Les Systèmes d'Échange Local : Tic, tac, troc
Société

Les Systèmes d’Échange Local : Tic, tac, troc

Solidement implantés en Europe, les groupes de troc (qui permettent à leurs membres d’échanger des services) commencent à faire leur percée au Québec. À quand une reconnaissance  politique?

Six ans après l’implantation du premier Système d’Échange Local (SEL) à Montréal, les coordonnateurs des différents groupes de troc québécois pensent qu’il est temps de se faire connaître autrement que par le bouche à oreille. Pour leur première activité publique commune, mardi prochain, ils ont donc demandé à Michel Chartrand d’animer une discussion. Chaude soirée en perspective!
Depuis un an, le réseau des SEL est en pleine ébullition. De trois groupes, il est passé à sept; et de moins de deux cents participants, à presque le double. Le nombre d’échanges ne cesse de gonfler, et les ententes inter-SEL commencent à permettre aux membres d’un groupe de faire des échanges avec les membres d’un autre groupe.
Si l’engouement est bien réel, il est quand même un peu tardif. Alors que le principe de ce système a été élaboré au début des années quatre-vingt à Vancouver, il a fallu qu’il fasse le tour du monde avant d’être expérimenté au Québec. La France l’a découvert en même temps que nous, mais là-bas, il y a aujourd’hui plus de trois cents groupes et des milliers de membres… Les SEL australiens, pas tellement plus vieux que les nôtres, reçoivent même des subventions directes de l’État, qui les considère comme un apport à l’économie locale et un lieu important de réinsertion sociale pour les plus démunis. Le plus gros groupe de troc australien regroupe deux mille membres et engendre pour quarante mille dollars d’échanges mensuellement.

Heure contre heure
Pour l’instant, le troc est ici surtout populaire auprès du milieu des affaires. Il y a cinq réseaux commerciaux inscrits dans l’annuaire de Montréal, qui regroupent au total des centaines d’entreprises. L’avantage de faire partie de ces réseaux est indéniable. Une fois qu’une entreprise y vend des services, elle accumule des crédits qu’elle doit absolument dépenser auprès des membres du même réseau. Les crédits qui circulent ainsi ne peuvent pas être transférés en argent, augmentant d’autant le nombre d’échanges. Mais si les entrepriss n’ont aucune gêne à faire du troc et qu’elles y trouvent amplement leur compte, les SEL qui s’adressent aux citoyens n’ont pas la vie aussi facile.
En effet, le troc n’a pas très bonne presse auprès de la population. Pourtant, les SEL offrent deux avantages importants à leurs membres: il n’y a pas de frais d’administration, et les échanges ne sont pas comptabilisés en crédits transformables en dollars, mais en heures.
Donc, si vous faites faire vos impôts par un membre d’un SEL et que cela lui prenne une heure, il vous faudra offrir une heure d’un service quelconque pour rééquilibrer votre compte. Bien évidemment, vous offrez les services qui vous plaisent et les rendez seulement si (et quand) vous le voulez bien. Ce calcul en heures plutôt qu’en équivalents dollars permet de sortir de la logique marchande qui accepte que pour une heure d’efforts, une femme de ménage soit payée le salaire minimum, alors que la même heure sera payée des centaines de dollars à un joueur de hockey.

De tout pour tous
La logique marchande et les supposées lois du marché ont justement souvent été à la base du développement des SEL. C’est le cas du SEL de la Pointe, à Pointe-Saint-Charles, mis sur pied pour lutter contre l’exclusion des pauvres. «Après quelques années passées sur le B. S., raconte le coordonnateur Charles Gutknecht, les gens oublient ce qu’ils savaient faire avant. Nous sommes là pour qu’ils se souviennent, et qu’ils reprennent confiance en leurs capacités. Le SEL leur permet ensuite de s’offrir des services qu’ils ne pourraient pas avoir autrement. Au moins 95 % de ces échanges n’auraient pas lieu s’ils étaient monétaires: les gens n’auraient jamais les moyens de se les payer!»
Christine Bernier, de la Boîte des Savoir-Faire, le plus vieux SEL du Québec, renchérit: «Un massage est un service inaccessible pour quelqu’un ayant peu d’argent. Mais grâce au SEL, les gens démunis peuvent s’en payer un. En plus de valoriser l’estime de soi, nos groupes favorisent la santé physique et mentale. D’auant plus que les SEL brisent l’isolement et permettent à leurs membres de se créer un réseau de contacts, chose plus difficile depuis que les familles sont plus petites et que les travailleurs autonomes sont apparus. L’impact social des groupes de troc est important et devrait être étudié: ils améliorent la condition des gens et offrent une rentabilité sociale qui mériterait un appui politique.»
Mais l’argument économique n’est pas le seul qui motive les gens à faire partie d’un SEL. La Banque d’Échanges Communautaires de Services (BECS) a été fondée par des bénévoles du parti Montréal Écologique, qui voulaient appliquer dans la réalité l’une des propositions de leur parti. Desservant surtout les résidants du Plateau, la BECS attire une clientèle professionnelle (ébéniste, photographes, informaticiens, etc.), de même que de nombreux travailleurs autonomes gagnant moins de trente mille dollars par année.
Même des PPE (Petites Petites Entreprises) sont maintenant membres des SEL. Le restaurant Les Vivres et la friperie La Bohème font figure de pionniers. «Je suis seule dans mon entreprise, raconte Lauraine Lévesque, de La Bohème. J’en suis à mes débuts, je ne fais pas encore beaucoup d’argent et j’ai eu recours à un SEL pour me payer des services.» Jusqu’à maintenant, Lauraine Lévesque a pu profiter d’aide pour l’aménagement de la boutique et l’installation de ses tablettes, et s’est même fait remplacer à l’occasion. «J’ai des vêtements en quantité, mais je n’ai ni temps ni argent», explique-t-elle. Ses vêtements peuvent donc être achetés en heures par les membres de deux SEL! Pour permettre ce genre de transactions, les groupes ont décidé qu’une heure valait un peu plus de dix dollars, soit environ le double du salaire minimum.
Les transactions avec ces deux commerces sont possibles pour les membres de la BECS et pour ceux du Système d’Entraide Volontaire et d’Échanges (SEVE), le SEL qui organise la soirée de mardi prochain avec Michel Chartrand. Ces deux SEL ont intégré leurs offres et leurs demandes de ervices, permettant à leurs membres d’avoir accès à un réseau de plus de cent trente personnes. C’est un peu ce genre d’ententes que visent à favoriser les activités inter-SEL: consolider ce qui existe déjà, mais aussi provoquer des développements. On espère que la publicité entourant l’événement facilitera le recrutement pour les groupes existants, mais aussi, peut-être, la création de nouveaux SEL.
Surtout que, comme le dit Frédéric Lemire, membre du comité de gestion du SEVE, «ça ne demande que deux ou trois heures par semaine pour en démarrer un».

Conférence de Michel Chartrand organisée par les SEL
Mardi, 28 mars, à 19 h, au World Beat, 1592, boulevard Saint-Laurent
Entrée gratuite