Société

La semaine des 4 jeudis : La jeunesse en question

Vous passez un bout de février en France. Dans le cinquième arrondissement, à Paris, une brave dame qui reconnaît votre accent du terroir lance la banalité habituelle: «Ah oui, vous, les Québécois, êtes si chaleureux, si accueillants et pleins de simplicité.» Le commentaire réducteur et bien épais vous choque?
Pourtant, nous traitons nos couches sociales comme des touristes.
Comment parler des jeunes sans sombrer dans des généralités? Comment conserver dans son champ de vision les préoccupations contradictoires du skinhead d’Outremont et de l’entrepreneur de 20 ans habitant Saint-Jean-Port-Joli? Comment ne pas prendre pour du cash ce que l’on observe strictement dans nos univers immédiats.

En utilisant la loi de la moyenne, les sondages ont le mérite de permettre de tirer des conclusions. Le sondage Léger & Léger, Voir, Le Point, dont nous reproduisons les grandes lignes dans nos pages, nous apprend entre autres:
Que la jeunesse est majoritairement contre la légalisation des drogues douces.
Que la jeunesse estime avoir été bien éduquée: elle ne se plaint pas du système.
Que la jeunesse n’a pas l’intention d’épouser quelque cause que ce soit.
Que la jeunesse ne se plaint pas majoritairement de sa condition actuelle.
Que les filles sont plus conservatrices que les garçons.
Wow! Dur coup pour les militants de tout poil qui s’empresseront de trouver des explications à ces résultats désespérants pour notre petite gauche québécoise.
Sinon, alors quoi?
Où est-elle, cette tragédie sociale, cette épidémie assassine de valeurs morales dont nous faisons des gorges chaudes depuis 10 ans?
Où est le problème?
Dans la paresse et le désengagement de la jeunesse, diriez-vous? Qui sommes-nous pour en juger?

Non, le problème traîne dans le fossé qui sépare le discours revendicateur et conscientisé entendu sur la place publique des faits révélés par ce sondage.
Le problème, c’est que médias et sociologues de fin de semaine ont défiguré la réalité pour en faire un suje assez choc et assez chaud pour faire des cotes d’écoute et justifier des budgets de recherche.
Avez-vous remarqué que ceux qui réfléchissent aux problèmes des jeunes n’ont que rarement leur âge?
Une clique d’adultes nostalgiques qui rêvent d’un retour des utopies des années 1970 ont-ils kidnappé la cause des jeunes pour la détourner à leur avantage? Quelques sociologues interpellés par la sénescence dans laquelle se complaît la jeunesse muette se sont-ils senti le devoir de leur donner une petite poussée dans le cul? De mettre en scène un drame dont la conclusion déjà écrite justifie un ouvrage très sérieux?
Ceux-là ne sont pas intéressés à prendre en compte la différence entre Kèèèvin et Nicolas-Sacha-Alexandre. Bien au contraire, ils s’acharnent à la recherche de points communs dans cette masse d’individualités, afin de stigmatiser au plus tôt les déboires de la jeunesse.
Nous faut-il absolument afficher une mentalité-catastrophe? Après avoir abandonné de force leurs rêves, les baby-boomers refusent-ils de voir autre chose dans les hésitations, l’apolitisme, le désengagement de la jeunesse, que les spasmes involontaires d’amibes décérébrées? Le pire tout de suite. Tout, mais surtout pas une jeunesse rien qu’un peu insouciante.
La partie apparente de l’iceberg jeune semble polluée par les rejets de métaux lourds. Les trois marginaux de la place D’Youville ne sont rien en regard des bidonvilles de Rio, mais ils ont des gueules d’atmosphère propice au cinéma-vérité. Les piqueries de Parc Extension sont montées en épingle à chaque descente. Et pour chaque ado qui fait une indigestion avec une galette de pot, c’est toute la société qu’on régurgite. Pourtant, un squeegee ne fait pas le Québec et Watatatow ne reste qu’une chronique microcosmique à situer dans une polyvalente du Plateau-Mont-Royal. Mais cette urbanité bruyante arrive tout de même à reléguer au second plan des centaines de banlieues tranquilles d’où ne sortira aucun Kurt Cobain, des douzaines de villes et de villages où de père en fils,de mère en fille, on ne confond pas l’ennui avec le confort. Les mentalités y sont autrement plus conservatrices. Allez faire un tour dans un séminaire sur la recherche d’emploi ou à un congrès bondé des Jeunesses libérales pour vous en convaincre.

À plusieurs égards, ce sondage brosse le portrait d’une jeunesse qui n’affiche que peu de convictions.
Il est facile de voir dans cet apolitisme un symptôme éloquent du morcèlement des sociétés qui mène à leur désintégration.
Plus délicat d’imaginer qu’une génération ait pu finir par comprendre que toute quête du pouvoir mène aux confrontations et, ultimement, à des formes subtiles de violence.
Plus sensé d’imaginer que notre jeunesse se consacre simplement à ses affaires.
Car la jeunesse s’intéresse au fric.
Dans la ville de Québec même, 48 % des jeunes placent leur confiance dans le patronat avant de la placer dans les politiciens ou même dans les organismes à but non lucratif. Plus, à la lumière de ce sondage, les principaux problèmes de la jeunesse québécoise semblent financiers. Les taxes, le système de santé, la pauvreté, le chômage, la réinjection de fonds dans le système public, la baisse d’impôts ne sont-ils pas tous des problèmes reliés au manque de ressources des individus ou des gouvernements?
Pas étonnant que le principal point de litige entre les participants du Sommet de la jeunesse commandé par le gouvernement du Québec porte sur le rééchelonnement ou l’annulation pure et simple de la dette étudiante.

Plus conservateurs, mais aussi visiblement plus optimistes qu’on ne l’eût cru, les jeunes ne semblent prendre qu’un seul grand risque: celui de faire des enfants dès que le couple tient le coup, avant même de s’être trouvé une situation stable. Croient-ils à quelque chose qui se nomme l’amour ou l’espoir? Sont-ils si pressés de s’intégrer en société? Qu’ils se rassurent: on devient vite un vieux con. Ou un donneur de leçons.