La place des femmes en politique : Légalité des chances
Société

La place des femmes en politique : Légalité des chances

Le Nunavut a bien failli passer à l’histoire en créant un système politique binominal, où chaque circonscription aurait été représentée par deux personnes, un homme et une femme. L’idée n’a pas été retenue, mais elle témoigne de la vitalité d’un débat qui se mène un peu partout dans le monde sur la place des femmes en politique.

À la fin janvier, la France a voté à l’unanimité (moins une voix) une loi obligeant les partis politiques municipaux, régionaux et européens à présenter autant de femmes que d’hommes dans leurs listes électorales, sous peine de sanctions, et ce, dès l’an prochain. Allant à contre-courant, le Canada annonçait au même moment que son projet de loi sur la réforme électorale serait vidé de toute mesure pour encourager l’accroissement du nombre de femmes à Ottawa. Don Boudria, ministre responsable de cette réforme, avait pourtant lancé un ballon d’essai sur la possibilité d’accorder des bonis financiers aux partis qui présenteraient plus de 25 % de candidatures féminines. «Jamais personne n’avait réfléchi à cette mesure depuis la Commission sur la réforme électorale de 1991», se félicite-t-il. Mais il n’y a pas réfléchi bien longtemps, la mesure n’étant «pas populaire», selon lui.

Caroline St-Hilaire, porte-parole du Bloc québécois en matière de condition féminine, fulmine. Surtout que dès le début de son mandat, en 1997, elle avait tenté de déposer un projet de loi de ce type. Aujourd’hui, elle se questionne. «Si on n’arrive même pas à appuyer un projet comme celui-là, qui tire sa force du fait qu’il est incitatif plutôt que répressif, pourra-t-on un jour arriver à la parité? On dit qu’on veut plus de femmes en politique, mais on refuse d’agir. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, c’est pire que ça!»

Pour Don Boudria, le débat est quand même clos. Mince consolation, son projet reconnaît au moins les frais de garde comme dépense électorale, ce qui n’est pas le cas avec la loi actuelle. «Sur cinq semaines de campagne, ça peut représenter une jolie somme, affirme le ministre. C’est sûr que ce n’est pas cela qui fera la différence, mais…»

C’est en effet bien peu quand on songe au fait que les femmes représentent plus de la moitié de la population (elles sont donc majoritaires), mais ne contrôlent que 20 % des sièges du parlement.

Et ce n’est pas demain la veille que les choses changeront, surtout quand on se rappelle que le Parti libéral fédéral osait encore écrire, dans un livret s’adressant à ses candidates aux élections de 1997, des phrases comme: «Pendant la campagne, vous n’aurez pas le temps de faire le ménage, la cuisine, d’aller chercher les enfants ou d’aller chez le teinturier» et «\Connaissez la position du parti et ayez une opinion»!

La Belle Province
Et au Québec? On s’en tire un peu mieux avec 23 % d’élues. Une évolution ici aussi trop lente, ce que dénonce Nicole Loiselle, porte-parole de l’opposition en matière de condition féminine. «En 1989, nous étions 18 % de femmes. Aujourd’hui, avec 23 %, on parle d’un gain de 5 % en 10 ans… C’est peu.» Mais de là à exiger des actions concrètes pour que les femmes soient justement représentées à l’Assemblée nationale, il y a un pas qu’elle se refuse à faire.

De son côté, Louise Harel, la première femme à se faire élire cinq fois au Québec, est plutôt satisfaite de l’évolution. À ses débuts en politique, on ne la considérait pas comme une vraie femme, se souvient-elle, parce qu’une vraie femme ne faisait pas de politique. «Quand on voulait nous féliciter, on nous disait qu’on était le meilleur homme de l’équipe!»

C’était il y a 20 ans. «Aujourd’hui, les femmes progressent. Ce n’est pas fulgurant, mais au chapitre des instances décisionnelles, le cabinet compte 33 % de femmes ministres et le comité des priorités a atteint la parité pour la première fois de notre histoire.» Dans ce contexte, elle affirme qu’on est très loin du débat sur des bonis financiers et encore plus loin d’une loi à la française. «En France, c’était honteux, les femmes ne comptaient même pas pour 10 % des élus!»

Que ce soit donc Nicole Loiselle, Louise Harel, Linda Goupil (ministre responsable de la condition féminine) et même Françoise David (présidente de la Fédération des femmes du Québec), toutes s’entendent pour dire que le débat sur des mesures incitatives pour augmenter le nombre de femmes en politique n’est pas désiré.

Pourtant, il a déjà été d’actualité. Le Conseil du statut de la femme, dès 1994, avait mis de l’avant l’idée des bonis financiers aux partis réussissant à faire élire plus de 25 % de femmes. Les choses ont-elles tellement changé depuis?

Pas vraiment, car même avec 23 % d’élues, le retard en ce qui concerne la mise en pratique du droit à l’égalité des femmes est réel. On préférerait l’oublier, mais on célèbre cette année le 60e anniversaire du droit de vote des Québécoises, soit les dernières Canadiennes à l’obtenir. Il a ensuite fallu attendre 1972 pour qu’il y ait plus d’une femme élue. Et à la vitesse où progresse leur nombre, le Québec n’atteindra pas la parité avant 2050.

Il serait intéressant de savoir comment réagiraient les hommes si c’était eux qui étaient ainsi sous-représentés…

Le danger du plafonnement
La Suède, avec 43 % de femmes élues, est le pays le plus près de la parité. Aucun autre pays au monde n’a plus de 40 % de femmes à son parlement. Mais tous ceux qui sont en tête du classement y sont arrivés par des actions politiques concrètes. Et en Suède, les choses n’ont réellement changé que lorsque les femmes ont menacé de créer un parti exclusivement féminin…

Dans les pays du laisser-faire, on commence à voir le danger du plafonnement. L’Ontario en est un exemple éloquent. L’arrivée des conservateurs au pouvoir a fait chuter de façon importante le nombre de femmes en politique. Manon Tremblay, professeure de science politique à l’université d’Ottawa et auteure du livre Des femmes au parlement: une stratégie féministe?, l’affirme depuis longtemps: «Il n’y a aucune loi naturelle qui dit qu’il y aura une augmentation continuelle du nombre de femmes d’une élection à l’autre!»

Outre le type de parti au pouvoir, les problèmes qui pourraient retarder ou même empêcher la progression du nombre de femmes en politique sont nombreux. Ils commencent dès la première étape du processus électoral, avec l’investiture. Les femmes étant encore principalement dans des réseaux sociaux et communautaires, elles amassent plus difficilement les dons pour financer leur campagne que les hommes, plus près des milieux d’affaires. Françoise David connaît même des candidates qui ont dû faire des emprunts personnels pour payer leur investiture.

Vient ensuite le manque de modèles, surtout au Québec où les femmes ne sont arrivées en politique que dernièrement. Quoi qu’on en dise, la politique semble encore aux yeux de bien des femmes un monde d’hommes. Une députée a même déjà comparé le parlement à un gros garage…

Mais le principal problème rencontré, selon les politiciennes interviewées, reste le partage des tâches familiales entre l’homme et la femme, ce que résume très bien la présidente de la Fédération des femmes: «Un homme qui a des enfants n’hésitera pas à aller en politique, il sait que sa femme est là.» Nicole Loiselle l’explique autrement: «En politique, il faut être sept mois par année à Québec, en raison de quatre jours par semaine. Sans parler des activités de comté, des réunions partisanes, etc. C’est ça, la pire difficulté, harmoniser la vie familiale avec la politique sans faire souffrir les enfants.»

Curieusement, toutes s’entendent donc pour dire, en parfait désaccord avec l’expérience des pays qui approchent du cap de la parité dans leur parlement, que la question ne relève pas de la politique, mais de la société. Et que puisque les jeunes ont été éduqués dans un monde égalitaire, où les tâches sont partagées, les conflits entre la vie familiale et la politique s’estomperont avec le temps… Simpliste.

Alors pendant qu’au Canada on se ferme les yeux, le reste du monde poursuit sa marche vers l’équité de la représentation des femmes en continuant à instaurer des mesures incitatives pour les faire entrer plus nombreuses en politique. L’Argentine a déjà un nombre important de sièges parlementaires réservés aux femmes et la lutte vient de commencer pour une mesure de type française au Brésil.

Les Québécoises manquent-elles le bateau en acceptant d’attendre 2050 pour atteindre la parité au parlement? Le vrai problème est peut-être ailleurs. Car si la situation que vivaient les Françaises jusqu’à tout dernièrement est qualifiée de honteuse par notre ministre des Affaires municipales, celle-ci ne s’émeut pourtant pas du fait que nous vivions exactement la même situation dans nos propres villes, avec à peine 10 % de mairesses (dont presque la moitié dirigent des municipalités de moins de 1 000 habitants…) On en parle peu, mais si rien n’est fait, à la vitesse où vont les progrès à ce niveau, la parité ne s’y installera pas avant 180 ans!