Société

Entrevue avec Martha Radice : À propos des Anglo-Montréalais

Martha Radice est anthropologue et s’intéresse à la vie en milieu urbain. Née en Grande-Bretagne, elle s’est installée au Québec en 1997, après des études aux universités de Sussex et de La Réunion. Les Presses de l’Université Laval viennent de publier, en français et en anglais, son essai intitulé Feeling comfortable? qui sonde un groupe de citoyens bien précis: les Anglo-Montréalais.

Pourquoi vous intéresser aux Anglo-Montréalais?

«Je voulais me pencher sur un groupe qui n’est pas forcément perçu comme exotique ou opprimé. Je me suis donc intéressée aux Montréalais d’origine anglo-celtique (écossaise, anglaise, irlandaise ou galloise), blancs et assez aisés. C’est un groupe dont le statut a beaucoup changé. Avant, ça allait de soi d’être Anglo-Montréalais, la ville leur appartenait plus ou moins. Maintenant, ils sont une minorité parmi d’autres.
Plusieurs des personnes que j’ai interviewées ont parlé de l’ancienne gloire de Montréal. Avant la construction de la voie maritime du Saint-Laurent, tout passait par Montréal. C’était une ville riche, c’était la capitale financière du Canada, une ville prestigieuse. Ensuite, il y a eu la Révolution tranquille et la loi 101, que plusieurs anglophones ont très mal pris. Puisque beaucoup sont partis en suivant le capital qui se déplaçait vers l’ouest (Toronto, Calgary, Vancouver), les autres ont dû modifier leurs valeurs.»

L’exode des leurs demeure un symbole capital pour les Anglo-Montréalais…
«Ça revient continuellement dans leur discours, en effet. Tant de gens sont partis – environ 300 000 personnes – que ça a forcé les autres à réfléchir sur leur présence à Montréal, à se demander s’ils devaient partir eux aussi. La plupart des gens avec qui j’ai parlé ont fait le choix conscient de rester, ils ne sont pas là faute de mieux. Ceci dit, l’exode est un événement passé qui influence leur présent: ils gardent contact avec des gens qui sont partis et peuvent encore s’en aller.
Je pense aussi que la possibilité de partir est une sorte de stratégie qui leur sert à gérer la tension politique. Ils s’investissent à Montréal, mais ils savent que si les choses se déterioraient vraiment pour eux, ils pourraient partir. L’autoroute 401 demeure une sortie de secours. De plus, dans le contexte actuel, les gens sont assez mobiles. Le Québec est d’ailleurs un cas à part: la langue fait que les jeunes francophones demeurent ans un espace restreint. Les Anglo-Montréalais, eux, s’inscrivent dans cette mobilité nord-américaine.»

Les francophones font-ils partie du Montréal décrit par les Anglo-Montréalais?
«Oui, c’est clair. Est-ce qu’ils font partie de leur quotidien? Ça dépend du quartier où ils vivent ou de l’emploi qu’ils occupent. Plusieurs de mes interviewés travaillent en français ou ont passé une partie de leur vie dans des quartiers assez mixtes. Une femme dans la quarantaine m’a raconté sa découverte de Montréal au-delà de la rue University, de sa découverte de la culture francophone si effervescente dans les années 1970. Même si elle ne la fréquente plus, ça fait partie de son Montréal d’aujourd’hui.»

Le sentiment d’appartenance des Anglo-Montréalais envers la ville de Montréal équivaut-il à un sentiment d’appartenance à la société québécoise?
«Je n’ai pas posé de questions directes à ce sujet, mais il me semble qu’il y a peu d’appartenance à la société québécoise. Ce qui ressort, c’est la vision de Montréal comme une sorte de cité-État. On compare constamment ºMontréal à de grandes métropoles comme New York, Boston ou Toronto. Les Anglo-Montréalais ne considèrent pas Montréal comme la métropole du Québec, mais comme une grande ville en relation avec d’autres grandes villes.
Il y a aussi le mépris réciproque entre le gouvernement du Parti québécois et les anglophones, une relation qui est vécue très difficilement par ces derniers. Lors de la dernière élection scolaire, même les gens inscrits à la commission scolaire des écoles anglaises ont reçu les informations en français… À chaque fois que le gouvernement fait une erreur de ce genre, ça provoque un scandale énorme! Des rumeurs circulent continuellement. Cependant, il est difficile de dire à quel point les anglophones sont conscients de vivre le «contrat social» québécois. Est-ce qu’ils prennent en compte le fait d’avoir la Régie du logement, par exemple? Je n’en suis pas sûre…»

Y a-t-il une différence entre les anglophoes de Québec et ceux de Montréal?
«La communauté anglaise de Québec – si elle existe réellement – est très discrète. À Montréal, le nombre d’anglophones est suffisant pour qu’ils puissent gueuler. Voilà la principale différence.»