Les souverainistes et l'option Lisée : La sourde oreille
Société

Les souverainistes et l’option Lisée : La sourde oreille

Depuis sa parution, Sortie de secours, le livre-choc de Jean-François Lisée, n’a cessé de subir les foudres des dirigeants du PQ. Lorsque les Québécois retourneront aux urnes, dit-on, ce sera pour se prononcer sur la souveraineté, et sur rien d’autre. La sortie serait-elle déjà bouchée?

«En ce moment, chaque mois compte double et chaque année compte triple», nous disait la semaine dernière Jean-François Lisée, à propos de l’importance de tenir un référendum sur les besoins modernes du Québec. Le PQ, lui, ne voit pas les choses du même oeil: à peine sorti des presses, Sortie de secours, le livre de Lisée paru chez Boréal, est déjà mis au ban par l’intelligentsia du Parti. D’un côté, le gouvernement se targue d’encourager un «grand brassage d’idées neuves»; de l’autre, il s’empresse de condamner celles qui s’écartent un peu trop de la bonne vieille recette séparatiste qui mijote depuis des décennies sur le coin du poêle à bois … Schizophrène, vous dites?
Nous avons demandé à des militants souverainistes ce qu’ils pensaient du refus du PQ de considérer autre chose que la souveraineté «par la grande porte»…

Pascal Bérubé
Vice-président sortant du comité national des jeunes du Parti québécois.
«Pour avoir lu le livre de Lisée en entier, je trouve que l’analyse qu’il fait de la situation actuelle est très lucide. Les forces en présence sont complètement disproportionnées: le fédéral possède d’énormes moyens pour intervenir dans les champs de compétence du Québec, et c’est tellement vrai qu’on en arrive à s’habituer à sa présence. En fait, la capacité de s’indigner et de réagir fait terriblement défaut au Québec.
Alors, qu’est-ce qui doit primer: la souveraineté, ou les intérêts du Québec? Lisée nous dit que le Québec doit absolument avancer, parce que les conditions gagnantes pour faire la souveraineté ne nous attendent pas au prochain tournant… Le PQ a donc deux possibilités: ou il se croise les bras en attendant que les augures soient meilleurs, ou il entreprend une consultation sur autre chose que la souveraineté, une option qui est présentement un sujet tabou au sein du PQ.
Pour l’heure, non seulement l’option Lisée est-elle complètement mise de côté, mais on entend de plus en plus parler d’une souveraineté pure et dure, sans projetde partenariat avec le Canada. Ce n’est certainement pas en empruntant cette voie que le PQ va élargir son appui auprès de la population…
Je crois donc que le congrès du PQ en mai prochain sera une date charnière: on va dévoiler le rapport du comité Landry sur la souveraineté, on va tenir un vote de confiance, on va renouveler le programme du Parti… C’est à ce moment-là que nous allons voir si le PQ a toutes les cartes dans son jeu pour faire la souveraineté. Si ce n’est pas le cas, nous devrons retourner à notre planche à dessin, et tenir un débat non pas uniquement sur l’option Lisée, mais sur l’ensemble des moyens d’accéder à la souveraineté et d’augmenter le rapport de force du Québec face à Ottawa.»

Gilles Vandal
Membre de l’exécutif du Parti québécois et directeur du département d’histoire et de sciences politiques de l’Université de Sherbrooke.
«À l’heure actuelle, le PQ évite tout débat: le mot d’ordre est de s’appliquer à garder la ligne dure. Pourtant, le défi auquel font face aujourd’hui les péquistes, et même les libéraux, est celui d’aller rejoindre les Québécois là où ils sont, et non pas de les entraîner dans un dogme!
Comme Lisée, je crois que le fait de tenir un référendum sur les besoins modernes du Québec pourrait donner aux Québécois de goût de se dire oui à eux-mêmes. Mais au PQ, il y a environ deux ou trois mille personnes pour qui le prochain référendum doit absolument porter sur la souveraineté. Ces purs et durs pèsent lourd dans la balance, et empêchent toute idée alternative de faire son chemin. Ces gens-là n’ont pas encore fait leur deuil de la défaite du référendum de 1995. Ils refusent de penser à autre chose qu’à la souveraineté à tout prix. Ils me font penser à la garde de Napoléon, car leur devise pourrait bien être: "La garde meurt, mais ne se rend pas." Je crois qu’ils sont une minorité, mais ils ont une grande influence sur les décisions du premier ministre.
Il ne faut pas perdre de vue que Lucien Bouchard est encore largement perçu commeun outsider par les purs et durs de son parti. Or, il a besoin de leur appui s’il ne veut pas perdre la face au congrès du PQ en mai prochain. Duceppe, lui, a obtenu 87 % lors du vote de confiance du congrès du Bloc québécois. Pour Bouchard, la marche est haute, et il ne veut rater aucune occasion de se rapprocher des idées de son parti…
Le plus grave, c’est que cette stratégie est en train d’enlever toute marge de manoeuvre au gouvernement: à force de répéter que le seul référendum envisageable devra porter sur la souveraineté, le gouvernement se ferme des portes pour plus tard. Après ça, Bouchard ne pourra plus jamais tenir un référendum sur autre chose que la souveraineté sans perdre la face! En fermant la porte au débat, je crois que le PQ est tranquillement en train de mettre les pieds dans une cage à homards, et ça pourrait lui coûter cher…»

Charlotte Bergeron
Ancienne membre de l’exécutif du Parti québécois, et militante souverainiste de longue date.
«Je trouve dommage que les gens aient balayé l’option Lisée du revers de la main, sans autre forme de procès. Au congrès du Parti québécois, la fin de semaine dernière, j’ai voulu aborder la question mais, comme par hasard, on a manqué de temps pour lancer le débat…
La décision du PQ de ne pas tenir de débat sur l’option Lisée ne vient pas de la base du Parti, mais bien du haut: c’est dans les couloirs que ça se passe… Les militants purs et durs sont tellement convaincus de détenir la vérité qu’ils font appel à la pensée magique. Ils ne prennent même pas la peine de se pencher sur un plan B parce qu’ils sont certains que le plan A va fonctionner.
Pour eux, le prochain référendum sera gagnant, et ils ne veulent rien savoir d’une sortie de secours. Je crois que c’est une stratégie très risquée. Beaucoup de militants auraient aimé débattre l’option Lisée, et ce n’est pas sain d’avoir fermé le couvercle trop rapidement, avant même que l’on ait pu commencer à se pencher sur la question…»

Nicolas Brissn
Président des Jeunes bloquistes.
«Si les militants du PQ ont mis la proposition de Lisée de côté parce qu’ils croyaient sincèrement qu’elle allait à l’encontre de leurs convictions et de leurs idées, je trouve que c’est une bonne chose. Par contre, si le débat a été étouffé, c’est une autre histoire… Au Bloc, nous sommes ouverts au débat. Comme ça peut prendre un bon bout de temps avant d’avoir un référendum gagnant sur la souveraineté, nous essayons d’examiner les autres avenues possibles.
Ce qui m’agace, c’est que bien des souverainistes sont d’accord avec le constat de Lisée – à savoir l’impossibilité de tenir un référendum gagnant dans un avenir proche -, mais n’approuvent pas sa stratégie. Pourquoi alors ne pas en proposer une autre? La solution ne passe pas nécessairement par un référendum sur les besoins modernes du Québec: ça pourrait, par exemple, être un vote unanime à l’Assemblée nationale, ou encore une coalition qui exige le rapatriement de certains pouvoirs. L’idée de tenir un référendum comme Lisée le propose n’est donc peut-être pas une panacée, et il faut aller au-delà de la critique pure et simple, il faut pousser son raisonnement plus loin.
Chose certaine, il faut bouger, afin d’éviter que la question nationale ne devienne un bavardage fermé, complètement déconnecté de l’opinion de la population. Ce qui commence peut-être déjà à devenir le cas…»