Je compte des dizaines de connaissances pour qui le cinéma français représente une certaine intelligence, une certaine idée du raffinement.
Assis devant leur téléviseur, le samedi 19 février dernier, pour assister à la 25e remise des Césars, elles ont été bien déçues.
Si vous l’ignoriez, sachez que les Césars sont une célébration du cinéma français où l’on attribue d’horribles petites compressions dessinées par un sculpteur fumiste en guise de trophées. Meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure actrice, meilleur rôle de soutien, meilleure musique, etc. Les catégories dans lesquelles on distribue ces récompenses sont calquées sur celles des Américains. Bref, les Césars, ce sont les Oscars du pauvre. J’exagère? Attendez.
Certains pouvant croire que des jokes de pets et des claques sur la gueule représentent un degré supérieur de la causticité et du cynisme français, passons sur le fait que l’événement fit l’éloquente démonstration de l’aptitude de nos «cousins» à distiller la connerie foireuse.
Les vents n’auraient pas suffi à déconstiper un auditoire blasé jusqu’à l’os, passons aussi sur un fait établi: hormis les documentaires et la pub, les Français ne savent pas faire de télévision convenable. À moins que vous aimiez les parodies de Baywatch version 32-A ou ces spectacles de variétés pleins de lyp-sinc, animés par des fendants qui s’enfargent le dentier dans des micros gros comme des patates en chocolat.
Bref, comme on dit dans l’Hexagone, à cette 25e remise des Césars, l’humour était con et l’ambiance était naze.
Mais il y a pire.
Obsédés par l’envie d’avoir l’air aussi gros que les boeufs de l’Ouest, nos mangeurs de grenouilles s’offrent chaque année la présence d’une belle grosse vedette américaine, catégorie gros bras de préférence. Des Stallone, Schwarzenegger ou, en l’occurrence cette année, Sigourney Weaver, la tueuse de bibittes gluantes.
Il n’en fallait pas plus pour que le gratin du cinéma français quasi impassible durant l’hommage Jean-Pierre Léaud se sorte enfin les doigts du nez pour sauter sur ses pieds et applaudir à tout rompre.
Est-ce que nous rêvons? La dernière fois que le cinéma français s’est levé d’un bond, n’était-ce pas pour dénoncer l’emprise croissante des Américains sur son territoire? N’ai-je pas entendu comme vous des dizaines d’acteurs et de producteurs français furieux réclamer des lois pour contrer l’invasion? N’a-t-on pas assisté entre-temps à l’intervention de superhéros français tels Astérix et Jeanne d’Arc pour expulser les Anglais hors des salles de France?
Voilà un de ces moments où la main droite ignore ce que fait la main gauche.
«Rive gauche à Paris / Adieu mon pays / De musique et de poésie / Les marchands malappris / Qui ailleurs ont déjà tout pris / Rive gauche à Paris / Adieu mon pays / Adieu le jazz adieu la nuit / Un État dans l’état d’esprit / Traité par le mépris / Comme le Québec par les États-Unis / Comme nous aussi.»
Il y a deux mois, Alain Souchon accouchait de Rive gauche, premier texte anti-mondialisation de l’histoire de la chanson, pleurant l’inexorable disparition de la culture française. Qu’il est loin le temps où il chantait les joies du rock anglais des sixties dans Rock collection.
Où est le brave Souchon en ce soir de février? Sur scène, participant sans gêne à cette cérémonie aussi bien qu’aux hommages ringards à l’ancien président Valéry Giscard-D’Estaing.
Un gros hommage fut aussi rendu durant cette soirée à Martin Scorsese, cinéaste dont la remarquable créativité s’est peu à peu dissoute dans une série de compromis désolants et dont le dernier film est de l’avis général un navet d’une banalité consommée.
Tout s’explique, si l’on considère que le navet en question, Ressusciter les morts, prend l’affiche en France… bousculant probablement un film français, faut-il l’ajouter.
On n’oserait imaginer la réciproque à ce genre d’accueil en Amérique où le dernier acteur français à connaître un semblant de gloire s’appelait Yves Montand… parce qu’il sautait arilyn.
Scorsese n’est pas le dernier des opportunistes. Il fut précédé sur scène par des artistes qui ne sont jamais là pour rien. Quant aux autres…
Bouquet, Depardieu, Serreau, Noiret, les poids lourds du cinéma français n’ont pris la peine de se déplacer. Cette célébration n’est pas la leur puisqu’ils n’y sont pas nominés. Habitués aux feux de la rampe, tous ces acteurs refusent de s’en tenir à des rôles de figurants.
Alors lorsqu’une caméra croque inopinément un Almodovar confiant, dans la salle, soyez-en convaincu: Tout sur ma mère va assurément remporter le César du meilleur film étranger. Question: Est-ce que celui qui passe par Paris gagne automatiquement?
Ne restait guère que la délicieuse jeune première déguisée en sapin de Noël ou dénudée jusqu’à la craque des fesses afin de s’assurer la couverture de Paris Match.
Et j’ai tristement constaté que même le naturel bienveillant de la superbe Emmanuelle Béart a cédé aux influences d’Hollywood. Quelle torture, toutes ces injections de collagène dans sa jolie lèvre boudeuse.