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Jean-François Lisée : C’est par où, la sortie?
L’idée de souveraineté perd des plumes, et Chrétien refuse de réformer le fédéralisme. Que faire? Dans Sortie de secours, son pamphlet explosif publié chez Boréal, JEAN-FRANÇOIS LISÉE, ex-conseiller spécial de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, propose une façon de sortir de l’impasse: établir une liste de revendications, et soumettre cette liste au scrutin populaire. Bref, organiser un référendum sur les besoins modernes du Québec, afin de forcer Ottawa à négocier une nouvelle balance des pouvoirs. Rêve ou possibilité? Rencontre avec un indépendantiste lucide.
Richard Martineau
Photo : Benoit Aquin
L’idée de souveraineté perd des plumes, et Chrétien refuse de réformer le fédéralisme. Que faire? Dans Sortie de secours, son pamphlet explosif publié chez Boréal, JEAN-FRANÇOIS LISÉE, ex-conseiller spécial de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, propose une façon de sortir de l’impasse: établir une liste de revendications, et soumettre cette liste au scrutin populaire. Bref, organiser un référendum sur les besoins modernes du Québec, afin de forcer Ottawa à négocier une nouvelle balance des pouvoirs. Rêve ou possibilité? Rencontre avec un indépendantiste lucide.
Jean-François Lisée, cette semaine, un sondage SOM dévoilait que 69 % des Québécois ne veulent pas entendre parler d’un troisième référendum portant sur la souveraineté du Québec. Ça vous surprend?
Pas du tout. Nous sommes dans la même situation qu’au début de 1995, alors qu’une majorité de Québécois ne voulait pas de référendum – ce qui n’a pas empêché 94 % des électeurs de se présenter aux urnes lorsque le PQ a organisé son référendum à la fin de l’année. Comme l’a dit Jean Charest dans un de ses rares moments de lucidité: «Ce n’est pas parce que les gens ne veulent pas de référendum qu’ils n’iront pas voter si on décide d’en organiser un.»
Même si les électeurs disent ne pas vouloir d’un référendum, il arrive un moment où il faut faire preuve de leadership. Le gouvernement doit se dire: «Est-ce dans l’intérêt des Québécois de tenir un référendum? Et si on décide d’en tenir un, allons-nous le gagner?» Or, c’est ça, le problème, actuellement: tous les sondages font état d’un recul important de l’option souverainiste. Si le gouvernement Bouchard organisait un référendum sur la souveraineté dans les prochains mois, il le perdrait. Alors que s’il organisait un référendum portant sur les besoins modernes du Québec, comme je le propose, il le gagnerait. On n’a qu’à regarder les résultats du dernier sondage Léger & Léger: si le référendum que je propose était tenu, 84 % des électeurs souverainistes (et une écrasante majorité des moins de quarante-cinq ans) voteraient Oui. Si le gouvernement et le Parti québécois adoptaient cette stratégie, ils seraient en complète symbiose avec leur base électorale, et reprendraient contact avec la jeunesse québécoise.
Disons que le gouvernement Bouchard organise ce référendum, et que les Québécois votent Oui à très forte majorité: 60 ou 65 %. Qu’est-ce qui vous dit que le gouvernement fédéral accepterait de négocier cette entente? Ça fait des années qu’il refuse de négocier quoi que ce soit avec le Québec. On se heurte toujours à une porte fermée. ourquoi serait-ce différent cette fois-là?
Parce que le peuple aurait parlé. Le gouvernement et l’Assemblée nationale serait forts de l’appui du peuple québécois – ce qui n’était pas le cas avec Meech. Les électeurs n’avaient pas entériné les demandes du gouvernement du Québec.
D’ailleurs, c’était le cauchemar du gouvernement fédéral, à l’époque. Le chef de cabinet de Mulroney avait une peur bleue que Robert Bourassa n’entérine ses demandes par la voie d’un référendum, et qu’il se pointe à Ottawa en disant: «Voici ce dont le Québec a besoin, et cette liste reçoit l’appui de 63 % des électeurs.» Ça les aurait mis dans l’embarras, ils n’auraient pas pu rejeter ces demandes du revers de la main. Malheureusement, Robert Bourassa n’a pas osé. Il avait toutes les cartes dans son jeu pour gagner, mais il ne l’a pas fait.
Je reviens à ma question: qu’est-ce qui nous dit que Jean Chrétien accepterait de négocier un partage des pouvoirs avec le Québec, alors que toutes ses décisions vont plutôt dans le sens d’une plus grande centralisation?
C’est clair que le gouvernement Chrétien refuserait de négocier une entente. C’est pourquoi je dis qu’il faut organiser ce référendum rapidement, avant les élections fédérales prévues pour l’an prochain. Si les Canadiens réélisent Jean Chrétien, ça veut dire qu’ils ne veulent pas négocier. On ne perdra donc pas notre temps à cogner à leur porte. Ils nous enverraient un message non équivoque…
Ce qui légitimerait le gouvernement Bouchard d’organiser un deuxième référendum portant sur la souveraineté! Votre tactique ressemble à la fameuse «cage à homards» de Jacques Parizeau: elle nous pousse vers l’indépendance. C’est une façon ratoureuse de forcer les Québécois à sortir du Canada. Ça sent la stratégie à plein nez…
D’abord, vous leur proposez de prendre la sortie de secours. Et quand les Québécois se cogneront le nez sur cette porte, quand ils se rendront compte qu’elle est condamnée, vous leur direz: «Désolé, on n’a pas le choix, nous deons sortir par la grande porte.»
Écoutez, il n’y a pas de stratégie. Ce que je vous dis, je le pense de bonne foi. Contrairement à vous, je ne suis pas convaincu que la sortie de secours soit bloquée.
Premièrement, les Canadiens, à la suite d’une victoire d’un référendum portant sur les besoins modernes du Québec, pourraient choisir de nous envoyer quelqu’un d’autre que Jean Chrétien. Ils pourraient se dire: «Bon, le peuple québécois veut négocier une nouvelle entente. Si nous voulons garder le Québec dans la fédération, il faut élire un premier ministre plus flexible.»
Vous croyez vraiment que les Canadiens changeraient de premier ministre pour faire plaisir au Québec!?
Pourquoi pas? Quand tu vis dans un pays binational, il faut que tu t’occupes de l’autre nation une fois de temps en temps, sinon ça ne marche pas.
Et puis, rien ne nous dit que les Québécois décideraient de sortir du Canada si jamais Chrétien était réélu ou si les négociations avec Ottawa achoppaient. Ils pourraient décider d’être patients, en se disant que de toute façon, les jours de Chrétien à la tête du gouvernement sont comptés… Mais au moins, les choses seraient claires: les Québécois se seraient dit Oui à eux-mêmes, ils auraient identifié leurs besoins.
Dans la série qu’il a écrite pour La Presse, Alain Dubuc affirme que tout ça est une perte de temps. Pendant qu’on tergiverse sur d’éventuels référendums ou des sorties de secours virtuelles, on ne consacre pas nos énergies à consolider notre système de santé, notre système d’éducation, nos finances. Qu’en pensez-vous?
C’est bien beau, consacrer nos énergies au système de santé et au système d’éducation, mais si nous ne contrôlons pas nos propres leviers, si les décisions majeures sont prises à Ottawa, à quoi bon?
Actuellement, les pouvoirs qui nous permettraient d’avancer sont à Ottawa! Prenez les fameuses Bourses du millénaire, par exemple. Si on avait investi notre part de ce programme (sept cents millions de dollars) dans léducation il y a trois ans, on aurait réglé plusieurs problèmes. Mais le fédéral nous a dit: «Non, vous ne pouvez pas utiliser cet argent-là comme bon vous semble. C’est nous qui décidons où vous allez l’investir…» Le gouvernement fédéral a créé un programme national qui ne tient absolument pas compte de nos besoins spécifiques. Et pourquoi? Pour des raisons identitaires, c’est tout. Pour dire: «Regardez, on est là…»
Il y a beaucoup de choses positives dans ce qu’a écrit Dubuc. Mais c’est faux de prétendre que les problèmes constitutionnels disparaîtraient si on s’occupait d’autre chose.
C’est comme si on jouait au hockey, qu’on était sur la défensive, qu’on avait des joueurs malades, et que l’entraîneur dit: «Hé, on devrait aller gérer les stands multimédias dans les gradins!» Et la game, pendant ce temps-là? Elle continue! Et pour le camp adverse, c’est un combat extrême, ils sont prêts à tout pour compter le but vainqueur! Si on ne veut pas perdre, il faut se regrouper, lancer une attaque à cinq et défoncer les défenses de l’adversaire!
Même s’ils aimeraient mieux faire autre chose, il faut proposer aux Québécois une façon de forcer le destin. C’est notre devoir d’État.
La situation est si grave, selon vous?
Oui. En ce moment, je crois que chaque mois compte double et que chaque année compte triple.
Pour le court terme, il n’y a pas de problème: les choses vont plutôt bien ces temps-ci. Mais à long terme, le Québec connaîtra un déclin qui minera son avenir.
Prenons la langue, par exemple. Personnellement, je n’ai pas de problème avec la situation actuelle, je trouve l’équilibre linguistique satisfaisant et je ne demande pas qu’il y ait plus de français à Montréal. Si on pouvait reproduire cette situation dans les prochaines décennies, je serais très content. Mais voilà, ça ne sera pas le cas. Le français va péricliter. C’est un fait indéniable, et aucune étude n’est capable d’affirmer le contraire.
Pendant ce temps, que fait Ottawa? Rien. Le premier ministre,le ministre des Finances, le président du Conseil du Trésor et plusieurs ministres sont francophones. Or, y en a-t-il un qui s’est levé et qui a dit: «On a un problème avec le Québec, il faudrait peut-être qu’on s’en occupe, nous, pays riche du G-7»? Aucun. Ils se désintéressent complètement de ce problème. La seule façon de contrer le déclin du français au Québec, c’est de contrôler nous-mêmes les leviers de l’immigration.
On s’en va vers un pays qui sera à 85 % anglophone. Bientôt, les anglophones occuperont la majorité des postes importants au sein du gouvernement fédéral et à la Cour suprême. C’est maintenant qu’il faut agir, pendant qu’il est encore temps!
On vient d’apprendre que Paul Martin avait caché quatre milliards de dollars dans son portefeuille, qu’il devra dépenser avant les prochaines élections. Que va-t-il faire, selon vous? Il va saupoudrer ça partout au Québec, selon son bon vouloir. Si ça continue comme ça, dans deux ans, Ottawa va dépenser plus d’argent au Québec que le Québec! Et comme vous le savez, c’est celui qui signe les chèques qui décide.
Vous êtes pessimiste…
Il y a de quoi! Les trudeauistes ont actuellement cent milliards de dollars de surplus dans leurs poches; ils ont la capacité d’agir, la volonté d’agir et, depuis le jugement de la Cour suprême, le droit d’agir.
Cette année, vous verrez, le ministre Allan Rock va convaincre les provinces (sauf le Québec) de signer une entente donnant tout le pouvoir sur la Santé au gouvernement fédéral. Ça sera une première dans l’histoire de ce pays.
Ottawa gruge constamment nos pouvoirs, petits pas par petits pas. Sur le coup, on ne s’en aperçoit pas, mais à la longue, ça fait mal…
Imaginons que vous voulez acheter une auto. Vous choisissez le modèle qui vous plaît, mais vous apprenez que vous ne pouvez pas choisir les caps de roue: c’est le concessionnaire qui s’en charge. Vous dites: «Bon, O. K.» Vous voulez un moteur V-8? On vous donne un moteur V-6. Vous voulez une auto noire? On vous donne une auto roge. Finalement, on vous dit que l’auto ne vous appartient pas: vous devez venir la chercher le matin et la rapporter le soir. Accepteriez-vous ça sans broncher? Il y a un moment où assez, c’est assez…
Vous souhaitez que la victoire d’un référendum portant sur les besoins modernes du Québec force le Canada à se débarrasser de Jean Chrétien…
Ce que je propose, c’est une façon de faire sauter le bouchon de Chrétien. Pourquoi? Parce que Chrétien a juste besoin de 46 % des votes lors des prochaines élections fédérales pour dire que son gouvernement a plus de légitimité que celui de Lucien Bouchard. Non seulement Lucien Bouchard a-t-il moins de votes que Jean Charest, mais il aura moins de votes que Jean Chrétien! Vous imaginez la situation? Le premier ministre du Québec se retrouvera dans une position intenable, et Chrétien aura toutes les raisons du monde de continuer d’empiéter sur nos juridictions. Il dira: «J’ai eu raison d’isoler le Québec lors de l’Union sociale, de l’étrangler financièrement, de proposer la loi du cadenas référendaire… Achalez-moi plus!» Il ne retournera même plus les appels de Jean Charest…
Mais si les Québécois votent pour Chrétien, ce sera leur choix!
Non, ce sera le seul choix que les souverainistes leur laissent. Et c’est ça, le drame. Actuellement, qu’est-ce qu’on leur dit? «Si vous voulez l’indépendance, votez pour le Bloc. La victoire du Bloc est l’une des conditions gagnantes.» Or, les Québécois ne veulent pas entendre parler de souveraineté. Ils voteront pour qui, alors? Pas pour les conservateurs, car Charest a quitté le parti. Il ne leur reste donc que le Parti libéral. Actuellement, la stratégie des souverainistes pousse une partie des Québécois dans les bras de Chrétien…
Les souverainistes ont l’air de vous décourager…
Je ne vous cache pas que je suis extrêmement inquiet de la tournure du débat au sein du PQ. J’ai pensé, avec beaucoup de militants péquistes, que le parti allait au moins se donner le temps de réfléchir Je ne dis pas que j’aie raison ni que ma thèse soit la seule valable, mais je croyais qu’on allait au moins en débattre.
Dans plusieurs comtés, des militants ont voté en assemblée générale des résolutions voulant qu’à défaut de faire un référendum sur la souveraineté, le gouvernement puisse organiser des référendums sur d’autres points. Or, on s’aperçoit que ces résolutions sont toutes en train d’être battues.
Bref, d’un côté, le gouvernement dit: «C’est la souveraineté ou rien»; et de l’autre, il ne fait strictement rien pour réaliser cette souveraineté car il sait pertinemment qu’il perdra son référendum s’il en organisait un!
C’est surréaliste. La direction du PQ encourage ses militants à croire à un rêve auquel lui-même croit de moins en moins. C’est la première fois que je vois un gouvernement demander à ses militants de lui couper l’herbe sous le pied et de réduire sa marge de manoeuvre.
En terminant, on voulait organiser un face-à-face entre vous et Alain Dubuc. Vous avez accepté, mais Dubuc a refusé. Qu’en pensez-vous?
C’est son choix. Personnellement, j’ai écrit un livre pour lancer un débat, et je suis prêt à débattre.
Voici la question que propose Jean-François Lisée dans son livre Sortie de secours:
«Compte tenu des besoins actuels et futurs du Québec et de sa situation particulière en Amérique du Nord, donnez-vous le mandat à l’Assemblée nationale et au gouvernement du Québec d’obtenir, au sein du Canada:
1) La capacité d’affirmer et d’exercer, lorsqu’ils le jugent opportun, l’autonomie pleine et entière du Québec en matière:
de langue et de droits linguistiques;
de culture;
de communications;
d’immigration;
d’éducation;
de recherche;
de santé;
de programmes sociaux;
2) la garantie que, comme c’était le cas en 1999-2000, jamais moins des trois quarts des fonds publics dépensés au Québec ne le seront par un autre gouvernement que celui du Québec;
3) la mise en place d’un mécanisme d’arbitrage décisinnel qui puisse trancher les litiges budgétaires majeurs entre Québec et Ottawa;
4) la capacité de gérer la représentation de la réalité québécoise dans le monde en disposant d’une section à part et de personnel du Québec au sein des ambassades canadiennes;
5) l’obtention d’un droit de veto sur toute modification à ces endroits.»