parler de cette période d’un autre point de vue." Radio-Canada fera bien ce qu’elle veut. À Radio-Canada, ils m’appellent une fois par cinq ans pour me parler de moi plutôt que de mes causes et moi, le human interest, ça me fait chier! Je ne suis ni une vedette ni un artiste, je suis un militant.»
Ne croyez-vous pas que la SRC, que vous avez déjà traitée «d’appendice du pouvoir», se lance dans une entreprise de récupération en présentant la vie de quelqu’un qui s’est toujours battu contre l’abus du pouvoir?
«Je ne sais pas ce qui se passe à la SRC, mais je crois que ça a dû les forcer un peu parce que la série est très politique et très anti-capitaliste. Ils ne passent pas souvent des choses du genre sur les ondes. Là oui, mais c’est parce qu’il s’agit d’affaires passées. Par contre, des critiques de la situation contemporaine, ils n’en passent pas beaucoup ou alors ils interviewent des économistes qui sont des experts du gouvernement, qui disent toujours comme le gouvernement, tout comme les professeurs d’université.»
Êtes-vous en train de dire que vous auriez préféré que la SRC diffuse une mini-série sur la condition actuelle de la société plutôt que sur votre vie?
«Ben c’est fait pour ça, non? On a assez des comédies, il faudra une couple d’affaires qui parlent de nous autres et de la situation dans laquelle on est plongé au Québec. Quand on dit qu’il y a 1 600 000 pauvres dans la province de Québec, et un autre million qui ont des petites jobs à temps partiel, d’autres qui sont sur appel, et d’autres qui ne savent pas combien de temps ils auront leur emploi, 2 millions de personnes inquiètes, ça commence à faire du monde en crisse, ça! C’est pour ça que je me bats pour le revenu de citoyenneté inconditionnel. Les pauvres n’ont pas droit de s’aider, mais les banques, elles, peuvent se fusionner!»