Adam Kerr : Dans les coulisses de la porno
Société

Adam Kerr : Dans les coulisses de la porno

Le Québécois Denis Lefebvre-Falardeau voulait être une star: il a changé son nom pour Adam Kerr, et est devenu acteur porno. Après une carrière fulgurante aux États-Unis, il s’est pendu, il y a deux mois. Boogie Nights made in Québec.

Tôt dans la nuit du 4 décembre dernier, la star porno québécoise Adam Kerr a mis fin à ses jours dans le sous-sol de l’appartement de son amant, à San Francisco. «La corde était achetée depuis plus de six mois. Il était probablement au bout du rouleau, ses sautes d’humeur étaient de plus en plus nombreu, se rappelle Marc Turcot, un ami de Montréal. Il était déçu de la tournure des événements à San Francisco: l’amour, le travail, rien ne s’est passé comme il l’aurait souhaité…»
Tous ses proches le savaient: Denis Lefebvre-Falardeau n’avait plus envie de jouer le rôle d’Adam Kerr au cinéma. «Il avait juste envie de s’amuser et de vivre simplement. Il avait compris que l’industrie du cul le menait tranquillement à sa perte», conclut Turcot.
Deux ans auparavant, Denis était parti vivre aux États-Unis, à la recherche de la gloire et de la richesse. Arrivé à San Francisco, il a fait ses premiers pas dans l’univers de la porno. Il participa à quelques spectacles érotiques et joua dans des productions vidéo. Mais après avoir connu une certaine gloire, il comprit que le milieu n’était pas aussi disposé à son égard qu’il le croyait. On cessa de le convoquer à des auditions. Les propositions de travail ne se succédaient plus. Les boîtes de production ne répondaient même plus à ses appels. Il avait l’impression d’avoir perdu la cote.
«Les producteurs sont toujours à la recherche de nouveaux modèles, de nouveaux looks. Ils veulent constamment une nouvelle saveur du mois», explique Lexei Bacci, une des figures de proue de la porno québécoise (elle est à la fois actrice, réalisatrice et productrice de films made in Québec). Au cours des douze dernières années, Bacci a joué dans une cinquantaine de productions américaines. Bien qu’elle ait dû se trouver d’autres sources de revenus pour s’assurer une sécurité financière, la grande dame du X avoue qu’elle a eu de la chance. «N’importe qui peut décrocher un rôle dans une ou deux productions pornos. Le vrai défi est de durer. L’industri se blase très rapidement de ses nouvelles recrues. Seules quelques stars réussiront à y faire un bout de chemin…»

Profession: danger
Michel Mattel partageait la vedette de la production québécoise Alex et Bruno, le dernier film auquel aura participé Denis Lefebvre-Falardeau. Mattel se dit attristé par la mort de son acolyte, mais il n’est pas surpris outre mesure. «Si l’on croit un certain discours à la mode,tout est rose dans le milieu de la porno. Or, c’est faux. Pour un débutant, c’est parfois facile de se laisser emporter par la machine. Mais le quotidien est beaucoup moins glamour que ce que l’on vit durant le tournage.»
«La porno est un univers où jalousies, rivalités, prostitution et toxicomanie s’entremêlent constamment, poursuit Bacci. Ça prend beaucoup de caractère et de volonté pour évoluer dans ce milieu sans craquer. La majorité des acteurs n’y arrivent tout simplement pas.»
Il est vrai que dans l’industrie de la porno, la liste des destins tragiques est longue. Le Québécois Alan Lambert s’est tiré une balle dans la tête parce qu’il ne supportait pas l’idée de se voir vieillir. Derk Powers, Charli Waters et Bandon Wilde sont morts assassinés; Christopher Lance a été tué par son amant; Nancy Kellee a mis fin à ses jours à cause d’une dépression tenace; Joey Stephano, Linda Wong et Trinity Loren ont succombé à une overdose… Sans compter la longue série de morts du sida dès le début de la pandémie.
Le site Internet Dead Porn Stars www.rame.net/faq/deadporn compte pas moins de vingt et un suicides et de soixante-douze personnes décédées des suites du VIH.

Cercle vicieux
Depuis que les films triple X sont sortis du ghetto des salles spécialisées pour envahir les étagères des vidéoclubs, la porno est devenue chic. On ne l’a pas seulement banalisée: on l’a glorifiée. Les grandes stars de la porno roulent en BMW, fréquentent le jet-set hollywoodien et gagnent des salaires titanesques. Elles ont leurs propres galas, signentdes autographes dans les centres commerciaux, possèdent leurs fan-clubs et lancent même des lignes de vêtements ou d’accessoires sexuels à leur effigie.
«Maintenant, accéder au métier d’acteur porno est le rêve de beaucoup de jeunes, dit Bacci. C’est troublant, car ils ne connaissent rien à l’industrie. Il faut savoir que pour chaque mégastar américaine qui "perce", des milliers de jeunes ne connaîtront jamais la gloire. Ils doivent rapidement penser à se prostituer s’ils ne veulent pas crever de faim. Quitter l’industrie du sexe leur apparaît guère envisageable. Après avoir tourné quelques scènes et gagné facilement un
peu d’argent, aucun acteur porno n’a envie de retourner vendre des hamburgers! Il ne faut pas se laisser berner: le monde de la porno n’est pas si innocent qu’on le laisse croire…»
Ces dernières années, la porno est devenue «sexuellement correcte». Les stars parlent de pratiques sexuelles sécuritaires dans les entrevues, et encouragent les gens à utiliser le préservatif. C’est l’un des meilleurs moyens de rendre le XXX acceptable. Pourtant, tant Bacci que Mattel ont vécu des histoires d’horreur dignes de Boogie Nights.
Mattel, par exemple, a vu un technicien se faire remercier de ses fonctions après s’être inscrit en faux contre des pratiques sexuelles non sécuritaires que l’on imposait aux acteurs. En effet, bien que la majorité des réalisateurs acceptent de se plier à l’obligation du condom, ils veulent quand même leur money shot (gros plan d’une éjaculation). Or, lorsque les acteurs éjaculent, c’est souvent sur une muqueuse malmenée par une journée de tournage. Ou alors ils jouissent sur le visage de leur partenaire, et des gouttes de sperme coulent dans sa bouche ou dans ses yeux.
«J’ai déjà vu des hommes se faire engueuler parce qu’ils n’étaient pas capables d’avoir une érection; des filles se faire humilier jusqu’à ce qu’elles pleurent sans parler de la drogue qui circule librement sur certains plateaux», explique Bacci.
Comme plusieurs stars porno; Denis Leebvre-Falardeau n’a pas su résister aux sirènes de la drogue. «Il aimait beaucoup faire la fête, et il la faisait peut-être trop intensément, lance son ami Claude Blouin. Il avait très peur de vieillir, et s’éclater était la façon dont il avait trouvée pour rester jeune.»
Quelques mois avant sa mort, Denis appela ses amis à Montréal pour leur annoncer qu’il laissait tout tomber: les films, les séances de massage, la photo. Il venait de rencontrer un homme dont il était tombé éperdument amoureux; et il voulait lui prouver qu’il n’était pas à la remorque de l’industrie. Mais son amant ne prenait pas leur histoire d’amour avec autant de sérieux.
Le nom d’Adam Kerr a disparu des boîtiers des films XXX et des pubs d’agences d’escortes. Mais il est réapparu très vite dans la rubrique des faits divers des journaux californiens.
La semaine dernière, le coroner chargé de l’enquête sur son décès a téléphoné à la mère de Denis. Son corps venait d’être incinéré, il voulait savoir ce que l’on devait faire de ses cendres.
Elles auront finalement été jetées dans le Pacifique. Un employé de l’État les a laissées s’envoler du haut du Golden Gate, à la demande de la mère de la victime. «Son plus grand rêve était de vivre sur la Côte-Ouest américaine. Il y aura laissé son coeur», conclut Marc Turcot. _