Société

Droit de cité : La faute à Montréal

Paraît que vous vous êtes pas mal excités, l’autre soir, à Québec. Pas vous en particulier, ni un autre, d’ailleurs, mais «vous», un vous général qui indéfinit plus qu’il ne définit, un vous dissoluble dans la masse.
Le chef de la police du Village du Bonhomme Carnaval a trouvé les coupables du Soulèvement de Québec d’il y a deux semaines, pendant le Sommet de la jeunesse (pour ne pas dire de la jeunotte): c’est vous. Voyez par vous-même: «Ça venait de Montréal, ce monde-là…», a-t-il confié à la presse, après une enquête de longue haleine de trois jours ouvrables, avec des espions «undercover» aux quatre coins du poste de police, dont deux entre la machine à café et la distributrice à bonbons, qui ont remonté le Saint-Laurent jusqu’à la source de ceux qui ont terni le vernis du chef-lieu de la province. À Montréal.
Donc, pour Québec, le message que certaines personnes ont envoyé dans la boîte vocale du gouvernement, ces bouteilles à la mer en forme de cocktails Molotov et ces points à l’ordre du jour aux couleurs de boules de billard, bien c’était: «Un message de… une personne de l’extérieur…»
Et voilà la réputation de village à la Hansel et Gretel de Québec lavée au désinfectant.
En effet, comment les rejetons d’une immaculée capitale pourraient-ils devenir des casseurs? Je vous le demande!
Passons sur l’accusation facile. Ceux qui viennent d’ailleurs ont en général le dos large. Et Québec n’a pas le monopole à ce chapitre. Par exemple, en Floride, quand un front froid descend sur la péninsule et menace de transformer les orangeraies en Minute Maid, le météorologue de la télé dit toujours «a cold front from Canada», comme si le Canada empaquetait les fronts froids en conserve et les «shippait» illégalement vers les États-Unis.
Passons outre, donc, à ces accusations un peu faciles de la menace extérieure. Au-delà, on note que les propos du chef de police expriment parfaitement l’opinion générale qui règne au Québec au sujet de Montréal.
Voyez-vous, le Québec n’aime pas Montrél.
C’est en sillonnant les régions, bien au-delà de Saint-Hyacinthe ou de Joliette, qu’on se rend compte à quel point on déteste Montréal en province.
C’est gros, ça prend de la place, ça pue, ça siphonne toutes les énergies des régions. C’est de Montréal que viennent le crime, la misère, la pollution, la menace au français. Et maintenant, c’est à Montréal que se fomentent les mouvements séditieux. En rase campagne, le Montréalais est décrit comme la prétention faite chair et os.
En 1995, Eldorado, le film de Binamé, faisait salle comble à Montréal, dans les grandes salles commerciales. En outre, critiques comme spectateurs ont salué Binamé pour avoir réussi à capter l’image, l’odeur et l’esprit de Montréal dans son film, une rareté au cinéma.
À Québec, le film n’a pas fait deux semaines au Clap, l’équivalent du Cinéma Parallèle là-bas. Le distributeur du film s’était même payé une page de publicité dans les journaux locaux, pour dénoncer l’esprit «provincial» des habitants de la capitale. La mesure était peut-être extrême, et le vocabulaire, un peu grossier. Mais, juste à voir les réactions que cela avait suscitées, il avait mis le doigt sur le bobo.
Ce n’est pas au distributeur qu’on s’était attaqué, mais à Montréal dans son ensemble, dans le genre: «C’est quoi ces prétentions de Montréal de venir dire ce qu’il faut aimer quand on va aux vues…»
Mais qui sont ces Montréalais qu’on déteste tant?
Mettons qu’on ne considérerait comme Montréalais que ceux dont les ancêtres ont labouré la côte de Beaupré. Mettons, et c’est seulement une supposition pour les besoins de la démonstration scientifique. Qui seraient ces Montréalais? En connaissez-vous beaucoup, des vrais Montréalais, des gens nés ici et élevés dans une ruelle du Plateau ou d’Hochelaga-Maisonneuve?
Mettons, donc, qu’on ne considère que ces gens, d’où viennent-ils? De Québec. De la Beauce. Des Cantons-de-l’Est, de Trois-Rivières. Il existe carrément des diasporas de l’Abitibi et de la Gaspésie à Montréal.
Entre deux crack de l’informatique et trois chanteurs/chanteuses fabuleux/fabuleuses de l’Abitibi qui bâtissent en ce moment le Nouveau Québec à Montréal, il y a aussi toute une bande de petits morveux – de la façon dont on les imagine aisément dans les paisibles banlieues -, qui viennent de Québec ou du Saguenay, à la recherche d’un peu d’espoir. Comme si, en quittant la pauvreté la plus visible, celle d’être le pauvre du village, pour se fondre dans la grande masse, on devenait moins pauvre. (Et quand un pauvre se retrouve entouré d’autres pauvres, ils s’organisent en regroupements de pauvres et vont casser la fête du pouvoir, dans la capitale.)
C’est le rôle des métropoles. Un déversoir des petites misères et des grands espoirs. Ou si vous préférez, le système digestif du pays. C’est pas toujours joli, pas toujours réussi, mais c’est essentiel à la nation.
Alors, quand le Québec n’aime pas Montréal, il se déteste un peu aussi.