Société

Le Téléjournal / Le Point : Le monde selon Bureau

Ce n’est pas parce que Le Téléjournal de Radio-Canada est moins regardé que son concurrent qu’il est nécessairement moins bon.

Jusqu’à la fin du mois de mars, BBM obligent, on va vous en mettre plein la vue côté programmation. Les réseaux vont utiliser ces cotes d’écoute (artificielles, selon plusieurs) pour fixer les tarifs publicitaires de l’an prochain. Or, qui dit cotes d’écoute ne dit pas nécessairement qualité: le million de téléspectateurs des Machos n’en fait pas nécessairement un bon téléroman. De la même façon, ce n’est pas parce que Le Téléjournal de Radio-Canada est moins regardé que son concurrent qu’il est nécessairement moins bon.

Au cours des dernières semaines, Le Téléjournal /Le Point (du lundi au vendredi 22 h) a présenté une entrevue avec l’historienne Hélène Carrère d’Encausse, un entretien avec le grand chef Alain Ducasse, un reportage sur les pouvoirs et les privilèges, et une série d’entrevues avec des intellectuels témoins du siècle. Qui dit mieux? À la télévision, rares sont les émissions où l’on retrouve une aussi vaste palette de sujets.

On pourrait dire, pour ceux qui aiment les comparaisons, que son animateur, Stéphan Bureau, est à la télé ce que Marie-France Bazzo est à la radio: un personnage cultivé et curieux qui n’a pas peur de mélanger les genres, au plus grand bonheur de son public.

Bureau en est à sa deuxième année aux commandes de l’émission la plus prestigieuse de la SRC. La première année fut éprouvante. Le journaliste, qui avait quitté TVA parce qu’il ne se voyait pas faire ce métier toute sa vie, était attendu au détour. Il faut dire qu’il succédait à une véritable institution, Bernard Derome, qui cédait sa place avec, semblait-il, un peu de réticence.

Les premiers mois, le travail de Stéphan Bureau a donc été scruté à la loupe, pour ne pas dire au microscope, par les critiques de télévision. Le moindre rictus ou froncement de sourcils était analysé en détail. L’animateur avait l’impression d’être un animal de laboratoire. Ce qui n’a pas empêché Bureau et son équipe (minutieusement construite) de poursuivre sur leur lancée.

«Aujourd’hui, je dirais que l’émission me satisfait à 92 %, affirme Stéphan Bureau, rencontré une heure avant son départ pour Ottawa où il allait couvrir le dévoilement du budget fédéral. Nous avons pas mal carte blanche, l’équipe et moi. Il y a un filet éditorial, les patrons regardent ce que nous faisons mais ils n’imposent pas de contraintes.»

Visiblement, Stéphan Bureau est plus à l’aise avec la culture radio-canadienne qu’avec la méthode TVA, et ce, malgré la bureaucratie qui peut parfois être très pesante. Ce qui l’énerve, c’est la comparaison entre les performances de son Téléjournal et celles, supérieures, du bulletin de nouvelles de Simon Durivage.

«Nous avons fait un virage audacieux et c’est bien évident qu’on aimerait être regardés par le plus de personnes possible, dit-il. D’autre part, il y a des limites à accepter que la seule sanction valable, ce soit les cotes d’écoute. Comment se fait-il qu’on applique à la télévision des paramètres qu’on ne retrouve pas dans d’autres secteurs? Est-ce qu’on dit que Le Devoir est moins bon que Le Journal de Montréal parce qu’il a dix fois moins de lecteurs? Non. Nous offrons quelque chose de différent et quand nous réussissons à attirer plus de deux cent mille téléspectateurs avec une entrevue dite sérieuse, je crois que nous avons réussi quelque chose.»

Stéphan Bureau sera en poste jusqu’à la fin juillet puis reprendra le collier à la mi-août, avant de s’envoler pour Sydney où il ira couvrir les Jeux olympiques.

À la même date l’an prochain, il prendra du temps pour réfléchir et dresser un bilan personnel de son expérience au Téléjournal /Le Point. «Si je ne suis pas content de la performance de l’émission, dit-il, ce sera à moi, et uniquement à moi, d’en prendre acte. Je n’attendrai pas qu’on me dise: "Il faut revoir la formule" pour prendre ma décision.»

Stéphan Bureau se prépare-t-il une porte de sortie? Espérons que non.

The Beat
Jean Leclair, un fidèle lecteur de Voir, nous fait remarquer à quel point les abonnés de la télé numérique sont chanceux. Dès le 21 mars, ils pourront voir la nouvelle série policière de Barry Levinson et Tom Fontana, les créateurs de Homicide:Life on the Street. Cette série sera diffusée sur les ondes d’UPN aux États-Unis et sur City TV, au Canada anglais, deux stations disponibles à Montréal via la télé numérique ou avec une antenne parabolique.

En attendant qu’un diffuseur canadien achète les droits de cette série, on peut toujours se rabattre sur le site Internet d’UPN www.thebeattv.com où l’on diffusera quatre mini-épisodes de quelques minutes qui introduiront les principaux personnages de la série. Mince consolation. On peut également se tourner vers Séries + (à condition que les traductions ne vous rendent pas malades) pour revoir tous les épisodes de l’excellente série Homicide, présentée les mercredis à 21 h.

Coup d’oeil
Planète Pub
Fenêtre privilégiée sur la production publicitaire internationale, Planète Pub reçoit cette semaine l’imprévisible Marc Labrèche qui, avoue-t-il candidement, n’aime pas beaucoup la pub. On lui en montrera tout de même de très bonnes, dont une excellente campagne allemande qui traite avec beaucoup d’humour de la délicate question du néonazisme. On pourra également voir des pubs britanniques, toujours très percutantes. Dimanche 5 mars, 16 h 30, en reprise à 23 h 30. TQS.

Judith Jasmin: Televising the revolution
Le 8 mars, le reste du Canada va faire la connaissance d’une des plus grandes journalistes que le Québec ait connues: Judith Jasmin. Il paraît que la plupart des Canadiens n’ont jamais entendu parler d’elle. Choquant? Sans doute. Mais pas davantage que l’ignorance d’un groupe d’étudiants en journalisme de l’UQAM qui étudient dans un pavillon qui porte son nom mais qui n’ont pas l’air de savoir qui elle était.
Le documentaire de Maureen Marovitch et David Finch est donc une belle occasion de découvrir (ou redécouvrir) cette femme à la carrière admirable. Présenté dans le cadre de la série The Canadians, sur History Television, ce film d’une heure brosse un tableau très complet du personnage. À travers les témoignages de collègues et amis (dont Pierre Nadeau, Julie Miville Deschênes, Francine Bastien et sa biographe, Colette Beauchamp), on découvre une femme passionnée (sa vie amoureuse fait désormais partie de la légende) et une journaliste tout entière dévouée à son métier. Des films d’archives nous permettent de voir Judith Jasmin en reportage à l’étranger (elle fut l’une des premières reporters à l’international avec René Lévesque) et en entrevue.
Son histoire permet également d’apprécier le progrès réalisé par les femmes en journalisme, un métier pas toujours compatible avec la maternité et les obligations familiales.
Judith Jasmin, dont le nom est synonyme de professionnalisme et de qualité, a connu une fin de carrière plutôt révoltante puisque Radio-Canada l’avait assignée aux faits divers et à la mode, elle qui avait parcouru le monde et qui était d’une intelligence au-dessus de la moyenne. Elle est morte à cinquante-six ans des suites d’un cancer. Espérons qu’un réseau français achètera cet excellent documentaire présenté le mercredi 8 mars, 21 h.