

Sondage Léger & Léger, Voir, Le Point : Watatatow!
Si l’on se fie au sondage que nous avons publié la semaine dernière, les jeunes du Québec ne se portent pas si mal. Les alarmistes qui crient sans cesse à la catastrophe se seraient-ils trompés?
					
											François Desmeules
																					
																				
				
			Vous passez un bout de février en France. Dans le cinquième  arrondissement, à Paris, une brave dame qui reconnaît votre  accent du terroir lance la banalité habituelle: «Ah, les  Québécois, vous êtes si chaleureux, si accueillants et pleins  de simplicité.» Le commentaire réducteur et bien épais vous  choque?
  Pourtant, nous faisons de même avec nos couches sociales.
  Comment parler des jeunes sans sombrer dans des généralités?  Comment conserver dans son champ de vision les préoccupations  contradictoires du skinhead d’Outremont et de l’entrepreneur de  vingt ans habitant Saint-Jean-Port-Joli? Comment ne pas prendre  pour du cash ce que l’on observe strictement dans nos univers  immédiats?
  En utilisant la loi de la moyenne, les sondages ont le mérite  de permettre de tirer des conclusions. Le sondage Léger &  Léger / Voir / Le Point, que nous avons  publié la semaine dernière, nous apprend entre autres:
  Que la jeunesse est majoritairement contre la légalisation des  drogues douces.
  Que la jeunesse estime avoir été bien éduquée: elle ne se  plaint pas du système.
  Que la jeunesse n’a pas l’intention d’épouser quelque cause que  ce soit.
  Que la jeunesse ne se plaint pas majoritairement de sa  condition actuelle.
  Que les filles sont plus conservatrices que les garçons.
  Wow! Dur coup pour les militants de tout poil qui  s’empresseront de trouver des explications à ces résultats  désespérants pour notre petite gauche québécoise.
  Où est-elle, cette tragédie sociale, cette épidémie assassine  de valeurs morales dont nous faisons des gorges chaudes depuis  dix ans?
  Où est le problème?
  Dans la paresse et le désengagement de la jeunesse,  diriez-vous? Qui sommes-nous pour en juger?
  Le fossé
Non, le problème traîne dans le fossé qui sépare le  discours revendicateur et conscientisé entendu sur la place  publique des faits révélés par ce sondage, et celui publié  cette semaine dans La Presse.
  Le problème, c’est que médias et sociologues de fin de semaine  ont défiuré la réalité pour en faire un sujet assez choc et  assez chaud pour faire des cotes d’écoute et justifier des  budgets de recherche.
  Avez-vous remarqué que ceux qui réfléchissent aux problèmes des  jeunes n’ont que rarement leur âge?
  Une clique d’adultes nostalgiques qui rêvent d’un retour des  utopies des années 1970 ont-ils kidnappé la cause des jeunes  pour la détourner à leur avantage? Quelques sociologues  interpellés par la sénescence dans laquelle se complaît la  jeunesse muette se sont-ils senti le devoir de leur donner une  petite poussée dans le cul? De mettre en scène un drame dont la  conclusion déjà écrite justifie un ouvrage très sérieux?
  Ceux-là ne sont pas intéressés à prendre en compte la  différence entre Kèèèvin et Nicolas-Sacha-Alexandre. Bien au  contraire, ils s’acharnent à la recherche de points communs  dans cette masse d’individualités, afin de stigmatiser au plus  tôt les déboires de la jeunesse.
  Nous faut-il absolument afficher une mentalité-catastrophe?  Après avoir abandonné de force leurs rêves, les baby-boomers  refusent-ils de voir autre chose dans les hésitations,  l’apolitisme, le désengagement de la jeunesse, que les spasmes  involontaires d’amibes décérébrées? Le pire tout de suite.  Tout, mais surtout pas une jeunesse rien qu’un peu  insouciante.
  La partie apparente de l’iceberg jeune semble polluée par les  rejets de métaux lourds. Les trois marginaux de la place  D’Youville, à Québec, ne sont rien en regard des bidonvilles de  Rio, mais ils ont des gueules d’atmosphère propice au  cinéma-vérité. Les piqueries de Parc Extension sont montées en  épingle à chaque descente. Et pour chaque ado qui fait une  indigestion avec une galette de pot, c’est toute la société  qu’on régurgite. Pourtant, un squeegee ne fait pas le Québec et  Watatatow ne reste qu’une chronique microcosmique à  situer dans une polyvalente du Plateau-Mont-Royal. Mais cette  urbanité bruyante arrive tout de même à reléguer au second plan  des centaines de banlieues tranquilles d’où ne sortira aucun  Kurt Cobain, desdouzaines de villes et de villages où de père  en fils, de mère en fille, on ne confond pas l’ennui avec le  confort. Les mentalités y sont autrement plus conservatrices.  Allez faire un tour dans un séminaire sur la recherche d’emploi  ou à un congrès bondé des Jeunesses libérales pour vous en  convaincre.
  Le fric d’abord
À plusieurs égards, ce sondage brosse le portrait  d’une jeunesse qui n’affiche que peu de convictions.
  Il est facile de voir dans cet apolitisme un symptôme éloquent  du morcèlement des sociétés qui mène à leur désintégration.  Mais si notre jeunesse se consacrait simplement à ses  affaires?
  En effet, à la lumière de notre sondage, les principaux  problèmes de la jeunesse québécoise semblent financiers. Les  taxes, le système de santé, la pauvreté, le chômage, la  réinjection de fonds dans le système public, la baisse d’impôts  ne sont-ils pas tous des problèmes reliés au manque de  ressources des individus ou des gouvernements?
  Pas étonnant que le principal point de litige entre les  participants du Sommet de la jeunesse commandé par le  gouvernement du Québec porte sur le rééchelonnement ou  l’annulation pure et simple de la dette étudiante.
  Plus conservateurs, mais aussi visiblement plus optimistes  qu’on ne l’eût cru, les jeunes ne semblent prendre qu’un seul  grand risque: celui de faire des enfants dès que le couple  tient le coup, avant même de s’être trouvé une situation  stable. Croient-ils à quelque chose qui se nomme l’amour ou  l’espoir? Sont-ils si pressés de s’intégrer en société? Qu’ils  se rassurent: on devient vite un vieux con. Ou un donneur de  leçons.