Société

Le journalisme en déroute : Autopsie d’un dérapage

En 1996, les médias américains ont affirmé qu’un garde de sécurité était l’auteur de l’attentat qui a fait un mort lors des Olympiques d’Atlanta. C’était faux. Le magazine Brill’s Content retrace l’histoire de cette bévue.

Le 27 juillet 1996, à 1 h 20, les Jeux olympiques d’Atlanta étaient interrompus par l’explosion d’une bombe en plein coeur du parc Centennial, lieu de rassemblement de l’événement. L’explosion tuait une femme et blessait une centaine de personnes. L’endroit était bondé de journalistes, et bon nombre d’entre eux ont délaissé le lancer du javelot pour se transformer en journalistes d’enquête à la recherche d’un coupable, un exercice beaucoup plus excitant il va sans dire.
Dès le lundi, trois jours après la tragédie, le visage de Richard Jewell, le garde de sécurité qui avait trouvé le sac à dos contenant la bombe, était partout. La machine médiatique tournait à plein régime et Jewell a fait la run de lait: CNN, The Today Show, etc.
Mais le héros n’a pas savouré longtemps sa minute de gloire. Le lendemain, dans son édition d’après-midi, The Atlanta Journal-Constitution (le quotidien de l’endroit) affirmait que Jewell était «l’objet principal de l’attention des enquêteurs», une formule détournée qui évite au journaliste d’employer le mot «suspect».
Ainsi débuta l’un des dérapages les moins reluisants de l’histoire du journalisme américain. Dans sa dernière édition, le magazine Brill’s Content décortique l’incident. La journaliste Ann Woolner, qui a travaillé pour The Atlanta Journal-Constitution de 1973 à 1986, a interviewé les principaux journalistes impliqués dans cette affaire. Elle a également relu les dépositions et les transcriptions d’entrevues réalisées par les avocats de Richard Jewell, qui poursuit les médias pour diffamation. (À noter que certains médias, dont NBC, ont réglé hors cour et que le procès n’aura pas lieu avant un an à cause des nombreux délais.)
Au second paragraphe du fameux texte qui a lancé l’affaire, et qui a été lu au complet sur les ondes de CNN, on peut lire: «Richard Jewell, trente-trois ans, est un ancien officier de la paix, et correspond au profil du poseur de bombe solitaire, c’est-à-dire un homme blanc, frustré, probablementancien policier, membre de l’armée ou aspirant policier rêvant de devenir un héros.» Dans The Atlanta Journal-Constitution, cette citation n’était attribuée à personne, même pas à une source anonyme ou non identifiée! Dans le jargon journalistique, on appelle cette pratique «Voice of God» (la voix de Dieu), et on l’emploie qu’avec l’accord des grands patrons d’une publication.
Quelques jours plus tard, toujours dans The Atlanta Journal-Constitution, on publiait une chronique intitulée Quand un héros devient un vilain, dans laquelle l’auteur dressait un parallèle entre Jewell et Wayne Williams, le meurtrier le plus célèbre d’Atlanta!
On a également écrit que Jewell avait sollicité des entrevues avec les médias. Or, une entrevue avec les deux auteurs de l’article en question démontre que ces messieurs n’ont fait aucune vérification avant d’affirmer une chose pareille.
À un moment donné pendant l’interrogatoire des parties impliquées, l’avocat de Jewell a offert à l’éditeur du Atlanta Journal-Constitution de s’excuser auprès de son client, une offre que l’éditeur a décliné, en disant qu’il était désolé pour tous les problèmes qu’avait pu rencontrer Jewell, mais que ses journalistes «n’ont fait que leur travail»…
Cette histoire invraisemblable montre ce qui se passe quand la chasse au scoop prime sur le reste.
Le reportage de Brill’s Content montre aussi comment les journalistes peuvent être utilisés par les forces policières lorsqu’elles veulent intimider un suspect et le «briser». Bref, une histoire fascinante doublée d’une sévère leçon de journalisme, à lire dans l’édition d’avril de Brill’s Content.

Les journalistes et le Net
Imaginez maintenant que l’histoire de Richard Jewell se passe aujourd’hui, à l’heure des CNN.com, msnbc.com et compagnie. Tout le monde le sait: aux États-Unis, la compétition est féroce et les éditions en ligne des grands quotidiens s’entredévorent pour sortir la nouvelle avant le concurrent. BR>La plus récente étude sur le sujet a été conduite par Don Middleberg et Steven Ross, respectivement consultant en relations publiques et prof en journalisme à l’Université Columbia, qui publient régulièrement un rapport intitulé Media in Cyberspace Studies.
Cette fois, ils ont envoyé leur questionnaire aux rédacteurs en chef de 1509 quotidiens et 2500 magazines qui ont répondu dans une proportion de 10 %.
On y apprend entre autres que 83 % des publications ont un site Internet, en comparaison avec 58 % l’an dernier. De plus, 58 % des journalistes interviewés disent utiliser Internet pour la recherche de sources et d’experts pour leurs articles alors que l’an dernier, cette proportion était de 33 %. Enfin, au moins 17 % disent qu’ils rapporteraient des informations trouvées sur le Net sans les faire confirmer ailleurs, ce qui fait conclure aux auteurs que les journalistes oeuvrant sur le Net ont un sens de l’éthique plus élastique que leurs confrères de l’édition papier.
Conclusion juste ou trop hâtive? Les auteurs de cette recherche affirment aussi que la majorité des journalistes (dont l’engin de recherche préféré demeure Yahoo!) ne sait pas utiliser le Net à sa pleine mesure pour la recherche.
À lire à l’adresse suivante: http://www.poynter.org/centerpiece.

Radiothon de CISM
Le septième radiothon de la radio étudiante de CISM se poursuit jusqu’à dimanche. L’objectif est modeste (trente mille dollars), et le choix de Raôul Dugay comme porte-parole, disons, surprenant. Mais à CISM, on nous assure que le discours du poète Nouvel Âge rejoint parfaitement la philosophie de la station. Si vous le dites…
Le reste de la programmation est prometteuse, en particulier le matin où l’on retrouvera, dès 7 h, les hilarants Justiciers masqués (dont nous avons déjà parlé dans cette chronique) qu’on peut entendre habituellement tous les mardis à 13 h. Parmi les invités, Daniel Pinard (jeudi 14 h), Mononc’ Serge, Christiane Charette et Mistress Barbaa. L’événement se terminera aux Foufs, la Mecque des radiothons montréalais, en compagnie du groupe The Urbanauts. Quelques dollars pour une programmation différente, c’est donné, non? CISM, 89,3 FM.

Coup d’oeil
Cette semaine, deux documentaires traitent, chacun à sa façon, des relations entre anglophones et francophones au pays.
Le premier, Mourir en France, relate la journée du 19 août 1942, ou, si vous préférez, le raid de Dieppe qui a coûté la vie à cent hommes appartenant au régiment des Fusiliers Mont-Royal. Ceux qui ont déjà visité le cimetière canadien en Normandie ont pu constater, avec émotion, toute l’ampleur de ce sacrifice raconté avec beaucoup de talent par Carl Leblanc et Luc Cyr. Jeudi 16 mars, 20 h. Télé-Québec.
De son côté, Brian McKenna s’est penché sur l’émeute du 17 mars 1955, cette fameuse explosion de colère populaire à la suite de la suspension de Maurice Richard par le commissaire unilingue anglophone (c’est le réalisateur qui souligne), Clarence Campbell. Les images d’archives valent vraiment le détour. Vendredi 17 mars, 21 h. TVA