Ateliers à la terre : Culture générale
Société

Ateliers à la terre : Culture générale

Planter des légumes pour sortir de l’exclusion, l’idée peut paraître bizarre. C’est pourtant le pari que prend depuis 1997 les Ateliers à la terre, un projet communautaire qui permet à des jeunes chômeurs et assistés sociaux de se sortir de la marginalité par un retour à la terre, le temps d’un été.

«Même ma moyenne aux quilles a augmenté!» Ce n’est qu’une boutade, mais elle en dit long sur le chemin que Mélanie a parcouru depuis l’été dernier. Mélanie a 23 ans et elle vient de terminer son secondaire V. Elle a pris cette décision importante après avoir participé aux Ateliers à la terre, un projet communautaire de réinsertion sociale qui lui a littéralement donné des ailes. «Depuis que je suis petite, j’ai toujours eu des problèmes de confiance en moi, dit-elle. Au secondaire, ça s’est accentué, les professeurs me disaient tout le temps que je n’étais pas bonne alors j’ai abandonné l’école. Tu finis par croire ce que les gens te disent.» Pas de confiance, pas de diplôme, pas de travail: le parcours de Mélanie ressemble à celui de plusieurs jeunes prestataires de l’aide sociale. Un parcours qui l’a progressivement isolée d’une société qui lui faisait peur et qui lui a échappé. Jusqu’à l’été dernier, elle ne voyait pas comment elle pourrait se raccrocher un jour au monde du travail. Pour Mélanie, l’exclusion, c’est beaucoup plus que l’image d’un punk mendiant dans la rue. «L’exclusion, c’est quand tu ne sais même plus comment faire pour avoir une vie sociale, quand tu n’as plus de réseau de connaissances, comme si ta vie ne dérangeait personne et que personne n’avait besoin de toi. Tu en viens à te sentir complètement inutile. C’est ça qui est dur.»

Après avoir passé tout un été à jardiner avec neuf autres jeunes qui se trouvaient dans une situation semblable, elle sourit lorsqu’elle affirme avoir réussi à briser la spirale de la marginalité dans laquelle elle s’enfonçait depuis la fin prématurée de son secondaire. «L’expérience des Ateliers à la terre a vraiment été un nouveau départ pour moi. J’ai pris conscience que je pouvais réaliser des choses concrètes.» À preuve, elle a décidé de terminer cette année son secondaire V. Toujours prestataire de l’aide sociale, Mélanie entend commencer ce printemps, diplôme en poche, une recherche active d’emploi dans le domaine de la production maraîchère, un travail qu’elle a appris à connaître et qu’elle adore.

Le travail de la terre, une philosophie et un prétexte de réinsertion

Le principe des Ateliers est simple. Dix jeunes, entre 16 et 30 ans, participent d’avril à mai à gérer un jardin potager biologique sur l’ancienne base de plein-air des Soeurs de la Charité à Beauport, juste à côté du centre hospitalier Robert-Giffard. Des semis à la récolte, en passant par l’entretien et l’arrosage, tout y passe. Le groupe exploite même des ruches et commencera l’été prochain à offrir aux visiteurs la possibilité de pêcher des truites ensemencées dans un immense bassin attenant aux jardins. Le tout est organisé et parrainé par le centre communautaire Jacques-Cartier, mieux connu pour abriter le Tam-tam café. Pourtant, l’idée des Ateliers n’est pas tant de former de futurs agriculteurs que d’offrir à des jeunes une chance de reprendre contact avec le monde du travail dans une ambiance moins éprouvante que celle d’une «jobine» au salaire minimum. «Nous ne sommes pas vraiment des employeurs», souligne Francine Hamel, coordonnatrice du projet. «Les jeunes qui viennent ici n’ont pas le même stress que s’ils travaillaient pour un entrepreneur.» Elle précise que l’expérience ne vise pas non plus nécessairement à former de futurs jardiniers. «Nous croyons à la philosophie de l’autosuffisance et de la production biologique, mais, à la limite, le travail en tant que tel importe peu; c’est un prétexte. Ce qui est important pour les jeunes qui viennent nous voir, c’est qu’ils puissent se servir de l’expérience pour reprendre confiance en eux, pour apprendre à vivre en groupe, pour prendre le rythme du monde du travail, le tout dans une ambiance axée sur des valeurs communautaires et respectueuses de la personne. À la différence des employeurs habituels, on ne cherche pas le profit à tout prix.» Les jeunes qui participent au projet ne sont d’ailleurs pas payés. Comme ils sont cependant majoritaires à être prestataires de l’aide sociale, ils peuvent bénéficier d’une majoration de leur chèque mensuel lorsqu’ils s’inscrivent. Atout non négligeable, ils reçoivent de plus une partie de ce qu’ils produient, ce qui peut faire considérablement baisser le prix du panier d’épicerie, le tout avec des produits biologiques certifiés sans OGM, s’il vous plaît.

Pour Claude, ex-toxicomane et ex-prestataire de l’aide sociale, les Ateliers à la terre ont véritablement joué ce rôle de chaînon entre deux vies. Selon lui, même s’il est difficile de ne pas avoir d’emploi, c’est cependant une «habitude» difficile à perdre. «Quand tu prends le rythme de te lever tard, de vivre tout seul, petit à petit, ça se referme sur toi. Tu deviens prisonnier de cela, ce n’est même plus une question de volonté. À un moment donné, la corde est coupée. Même si on m’avait donné une job sur un plateau d’argent, avant d’avoir fait les Ateliers, je n’aurais pas été capable de la conserver.» Claude travaille maintenant dans le domaine de l’imprimerie, et même Sylvie, sa blonde, ne le reconnaît plus. «Quand Claude a commencé à travailler aux Ateliers, il a vraiment changé. Il ne sortait presque pas, avant, et là il s’est mis à travailler dehors tous les jours. À la fin de l’été, il était super musclé et tout bronzé; un méchant pétard!»

Évidemment, les techniques du jardinage ne passionnent pas tout le monde, mais même là, certains y trouvent des vertus thérapeutiques. C’est le cas de Renée-Claude qui est allée aux champs après avoir terminé un baccalauréat en sociologie. Pour elle, le travail manuel aide à reprendre contact avec l’essence de la vie. «Maintenant, les gens travaillent et ne voient même pas leur paye qui est déposée directement dans leur compte. Puis, ils font leurs achats par carte; c’est totalement abstrait. Quand tu sèmes tes plants, quand tu les entretiens et que tu les récoltes, tu vois les conséquences directes de tes actions. C’est vraiment du concret, ça fait du bien.» Claude abonde dans le même sens. «Ça peut paraître bizarre, mais quand j’ai récolté mon premier rang de petits pois, des pois que j’avais semés, j’ai vraiment eu l’impression que j’avais été utile, que j’avais servi à quelque chose; c’était un peu comme mon bébé!»


Objectif: des légumes biologiques pour tous

Les produits biologiques ne sont généralement pas à la portée des moins nantis. Les contraintes de production et sa petitesse font que les prix des produits «bios» sont généralement plus élevés que ceux de leurs frères génétiquement modifiés et/ou traités aux pesticides. Le centre Jacques-Cartier, qui parraine les Ateliers à la terre, entend briser la tendance. Chaque été, le centre permet à 20 familles pauvres de bénéficier gratuitement d’un panier de légumes biologiques par semaine, de juillet à septembre. De plus, les personnes qui veulent acheter biologique peuvent également réserver leur panier hebdomadaire pour une durée minimum de 12 semaines, une action qui finance les Ateliers à la terre et qui permet de produire à moindre coût. Le but? Promouvoir les valeurs de l’agriculture biologique et de son importance environnementale en misant simplement sur le goût et la qualité des produits. Francine Hamel n’en démord pas. «Avec le bio, on redécouvre le goût des choses.» Pour informations: centre Jacques-Cartier, 523-6021