Le soutien financier aux artistes : Cash City
Société

Le soutien financier aux artistes : Cash City

Avec le dépôt du budget du ministre Bernard Landry, les artistes en ont profité pour relancer le débat sur le financement des arts au Québec. Alain Fournier, président du Conseil québécois du théâtre, et ses collègues du Mouvement pour les arts et les lettres (MAL) n’ont qu’une chose en tête: arracher quelques millions au gouvernement pour les injecter dans le milieu culturel. Là où ça fait MAL.

D’après les artistes, la culture est en mal de fonds. À tel point qu’ils ont emprunté l’expression en guise d’acronyme pour leur nouvelle coalition: le Mouvement pour les arts et les lettres (MAL). À l’automne dernier, huit organismes culturels de diverses disciplines se sont unis au sein de ce groupe. Une telle organisation d’artistes ne s’était pas vue depuis une quinzaine d’années. Le but de la coalition? Faire pression sur le pouvoir politique. Encore. Mais pas question de faire le MAL pour le mal. D’après Alain Fournier, président du Conseil québécois du théâtre et membre du MAL, la cause de la coalition s’avère des plus vertueuses: le sous-financement chronique des arts et des lettres au Québec. Avec le récent dépôt du budget par le ministre des Finances Bernard Landry, le MAL s’est mis en colère. Et réclame sa juste part du gâteau.

Après avoir pris connaissance du budget Landry, vous avez réagi avec colère…
Notre première réaction a été effectivement très émotive. Nous nous attendions à ce que le Conseil des arts et des lettres du Québec, l’organisme qui finance en grande partie les artistes, reçoive quarante-cinq millions de dollars. Certes, c’est le double de son enveloppe actuelle, mais il faut comprendre que son budget stagne depuis cinq ans. Actuellement, il ne répond qu’à 30 % des demandes des artistes.
Comme le mentionne le budget, nous avons plutôt droit à vingt millions. Au départ, la totalité de ce montant était destiné au Fonds de stabilisation et de consolidation des arts et de la culture [un nouveau fonds sous contrôle direct de l’État pour aider les entreprises déficitaires]. Au bout du compte, l’argent allait essentiellement au même endroit, mais il n’était pas géré par le CALQ, un organisme qui fait l’unanimité chez les artistes car il est contrôlé par le milieu culturel lui-même. Ça n’avait pas de sens. Pour nous, le Fonds est un dédoublement de structures inutile. C’est pourquoi nous avons demandé, la semaine dernière, de parler à la ministre de la Culture Agnès Maltais. À la suite de la rencontre, douze des vingt millions ont été transférés au CALQ. Je crois que le gouvernement commence à nous comprendre.
Mais un problème majeur demeure. C’est que le montant consenti aux artistes est non récurrent. Sans être assuré d’un financement permanent, il est difficile de prévoir des dépenses à long terme. Dès sa création en 1993, il était prévu que le CALQ recevrait soixante millions de dollars après trois ans. Mais nous n’avons rien eu de tout ça. Aucun engagement clair. Vingt millions, ce n’est donc pas suffisant.

Dans la section culturelle du budget, le ministre Landry a prévu quarante-trois millions de dollars pour l’embellissement du Séminaire de Nicolet (!), dix-huit millions pour celui de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie et trente millions pour la Société des événements majeurs du Québec afin de financer les grands festivals de Montréal. Faut-il comprendre que le gouvernement opte pour le gros et le béton au détriment du contenu?
C’est vrai que le contenu semble être mis de côté. Nous ne sommes pas contre l’octroi de montants à des infrastructures ou à des festivals qui attirent des gens. Nous voulons toutefois que les artistes aient aussi leur part. Par exemple, le gouvernement donne plusieurs millions de dollars pour brancher des familles sur Internet. Très bien. Mais finance-t-il les artistes qui désirent produire des oeuvres sur la Toile? Pas beaucoup. Le gouvernement donne des miettes aux créateurs. C’est pourquoi nous réclamons quarante-cinq millions de dollars pour les artistes.

Mais les priorités actuelles ne se retrouvent-elles pas ailleurs que dans la culture, c’est-à-dire en santé et en éducation?
Oui, peut-être. Mais ce que nous demandons, ce n’est quand même pas une flotte complète de machines à rayons X! Si le gouvernement considère les arts comme un service public au même titre que la santé et l’éducation, il doit offrir à ce service une juste part monétaire. Ce n’est pourtant pas le cas. La réaction des artites a toujours été de se la fermer, de s’organiser avec peu et de se dire qu’effectivement, les priorités de la population sont ailleurs. Mais là, on n’en peut plus! Le milieu culturel a pris de l’expansion, mais pas les fonds. Par exemple, il y a trente ans, il existait trente compagnies de théâtre. Aujourd’hui, il y en a trois cents. Il faut que le gouvernement ajuste son aide.

Selon des chiffres de Statistique Canada de 1998, l’Ontario consacre deux fois moins d’argent par habitant à la culture que le Québec, soit quarante dollars contre soixante-dix-huit. La moyenne canadienne s’élève à cinquante-sept dollars. Le Québec n’est-il pas déjà assez généreux à l’égard des artistes?
C’est vrai. Toutefois, c’est un choix social du Québec que de soutenir l’activité culturelle. Et il faut l’assumer. Le gouvernement affirme sur toutes les tribunes à quel point l’art est primordial à la culture québécoise et que la province a besoin de ses artistes. Alors, le gouvernement doit comprendre qu’il a certaines obligations envers eux. Et c’est pourquoi nous croyons que les quarante-cinq millions sont importants.

Vous parlez d’argent comme d’une solution vitale. Le problème de la culture au Québec se résume-t-il à une affaire de fric?
Ce n’est pas juste du fric que nous voulons afin d’aider les «pauvres petits artistes qui font pitié». Nous désirons plutôt un débat social. Par exemple, le MAL considère comme important que les enfants soient en contact avec l’art. Le gouvernement n’est pas obligé d’augmenter le budget de la culture pour y parvenir. Les sorties scolaires obligatoires sont plutôt la solution.
Selon nous, tous les enfants du primaire et du secondaire devraient effectuer une sortie culturelle au moins une fois par année. C’est un minimum. Cet automne, le boycott des activités parascolaires par les enseignants nous a fait très mal. Trop mal. Ce boycott a démontré que la première chose qu’on pense sacrifier en éducation, ce sont les arts. Les jeunes sont sortis dans la rue pour dénncer cette situation. Cela prouve que les élèves tiennent beaucoup à l’art.
Un des problèmes majeurs à l’école est que les arts ne sont pas prévus clairement dans le programme scolaire. Pourtant, une formation adéquate en arts permet une ouverture d’esprit et favorise la créativité, par exemple. Actuellement, l’enseignement artistique dans les écoles primaires et secondaires se limite à bien peu de choses. C’est désolant. Nous avons sensibilisé la ministre Maltais à cette problématique. Elle veut maintenant créer une collaboration plus étroite entre le ministère de la Culture et celui de l’Éducation. Reste à savoir si cette mesure va porter fruit.

Deux initiatives importantes ont récemment été mises de l’avant par la ministre Maltais. Il s’agit d’un observatoire sur la situation économique des artistes et du milieu culturel et d’un groupe de travail sur le financement des arts. Comment percevez-vous ces mesures?
C’est très positif. Il est temps de penser aux arts en termes de service public et de favoriser enfin une plus grande accessibilité et une diffusion plus large dans les régions de la province. C’est ce que permettra un financement adéquat. Par ailleurs, l’observatoire démontrera que la situation économique des artistes n’est pas très enviable. Un revenu annuel moyen de treize mille dollars pour un danseur, est-ce décent? La réalité est bien triste. Et les artistes en ont ras le bol!

Donc la lutte du MAL est loin d’être terminée…
Nous attendons avec impatience le rapport de la commission parlementaire sur la culture qui s’est tenue en février [elle avait pour but de faire le point sur l’intervention de l’État dans la culture]. Nous espérons que notre point de vue sera reflété dans les recommandations et que le financement sera enfin augmenté. Mais il est évident que nous n’allons pas arrêter notre travail tant qu’une solution financière à long terme ne sera pas trouvée. Des patchs pour soigner des bobos ici et là, nous n’en voulons plus jamais!

Pour un autre point de vue sur les subventions aux artistes, lisez la Grande Gueule de Roch Côté.