Mgr Jacques Gaillot : La multiplication des liens
Société

Mgr Jacques Gaillot : La multiplication des liens

Le 12 janvier 1995, le Vatican a tenté de se débarrasser de l’évêque français JACQUES GAILLOT jugé trop polémiste. Il a refusé de quitter son poste. On l’a muté à Parténia, diocèse enfoui sous le désert algérien depuis le Ve siècle. Peu importe, le détracteur de l’autorité chrétienne poursuit sa lutte de plus belle sur le terrain mais, aussi, sur Internet. De Paris, où il vit avec quelque 300 sans-papiers, mal logés, sans-le-sou, l’un des moutons noirs de la chrétienté dresse le bilan d’un quinquennat d’exclusion.

Les hautes instances cléricales voulaient jeter Mgr Jacques Gaillot au tapis. Mal leur en pris puisqu’il jouit aujourd’hui d’une influence certaine sur des milliers de fidèles désabusés par la rigidité de la doctrine du Vatican et la sclérose grandissante du tout-puissant régime ecclésiastique.
Maintenant bien implanté sur la toile virtuelle, le diocèse de Parténia bénéficie d’une seconde vie. Seulement pour le mois de janvier, plus de 22 000 entrées y ont été enregistrées, ce qui surprend le principal intéressé, paraît-il. En fait, Mgr Gaillot a conquis de nouvelles ouailles grâce aux avancées de la technologie.
On y vient de partout sur la planète pour consulter le catéchisme électronique et débattre en sept langues des questionnements soulevés par l’évêque et les internautes en quête spirituelle. «On fait une sorte d’église en réseau, illustre le nouveau converti à l’informatique. Parténia, c’est un diocèse sans frontières.»
Cela semble combler un vide non seulement au sein de la chrétienté mais, également, des autres grandes croyances religieuses. «À Parténia, il y a toutes les religions», indique Mgr Gaillot, fier de son coup. Catholiques, musulmans, juifs, etc. s’y retrouvent pour discuter. «Avant tout, nous sommes des êtres humains. Avant d’être noirs ou blancs, nous sommes des citoyens du monde», philosophe le religieux pour expliquer que des dévots de toutes nationalités et allégeances se rejoignent par l’entremise de son diocèse.
Mais n’allez pas croire que l’évêque porte à bout de bras sans aide son site Internet hébergé par un serveur de Zurich. «Il n’y a pas que Jacques Gaillot qui travaille là», expose-t-il. Une vingtaine de bénévoles de partout dans le monde, mais surtout d’Europe, ont besogné à sa création et le maintiennent en activité.
Nous aurons compris que Mgr Gaillot aime bien se servir de l’Internet et que son utilisation lui a redonné la portée qu’il avait lorsqu’il était évêque d’Évreux, près de Paris. En plus, ça lui donne l’occasion de faire parler de lui et de prpager ses vues. Néanmoins, ce ne serait pas suffisant pour le combler. Les internautes sont généralement jeunes, ce qui lui donne accès à une clientèle délaissant l’Église. Toutefois, les exclus, qu’il affirme aimer plus que tout, ne disposent évidemment pas des ressources pécuniaires indispensables pour se brancher. En plus, les contacts électroniques demeurent froids.
«On ne peut pas vivre sans échanges. Ce qui fait vivre un évêque, ce sont les gens», remarque-t-il. Voilà pourquoi il aurait opté pour la cohabitation avec les démunis de la capitale française. Cinq ans après son ostracisme par le Vatican, cette nouvelle vie lui a permis de rebondir. D’ailleurs, il se dit maintenant reconnaissant envers le clergé. «Je remercie Rome pour ce passeport inattendu.» Étant étiqueté comme exclu, il lui serait plus facile d’entrer en contact avec ses fidèles.
Malgré tout, l’Internet lui a ouvert des voies. Régulièrement, des communautés religieuses ou des groupements de dissidents l’invitent en lui envoyant des courriers électroniques. Ainsi, il peut aller sur le terrain et rencontrer les fidèles de Parténia.

Amour inconditionnel
Étrangement, avec le recul que lui permettent les années, Mgr Gaillot soutient ne pas cultiver de rancoeur envers le Vatican. «J’aime l’Église. C’est ma famille, lance-t-il. Je suis fabriqué pour propager l’Évangile.» Il s’avance même un peu plus et estime qu’il peut encore aider le clergé. «J’espère que je rends service à l’Église… Je suis un évêque hors-les-murs.»
Il admet tout de même que le coup a été dur à encaisser. «Je ne m’attendais pas du tout à ça… J’ai positivé. Puisque je ne suis plus à Évreux, ce sera à une échelle beaucoup plus large.» D’où la création du diocèse virtuel.
L’engouement démontré par de nombreux croyants pour les idéaux de l’évêque, considérés comme étant avant-gardistes¬, et la médiatisation de son oeuvre déplaisent-ils à Rome? Peut-être, répond Mgr Gaillot. Cependant, l’auteur de nombreux livres alimentant la polémique ne peut en juger puisqu’l n’est aucunement victime de persécution. Depuis les événements de 1995, le clergé a préféré rompre tous les liens plutôt que de lui donner quelque crédit que ce soit.
Au fait, quelles sont les opinions de Mgr Gaillot qui déplaisent tant? Tout d’abord, il ne croit pas, mais pas du tout, qu’une personne ou un groupe puisse avoir le monopole de la vérité. «On est dans un centralisme autoritaire. On ne peut pas être pareil partout.» Aussi, selon lui, l’Église devrait décentraliser la prise de décisions et faire confiance aux institutions de chaque pays pour adapter le christianisme aux croyances et cultures nationales.
Pénurie de ministres du culte oblige, il est également d’avis qu’un débat en profondeur doit avoir lieu autour de la question: «De quels prêtres avons-nous besoin?» Bien entendu, il a déjà une piste de réponse. Femmes et hommes mariés devraient pouvoir être ordonnés. Sans doute seraient-ils plus près de leurs fidèles, observe-t-il. Et, pourquoi pas des prêtres à temps partiel? «Si on continue avec le même moule, ça n’ira pas loin.»
L’homosexualité et la contraception font également partie de ses sujets de prédilection. Ici, pas de grands débats. «Je pense qu’il faut laisser les gens à eux-mêmes.» Voilà. C’est tout. Vivre et laisser vivre en quelque sorte. Pour Mgr Gaillot, le rôle de l’Église n’est pas de contraindre, mais bien d’aider les consciences, de montrer les enjeux des choix à faire.
L’évêque de Parténia est, par ailleurs, plutôt hédoniste dans sa vision de la vie et de la pratique religieuse. «[Que les croyants] aillent ou pas à l’église, l’important, c’est d’être heureux de vivre! s’exclame-t-il. À quoi servirait de s’éreinter s’il n’y a pas de joie?» Il ne s’émeut donc pas beaucoup de la baisse du taux de fréquentation des lieux de culte. La foi pourrait se pratiquer tout aussi bien dans la vie de tous les jours.
Évidemment, Mgr Gaillot aimerait que Parténia serve d’exemple. Les religions doivent bannir la violence et discuter, s’unir pour la paix et la justice, croit-il. Cmme sur le site Internet, tous devraient interagir et échanger. «Cette diversité doit nous enrichir.»

Révolution en vue
«Des murs tomberont.» Mgr Gaillot prédit avec certitude une révolution pacifique. Les dogmes chrétiens seront contestés. Ne vous attendez toutefois pas à un revirement majeur de la part de l’Église. L’évêque annonce que ce sont les croyants qui la forceront à changer.
Il fonde cette «prophétie» sur l’observation quotidienne des humains. «C’est extraordinaire ce qui se passe à la base… Ils osent dire "je". Ils n’attendent pas qu’on dirige leur conscience.»
Mgr Gaillot espère bien être présent lorsque le vent de changement soufflera sur la chrétienté. Cependant, ne vous attendez pas à le voir alors modifier ses habitudes. «Jusqu’à la fin de ma vie, je serai aux côtés des exclus», prétend-il.
Touché par cela? N’allez surtout pas le rejoindre. Mgr Gaillot ne veut pas que vous alliez vivre avec lui! Déjà, «\il y a toute une nuée de bénévoles» qui l’aident. Restez donc dans votre contrée, clame-t-il. Des exclus à secourir, il y en a partout.