Société

Le Sommet alternatif de la jeunesse : Bande à part

À défaut de se pointer au Sommet du Québec et de la jeunesse, la Coalition autonome populaire jeunesse a organisé simultanément un Sommet alternatif. Le but? Signifier leur dissidence… et discuter des «vraies préoccupations des jeunes». Un petit frère dérangeant.

Le Sommet du Québec et de la jeunesse prend fin dans la capitale provinciale. Simultanément, à environ un kilomètre de cette rencontre, la Coalition autonome populaire jeunesse (CAPJeunesse) met aussi un terme à ses réunions. À l’église Sacré-Coeur-de-Jésus, des groupes de jeunes dissidents ont célébré pendant trois jours une messe qui n’avait rien d’orthodoxe. Foi de CAPJeunesse! Pas de chant. Pas de communion. Pas de sermon. Mais plusieurs «prières» y ont été formulées afin que le gouvernement tienne compte de leurs revendications. De peur que la montagne du Sommet n’accouche d’une souris et que les jeunes n’y soient tenus au mutisme, CAPJeunesse a voulu réagir avec un Sommet alternatif intitulé «La Base de la jeunesse». Un contre-sommet à contre-courant, certes, mais pas à contrecoeur. Loin de là.

«Une vaste fumisterie pour se faire du capital politique sur le dos des jeunes!» Les termes ne manquent pas chez les adversaires du Sommet gouvernemental. Ces critiques acerbes sont entre autres lancées par CAPJeunesse, qui regroupe quarante-trois organismes représentant des jeunes de tout acabit: assistés sociaux, étudiants, syndiqués, travailleurs autonomes, etc. Certains de ces organismes ont reçu une invitation en bonne et due forme du gouvernement les conviant au Sommet. Mais ils l’ont tous rejetée du revers de la main. Un geste symbolique. Un boycott de boy-scouts qui prennent en grippe les «rencontres artificielles aux politiques préétablies».

Du refus pur et simple de participer au Sommet a germé l’idée d’organiser un événement alternatif composé de spectacles, de manifestations et d’ateliers de discussion. À défaut d’atteindre le Sommet, CAPJeunesse a décidé de faire le sien. «Le but est de laisser le temps aux jeunes de plusieurs milieux d’exprimer leurs idées, de crier, de chialer, mais au moins de dire quelque chose, affirme Patrick Jefford, membre du Comité des jeunes du Syndicat de l’enseignement de la région lavalloise de la CEQ. En regardant le programme du Sommet gouvernemental, on voit bien qu’on a accordé aux jeunes à peine quelques minutes pour faire valoir leurs points de vue. C’est pathétique!»

«Un creux»

«Un Sommet gouvernemental, ouais, plutôt un creux», pensent les membres de la Coalition jeunesse. C’est qu’ils ont déjà goûté à celui de 1996 sur l’emploi. Et ils ne l’ont pas encore digéré. «Le gouvernement a essayé de faire croire qu’il y avait consensus sur l’atteinte du déficit zéro et qu’il avait l’appui des jeunes, mais ce n’était pas vrai. Les groupes de jeunes étaient d’accord avec le déficit zéro, mais avec plusieurs bémols. Le gouvernement n’en a jamais tenu compte et s’est lancé dans les coupures. Ça ne sert donc à rien de participer au Sommet lorsque le gouvernement sait où il veut aller c’est-à-dire: la recherche d’un consensus sur la réduction de la dette] et désire l’imposer», souligne Daniel Vigneault, président de l’Association générale des étudiants en sciences humaines, arts, lettres et communications de l’UQAM qui a voté une semaine de grève pour signifier son opposition au Sommet officiel.

Plus que tout, la Coalition jeunesse se sent trahie par le gouvernement. «Au début, il disait que le Sommet serait fait par et pour les jeunes, mais c’est faux, indique Pascal Durand, vice-président du Syndicat des travailleurs et travailleuses de Terre des Hommes. Il n’y a même pas 50 % de groupes jeunes présents.» Dans les faits, la jeunesse est minoritaire au Sommet. Elle compte quarante-quatre participants sur un total de quatre-vingt-quinze. «Le gouvernement a aussi invité sept cents jeunes à titre d’observateurs… mais sans leur accorder un droit de parole! s’exclame Éric Fontaine, porte-parole du Regroupement autonome des jeunes du Québec. Devant les caméras, ça va faire un beau tapis de jeunes dans le fond de la salle pour montrer à quel point la jeunesse était enthousiaste!» CAPJeunesse a plutôt décidé d’ouvrir les portes d’une église de Québec à tous les «croyants» qui ont foi en la cause des jeunes.

Dissidence

Le savoir et la formation. Les défis de l’emploi. La société équitable. L’ouverture sur le monde.
Le contre-sommet a repris les thèmes abordés dans le Sommet du gouvernement, mais en modifiant l’objet des discussions. «Au lieu de parler de l’ouverture à l’investissement du secteur privé dans l’éducation, sinon pour la dénoncer, nous avons décidé de parler de la qualité de l’enseignement, explique Éric Fontaine. En matière d’emploi, nous avons opté pour discuter de la place des jeunes dans les entreprises et la fonction publique. Pour ce qui est de la société équitable, nous avons décidé d’aborder la question des plus démunis, et non de faire des leçons sur comment devenir un bon citoyen responsable. Et pour l’ouverture sur le monde, nous avons choisi de remettre en question la mondialisation, au lieu de simplement discuter sur comment devenir compétitif.» Bref, CAPJeunese a une tout autre façon de voir les choses.
À côté des sempiternelles discussions philosophiques sur le néolibéralisme et ses dangers, le contre-sommet n’est pas passé outre à quelques débats chauds: la publicité dans les écoles, la fiscalité, le scrutin proportionnel aux élections, l’environnement. Et CAPJeunesse n’a pas manqué d’accorder une tribune aux plus démunis. «Tout une partie de la jeunesse a été oubliée dans le programme du Sommet, et c’est la plus pauvre», affirme Ann Farrell, porte-parole du Mouvement humaniste.
Pour épauler les désoeuvrés, le but de la Coalition semble mathématique: «exclusion zéro» et «pauvreté zéro». Ses revendications paraissent en être le reflet: réinvestissement dans l’éducation (un milliard de dollars), programme d’embauche pour les jeunes et injection de fonds dans les programmes sociaux.
Avec son contre-sommet, CAPJeunesse croit remporter sa seule et unique condition gagnante: la dissidence. «En se tenant en marge, nous délégitimons le Sommet du gouvernement», croit Richard Miron. Mais en levant le nez sur le Sommet, la Coalition a-t-elle un véritable impact sur les décideurs «À force de s’opposer au Sommet, notre voix peut se faire entendre jusque dans les corridors de l’Assemblée nationale, assure Daniel Vigneault. Nous dérangeons, et sensibilisons la population au fait qu’il y a une opposition au gouvernement. Celui-ci ne peut pas dire cette fois qu’il y a consensus, car il existe bel et bien des jeunes dissidents.»