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Manifestations violentes au centre-ville : Ça passe ou ça casse!
La semaine dernière, une manifestation contre la brutalité policière, qui avait lieu au centre-ville, s’est soldée par un gros party de «pétage de vitrines». Résultat: la seule chose que l’on ait reprochée aux policiers, c’est d’avoir attendu trop longtemps avant d’intervenir… Dans leur croisade pour décrier les bavures policières, certains manifestants vont-ils trop loin?
Nicolas Bérubé
Il est rare, par les temps qui courent, que des policiers se présentent devant les médias avec un sourire dans la voix. Mais la manifestation de la semaine dernière, qui s’est soldée par une émeute provoquée par des manifestants en colère, leur a donné une occasion en or de jouer la carte de l’ironie. «Et dire qu’il s’agissait d’une manifestation CONTRE la brutalité policière!» répétaient-ils sur toutes les tribunes, soulignant à gros traits le fait que des groupes de manifestants aient commis des actes violents – et soient passés à deux doigts de blesser des innocents – pour décrier les bavures policières. Bref, ce que la manifestation de la semaine dernière aura réussi à démontrer, c’est que les policiers n’ont pas le monopole des effusions de violence incontrôlée…
«Être violent, c’est se tirer dans le pied: c’est la meilleure façon de nuire à notre cause», explique Yves Manseau, ancien porte-parole des Citoyens opposés à la brutalité policière (COBP), et aujourd’hui à la tête de Mouvement action justice (MAJ). «Si je vivais dans une société oppressive, alors je considérerais la possibilité de m’armer, et de me défendre par la violence. Mais je suis désolé: personne ne peut prétendre que c’est le cas au Québec, ou au Canada. Je ne dis pas que l’oppression policière n’existe pas: bien sûr qu’elle existe. Mais quand je regarde les agissements de certains militants, c’est pas compliqué: ils me font plus peur que la police!»
Effets secondaires
Pourtant peu connu pour ses visées pro-policières, Yves Manseau est indigné de la tournure qu’ont prise les événements de la semaine dernière. Ce qui le choque, c’est que les organisateurs de la manifestation se soient empressés de défendre les actes de grabuge commis par certains manifestants. «Si les organisateurs avaient essayé d’expliquer les causes de la violence, alors j’aurais été d’accord. Mais ils ont endossé la violence, et ça, je ne le prends pas. Je sais pertinemment qu’en disant cela, je me mets des gens à dos, mais je n’ai as le choix.»
Avec le Mouvement action justice, Yves Manseau aide les victimes d’abus policiers à faire valoir leurs droits, une tâche que des événements violents comme ceux qui se sont produits la semaine dernière rendent de plus en plus difficile à accomplir. «Présentement, nous gérons soixante-seize dossiers sur les abus commis par des policiers contre des citoyens. Notre mouvement commence à avoir une bonne crédibilité, et les choses bougent. Quand nous nous présentons en cour, nous faisons trembler bien du monde. Mais aussitôt que des événements comme ceux de la semaine dernière surviennent, la partie adverse en profite illico pour essayer de nous discréditer, et nous perdons de la crédibilité chaque fois. En fin de compte, ce sont les gens qui subissent la répression policière qui écopent…»
«Moi aussi, je suis en colère, parfois. Dans une manifestation, je ne me gêne pas pour exprimer mon agressivité. Selon la Cour suprême, je peux être impoli, vulgaire, je peux insulter les policiers autant que je veux! Mais je ne vais pas tout casser… Ceci dit, le problème, c’est que certains membres des mouvements de contestation considèrent la violence comme un moyen d’action viable. Ils ne sont pas très nombreux, mais ils sont présents dans à peu près tous les groupes qui ont des mandats de justice sociale, comme la lutte contre la pauvreté, contre la brutalité policière, etc. Or, nos motifs ont beau être nobles, ce que les gens voient, ce sont les gestes posés. Dans ces cas-là, les actions parlent beaucoup plus fort que les discours…»
Le coeur au poing
François Saillant, du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), est également d’avis que les actes de violence n’ont pas leur place dans les actions revendicatrices.
Selon lui, ces actes sont le symptôme d’un problème social profond que l’on ne règle pas simplement en condamnant le grabuge. «Les jeunes qui ont posé ces actes vivent en permanence avec le harcèlement des policiers. Ils sont tellement en marge de la société qu’ils n’ont plus rien à perdre: alors ils cassent tout. Et il faudrait peut-être même se demander pourquoi ça ne se produit pas plus souvent… Ceci dit, je ne crois pas que ça fasse avancer grand-chose d’adopter ces comportements violents. Au contraire: en voyant ça, les gens sont probablement en train de se dire que nos flics sont trop mous parce qu’ils n’ont pas pu empêcher les actes violents, mettant ainsi la sécurité de plusieurs personnes en jeu. Je crois que les organisateurs de la manifestation ont un examen de conscience à faire…»
«C’est un problème complexe, poursuit Yves Manseau, et je refuse de mettre tous les militants dans le même panier. Par exemple, j’adore les idées des anarchistes non violents. Quand nous tenons des débats, j’aime entendre leurs points de vue, et j’ai un grand respect pour eux. Ce qui me dérange, c’est quand les jeunes ne pensent pas par eux-mêmes, qu’ils fondent leurs actes et leurs opinions sur une théorie pamphlétaire qu’ils ont lue quelque part. C’est une démarche beaucoup trop intellectuelle, et elle est complètement déconnectée de la réalité québécoise. Nous ne sommes pas à Gaza: nous avons une tradition de non-violence. Et personne ne peut faire avancer quoi que ce soit en étant violent.»
Est-il possible d’organiser des manifestations efficaces auxquelles participent des gens en colère, et qui ne finissent pas par un bordel général? «C’est tout à fait possible, répond Manseau. Et quand les organisateurs se lavent les mains et disent qu’ils ne peuvent pas contrôler les agissements de leurs militants, ce n’est pas totalement vrai. Par exemple, quand nous avons tenu notre vigile devant le Shed café, à la mémoire de Jean-Pierre Lizotte, nous avions apporté des bougies, ce qui est un acte plutôt paisible… Nous vions apporté également des dizaines de photocopies de la photo de Lizotte. Si certains manifestants avaient commencé à briser des vitres, nous en aurions collé le plus possible dans les vitrines. Comme ça, les gens n’auraient plus osé lancer des pierres… Il faut prévoir le coup!»
«Mais si certains militantssont allés trop loin, ce n’est pas non plus une raison pour que la police devienne intolérante à leur égard. Ils ont les mêmes droits que tout le monde, et nous allons nous élever contre les abus dont ils seraient victimes comme nous nous élevons contre tous les abus commis par les policiers.»