Société

Le sort des jeunes en marge des solidarités : Le conflit des générations

Depuis 20 ans, soit de 1980 à l’an 2000, la situation des jeunes au Québec s’est détériorée. Tout dernièrement, une recherche du Comité de la santé mentale du Québec (2000) mettait en évidence les liens entre les difficultés d’insertion sociale des jeunes et leur niveau de détresse psychologique élevé (plus du tiers des 15-24 ans en serait affecté).

Jacques Roy est professeur au cégep de Sainte-Foy et chercheur invité à l’INRS-Culture et Société.
Depuis 20 ans, soit de 1980 à l’an 2000, la situation des jeunes au Québec s’est détériorée. Des indicateurs en témoignent: pauvreté accrue, endettement étudiant plus élevé, précarité de l’emploi et phénomène des McDo jobs, décrochage scolaire, taux de suicides et de détresse psychologique à la hausse, etc. Signe des temps: selon des études, les jeunes formeraient de 25 à 46 % des itinérants au Québec, soit bien davantage que leur poids relatif au sein de la population (Mercier et al., 1994). Tout dernièrement, une recherche du Comité de la santé mentale du Québec (2000) mettait en évidence les liens entre les difficultés d’insertion sociale des jeunes et leur niveau de détresse psychologique élevé (plus du tiers des 15-24 ans en serait affecté).
Pendant la même période, la génération du baby-boom a consolidé sa position – certains diront son confort social et économique. Quant aux personnes âgées, leur situation générale s’est remarquablement améliorée – par exemple, la pauvreté a littéralement fondu chez elles – et l’avenir s’annonce davantage prometteur si l’on s’en tient aux caractéristiques des nouvelles générations d’aînés, plus scolarisés, davantage autonomes et en santé, etc. Pour se représenter le sort des jeunes, le misérabilisme ne convient pas. Cependant, l’existence de formes de marginalisation et la comparaison avec les autres générations révèlent que de nouvelles inégalités sociales sont en marche.

Les inégalités progressives
Bien enracinées depuis deux décennies – peut-être davantage -, ces tendances sociétales poursuivent leur trajectoire en silence, en marge de la rumeur publique et du feu de l’actualité. Elles inscrivent néanmoins les bases d’un déséquilibre générationnel progressif suggérant à certains le scénario d’une guerre générationnelle en germe. Selon Jacques Grand’Maison, les conséquences historiques de la situation des jeunes sont majeures; pour la pemière fois dans l’histoire, la mobilité sociale des nouvelles générations serait descendante.
Aujourd’hui, même s’ils le désirent en regard de leurs valeurs, les jeunes doivent retarder leur projet de fonder une famille. On n’a pas encore examiné les conséquences d’un tel retard sur l’évolution de la société québécoise.
Cet état de situation serait incomplet si l’on ne faisait pas intervenir deux autres considérations, l’une tenant à la démographie, l’autre tenant aux mythes entretenus tant auprès des jeunes que des baby-boomers ou des aînés, et qui se posent en obstacle à l’expression des solidarités intergénérationnelles.
Si la pauvreté a basculé dans le temps d’un extrême à l’autre de la pyramide des âges, il en va ainsi de l’évolution démographique. Six fois plus nombreux que les personnes âgées au début des années 1960, les jeunes sont aujourd’hui presque à égalité en nombre avec le troisième âge. Ce qui signifie que le poids électoral – du moins en nombre – a également changé de direction: les aînés en ont davantage, les jeunes beaucoup moins. Peut-être cela explique-t-il le commentaire de la sociologue Madeleine Gauthier qui soulignait «[…] qu’à la différence de leurs parents, leur (celle des jeunes) contestation n’a pas d’emprise». La loi du nombre laisse présager, pour l’avenir, une érosion de l’influence des jeunes auprès des gouvernements alors que la situation s’inverse chez les personnes âgées, elles qui déjà peuvent compter sur un mouvement associatif bien articulé que d’aucuns qualifient de «lobby gris» puissant. Sur le plan démographique, il s’agit donc d’une tendance lourde.

L’obstacle des mythes
La démographie est aveugle; elle progresse à son rythme, sans entendre raison. Tout comme les mythes! En général, l’opinion publique ne résiste pas à l’idée que les jeunes soient des êtres potentiellement violents, ingrats, paresseux, incultes, ne sachant faire la différence entre la réalité et la fiction (Martineau, 1999); quand ils n’ont pas le crâne rasé, c’est parc qu’ils se sont teint les cheveux en rouge pour nous projeter leur mal de vivre ou leur haine, c’est selon. Les baby-boomers occupent une position dominante dans la société (Dumont, 1986); qualifiée de «génération lyrique» (Ricard, 1994), la «génération des années 1960» est souvent perçue comme égoïste et profiteuse, vivant barricadée dans sa chape de plomb que sont la sécurité d’emploi et les privilèges de l’ancienneté, indifférente au sort des autres dans la mesure où ceux-ci ne sont pas associés à leur bonheur cupide.
Quant aux personnes âgées, on se les imagine volontiers repliées sur elles-mêmes, omnibulées par leurs problèmes de santé, pétrifiées dans leur solitude et, pour tout dire, n’ayant comme seule destinée que celle d’être à la charge de la société au moindre coût (Kart, 1997; Roy, 1998). Verraient-elles un punk dans la rue qu’elles changeraient de trottoir sur-le-champ.
Or ces mythes sabordent le potentiel entre les générations. Ils ne cessent de ghettoïser les générations, d’antagoniser les rapports et de fausser ainsi notre lecture des jeunes et du reste de la société. Ils nous éloignent d’un partage collectif face aux jeunes.

L’avenir en question
À la lutte des classes succédera peut-être la lutte des âges, paradigme du siècle à venir, s’interrogeait l’économiste-démographe Georges Mathews (1984). Le bilan actuel accrédite l’interrogation, tout particulièrement sous l’angle de l’avenir. En ce qui concerne le passé, il serait parfaitement vain de faire le procès des baby-boomers comme responsables de la situation des jeunes (certains ne s’en privent pas). Ou même celui des aînés. La question de la responsabilité collective ne se pose pas en ces termes.
Il faut plutôt prendre acte du déséquilibre générationnel existant dans un premier temps et créer un espace de solidarité intergénérationnelle dans un second temps. La table est mise! Et la société civile, à travers sa vie associative, doit faire écho à l’appel des jeunes.
Ceux-ci ont longtemps intéririsé le poids de leurs conditions et de leurs difficultés d’intégration au marché du travail. Si, dans les années 1980, ils sont demeurés silencieux collectivement, ils se font désormais entendre, notamment sur des questions telles que les clauses «orphelin», le gel des frais de scolarité, la dette ou la pauvreté. Cette nouvelle expression doit nous interpeller afin que les jeunes ne soient pas une génération isolée face à l’État. Et ce dernier ne peut être le seul acteur en cause. Derrière l’État, il faut l’appui de la société civile.
Le terreau des solidarités entre les générations se pose en miroir de ce que nous sommes, de notre volonté d’être en communauté de destin avec les jeunes. Et c’est au prix d’une alliance entre les générations qu’il nous sera possible d’entrevoir l’avenir avec un sentiment de justice sociale.