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Naomi Klein : À bas les logos
Dans son livre No Logo, la journaliste torontoise Naomi Klein déboulonne l’industrie du marketing, et attaque la culture du branding. Un autre coup asséné à la société de la surconsommation.
Nathalie Collard
L’heure est à la dissidence. Depuis l’explosion de colère de Seattle, où de simples citoyens, des activistes et des syndicats ont manifesté côte à côte pendant la conférence de l’Organisation mondiale du commerce, on dirait que les gens sont plus sensibles à l’emprise qu’exercent les mégacorporations sur leur vie de tous les jours.
Ce sentiment est renforcé par l’orgie de fusions qui fait la manchette ces jours-ci (la dernière en liste: Rogers et Vidéotron). Devant l’érection de mégastructures virtuelles qui contrôlent aussi bien le commerce que les communications, le consommateur essaie tant bien que mal de reprendre son rôle de citoyen.
La balloune capitaliste va-t-elle finir par péter? Le pouvoir politique va-t-il retrouver sa signification? C’est ce que souhaite Naomi Klein, auteure du livre No Logo: Taking aim at the brand bullies, publié chez Knopf Canada.
Pendant cinq ans, Klein a signé une chronique dans les pages du quotidien Toronto Star. Au départ, on avait demandé à la jeune journaliste (Klein n’avait que vingt-deux ans à l’époque) de livrer son point de vue sur la culture pop. Au fil des semaines, la chronique est devenue de plus en plus politique et s’est déplacée dans les pages éditoriales du journal.
À force d’écrire sur le monde du travail et le marketing, Naomi Klein a eu l’idée de fouiller l’arrière-cour du merveilleux monde de la publicité. Elle a quitté son poste au Star et s’est embarquée dans un long périple qui l’a menée, entre autres, en Indonésie, aux Philippines et en Chine, où elle a rencontré des travailleurs d’usines qui s’échinent pendant de longues heures pour assembler nos iMac et nos kakis Gap.
Aux reportages sur le terrain s’ajoutent des entrevues, des portraits d’entreprises et, surtout, une foule d’exemples de ce que Naomi Klein considère comme étant les excès de la pub dans notre société.
Dans No Logo, Klein – qui lancera une chronique hebdomadaire dans le Globe and Mail début mars- s’intéresse particulirement au phénomène de «culture jamming» (on pense entre autres aux Canadiens Adbusters), une forme d’activisme qui consiste à détourner le sens des publicités en guise de protestation. Un exemple, ces t-shirts sur lesquels sont imprimés des dérivés de logos bien connus comme Fucked (pour Ford) ou Absolut Hangover (pour la vodka bien connue).
La marque avant tout
À l’origine de l’irritation de Naomi Klein, il y a ce sacro-saint concept de branding, un mot très, très à la mode dans le milieu du marketing. Car aujourd’hui, les compagnies ne se contentent plus de vendre un produit, elles veulent imposer leur nom, leur image. Prenez Nike, par exemple. Nike ne vend pas des chaussures. Nike symbolise le sport, la performance. Dans le milieu de la mode, le nom d’Armani personnifie l’élégance; les produits Aveda, la nature; et ainsi de suite. «Je respecte la bonne publicité et je n’ai rien contre les compagnies qui veulent vendre leurs produits, affirme Klein. Avec le branding, c’est une autre histoire. On essaie de nous convaincre qu’en achetant tel produit, on se procure un état d’esprit. On nous vend un mensonge.»
Certaines critiques ont reproché à Naomi Klein de sous-estimer l’intelligence des consommateurs. «Et si l’on choisissait Nike simplement parce qu’ils fabriquent les meilleures espadrilles?» écrivait un chroniqueur du National Post, la semaine dernière.
Mais l’auteure de No Logo persiste: «C’est plus insidieux et complexe que cela. La publicité est partout, elle envahit notre espace culturel. Il n’y a pas une émission de télé, une exposition ou un concert rock qui ne soit commandité. En s’associant à des événements, les compagnies essaient de se donner un sens, une légitimité. Elles se créent une personnalité pour nous faire oublier qu’au fond, elles vendent des vêtements ou du papier de toilette.»
Naomi Klein se désole également du fait qu’on considère certaines publicités comme des formes d’art. «Prenez les dernières pubs de Gap (avec les danseurs de swing) ou celles du iMac. Les gens en parlent comme si cela faisait partie de notre culture au même titre qu’un film ou une pièce de théâtre.»
Mais la publicité FAIT partie de notre culture, non?
«(Silence)… Ouais, vous avez raison… Ce que je déplore, c’est qu’il n’y ait aucune contre-proposition pour faire compétition à cette omniprésence de la pub.»
Selon Naomi Klein, n des effets les plus néfastes de l’envahissement publicitaire est, sans contredit, la présence de publicité à l’école, dernière chasse gardée des purs et durs. On connaît le dossier. Au Québec, quand Pepsi, ou Coca-Cola, tente d’entrer dans un établissement d’enseignement, il est souvent accueilli par une levée de boucliers. «Ce n’est pas la présence de Pepsi comme fournisseur de boissons gazeuses qui me dérange, explique Naomi Klein. C’est ce qui vient après: les concours, les pubs, les activités portant le logo Pepsi. Et le pire, dans tout ça, c’est que leur contribution financière n’est pas aussi importante qu’on le laisse croire. Malheureusement, il est souvent impossible d’avoir accès aux contrats d’exclusivité, sous prétexte que c’est un secret industriel. Au fond, les écoles ne se tiennent pas debout dans cette affaire. Elles pourraient exiger tellement plus car elles ont quelque chose de très précieux à offrir: un marché captif.»
Klein cite en exemple le cas des étudiants de l’Université Harvard qui, en échange d’un contrat d’exclusivité avec Pepsi, ont obtenu que la compagnie se retire de Birmanie, où sévit un gouvernement totalitaire. «Voilà un levier de négociation intéressant que les étudiants devraient utiliser davantage.»
Le syndrome du panneau d’affichage
Lors des dernières présentations de haute couture, à Paris, on a vu défiler des mannequins portant des ensembles recouverts de logos Chanel ou Vuitton. Pas besoin d’être futurologue pour savoir que les fashion victims vont se transformer en panneaux publicitaires le printemps prochain. Sommes-nous toutes des victimes consentantes? Sommes-nous assez informés sur ce qui se cache derrière l’étiquette «fabriqué aux Philippines»?
«Ce n’est pas tellement l’information qui fait défaut, croit Naomi Klein. Je crois que les conditions de travail dans les sweatshops sont connues. Le problème, c’est l’absence de choix pour les consommateurs. Si l’on habite dans les grands centres, on peut toujours décider d’aller chez le designer local, et boycotter des produits comme Gap ou Liz Claiborne. Mais quand on habite en région et qu’il n’y a qu’un centre commercial pour desservir la population, que peut-on faire?»
C’est pour cette raison que l’auteure de No Logo ne croit pas que la pression des consommateurs soit une solution miracle. «Oui, on peut poser des questions aux vendeurs et leur faire part de notre mécontentement mais,au bout du compte, c’est la pression politique qui changera les choses.»
«Je ne veux pas être naïve, poursuit-elle, mais je crois qu’après Seattle, tout peut arriver. Les gens se sont réveillés. Pour la première fois, des citoyens ont fait comprendre qu’ils avaient leur mot à dire dans la nouvelle économie mondiale. Le symbole est important.» _