Société

Droit de cité : Le silence des agneaux

Un vieux sage, probablement conseiller en communication de Clisthène (homme d’État grec du sixième siècle av. J.-C. qui a établi la première démocratie d’Athènes), a déjà dit que la meilleure façon pour un politicien de ne pas se retrouver dans l’eau chaude était de ne pas se mouiller. C’est ainsi qu’est né l’ostracisme: ignorez ennemis et controverses, et y en aura pas, de problèmes!

C’est riche de cet enseignement séculaire que le régent de Montréal s’est gardé bien au sec, sur une plage de Trinité-et-Tobago, lors d’un voyage tout aussi énigmatique qu’inutile, quand les deux bourreaux de Richard Barnabé ont retrouvé leurs places à la police de la CUM.

De retour de son périple antillais, c’est tout aussi étanche à la crise qui secoue le service de police de SA ville que Pierre Bourque continue à vaquer à ses mondanités.

«Âllo? Monsieur Bourque? Ça ne vous inquiète pas qu’on meure entre les mains de votre police?» Les Montréalais n’ont toujours pas réponses à leurs questions, quatre ans après la mort de Barnabé, six mois après celle de Jean-Pierre Lizotte, quatre ans après celle de Martin Suazo, neuf ans après celle de Marcellus François, treize ans après celle d’Anthony Griffin.

Le maire n’a fait aucun commentaire ni point de presse, ne serait-ce que pour nous confirmer qu’il est au courant qu’on meurt entre les mains de la police de Montréal. Déjà, si on ne savait que ça, on pourrait toujours espérer. Mais non, rien.

Je dois admettre que je n’ai pas tenté de joindre le cabinet du maire, histoire de connaître sa position sur la réintégration dans la force constabulaire des deux policiers violents, criminellement responsables de la mort d’un homme. Si je l’avais fait, il aurait été trop heureux de prendre le micro tendu pour pointer le bout du gros orteil dans la casserole: «Merci, monsieur Grenier, de nous fournir l’occasion de rassurer la population…»

Ce n’est pas à la presse de donner à Pierre Bourque la chance de réagir. C’était à lui de se la donner. Mais Pierre Bourque n’interrompt ses activités de pacotille qu’en cas d’acte de Dieu: un verglas, un incendie, bref, quand il n’y a personne à blâmer.

Rappelez-vous l’enseignement du vieux sage: pour ne pas vous retrouver dans l’eau chaude, éviter de vous mouiller. Car, si vous le faites, vous risquez d’éclabousser vos ennemis bien armés.

Ce qui est inquiétant, ce n’est pas le silence politique autour du choc de la semaine dernière. Parce que, après tout, la justice existe aussi pour les policiers. Si un juge de la Cour du Québec a statué que le droit ne permettait pas le congédiement des deux policiers, tant mieux pour eux. La justice n’a pas à être sévère ou clémente, seulement à être juste en vertu du droit.

Ce qui est inquiétant, c’est le silence politique face à l’accumulation de bavures policières déguisées à chaque occasion en bêtes erreurs professionnelles.

Des cas isolés. Les cas isolés sont à la déresponsabilisation des autorités ce que la nécessité est à l’invention: une mère. Ils sont l’expression extrême, donc exceptionnelle mais possible, d’une situation latente dans l’ensemble du groupe.

Dans ce cas-ci, on entend invoquer à hue et à dia la nécessaire indépendance policière face au pouvoir politique. Fuck you et bullshit à la fois.

«Il faut laisser les directions des services de police décider des sanctions à infliger aux policiers», a dit le président de la Fraternité des policiers. C’est sûr, s’il fallait que les petits politiciens de paroisse aient le pouvoir de congédier arbitrairement les policiers, on vivrait le retour d’Al Capone.

Mais les politiciens ont la responsabilité de la tenue générale de l’ensemble des troupes. Une responsabilité dont l’administration Bourque (qui représente quand même les deux tiers de la CUM) s’acquitte avec désinvolture. On se contente plutôt d’appliquer des cosmétiques de marque Police de quartier, afin de maquiller des policiers en disciples d’Hare Krishna qui répandent la paix sur Terre.

À moins d’une démonstration prouvant que la méditation transcendantale et le vol yoguique peuvent effectivement venir à bout de la violence et du crime, les policiers doivent parfois user de la force pour faire appliquer la loi et l’ordre. Tout est dans la façon et la mesure. Personne ne leur demande de faire toutes leurs arrestations avec un sourire Wal-Mart. «Au revoir et merci de magasiner au SPCUM!»

Lizotte et Barnabé étaient de pauvres types dont le seul crime aura été de faire du chahut un soir de détresse. Suazo avait piqué une paire de bermudas. Pour ce qui est de Marcellus François, les policiers s’étaient trompés de suspect… Et j’allais oublier ce gars qui s’est fait tirer dans le dos pour le vol d’un pot de fleurs l’an dernier; et ce petit couple pris en flagrant délit de necking dans le stationnement d’un dépanneur en 93, qui s’était fait tirer dessus.

Autrement dit, ça pourrait nous arriver. On a tous déjà piqué, ou fait du tapage nocturne. Et si les flics nous tiraient dessus, il ne faudrait pas compter sur nos élus municipaux pour nous sauver la peau.