Société

Droit de cité : La biodiversité des villes

Jane Jacobs va lancer un livre ce mois-ci, si ce n’est déjà fait: The Nature of Economies. Et vu que les choses qui voyagent de l’anglais vers le français prennent toujours quelques lunes à arriver à destination, on devra attendre un peu avant de lire la version française.

Qui est Jane Jacobs? La passionaria des villes est fort peu connue ici – et à la façon dont se sont développées nos villes, ça paraît. Urbaniste autodidacte, elle inspire depuis quarante ans tous ceux qui font de certaines villes des réussites, et ennuie ceux qui en ont transformé d’autres en no man’s land.

Les quelques fois où le Québec a prêté l’oreille à madame Jacobs, c’est parce qu’elle s’était prononcée sur LA question, notre question aux interminables réponses. (Pour ceux que ça démange de savoir, elle est à des dizaines de millions d’années-lumière du discours de Stéphane Dion.)

Mais ce qui nous intéresse, chez elle, c’est sa vision de la ville, riche de quatre-vingt-quatre années d’observation de la cité, d’abord à New York, puis à Toronto, où elle demeure depuis 1968.

Dans The Nature of Economies, Jane Jacobs ne traite pas de la façon dont la nature arrive à faire des économies. En réalité, la nature n’est pas une soeur économe, mais une grande consommatrice, jusqu’à épuisement des stocks.

Son livre traite plutôt d’économie avec un grand E. La nature, comme les sociétés humaines, avance l’urbaniste, est soumise à son imprimatur: l’économie. La relation entre les carnivores et les herbivores est économique. La loi de la jungle? C’est de l’économie.

Pour les écosystèmes, la biodiversité est une forme de régime économique équilibré. Mais quand la biodiversité fait défaut, l’économie de la nature décline, et la nature périclite jusqu’à son extinction.

Pour Jane Jacobs, les villes sont les écosystèmes de l’homme moderne.

Les villes les plus vivantes et vivables sont celles qui ont la plus grande biodiversité dans leurs quartiers: un mélange d’institutions, de commerces de tout acabit et de résidences abritant une diversité économique et sociale, des coins de rue peu éloignés, un mariage de vieux et de nouveau, tant chez les résidants que dans le bâti. Bref, le Plateau-Mont-Royal.

À l’inverse, les villes et les quartiers «monoculture», «monoclasse», homogènes jusque dans la couleur de la brique, sont aujourd’hui les milieux les plus défavorisés.

Le grand patron Martineau a passé son enfance dans une ville rangée comme des tablettes d’épicerie: Verdun. Les ouvriers en bas, les professionnels à droite, les riches en haut… Aujourd’hui, le coeur de Verdun a cessé de battre. Dans L’actualité, il raconte que, lors d’une récente visite des rues de son enfance, il a vu la rue Wellington se transformer en un boulevard de la banqueroute.

Verdun est maintenant une ville monoculturelle: les gagne-modeste vivent au coeur de la ville, et les riches habitent l’île des Soeurs. Les riches ne magasinent pas rue Wellington: ils vont sur l’avenue Laurier, qui leur offre un faux-semblant de vie de quartier. Quant aux banlieusards de la couronne nord, on leur a bâti Saint-Sauveur (et, du coup, «scrapé» à jamais un des beaux villages du Nord au nom du droit au mauvais goût).

La réussite de Montréal passe par la multiplication des Plateaux Mont-Royal.

Nous sommes des milliers à nous chercher un appart sur le Plateau – ou «Plateau et adjacent», comme disent de manière un peu rapace les petites annonces. (Le Mexique aussi est adjacent aux États-Unis…) On espère en trouver un, mais le mot espérer est, ces temps-ci, un véritable mantra._Les gens aiment le Plateau pour sa «biodiversité». C’est la clé de son succès. Mais peut-être plus pour bien longtemps. L’équilibre est sur le point d’être rompu, à cause de la négligence des différentes administrations de la Ville, qui ont laissé, et qui laissent encore, le quartier en proie aux promoteurs immobiliers, malgré des moratoires sur la transformation de logements en condos. Les vieux, les familles et les pas si riches que ça écopent et déménagent ailleurs, faute de trouver loyer à leurs revenus.

Contrairement à ce qu’affirme le maire et ses conseillers un brin pantins, les promoteurs n’apportent pas la vie. Ils vont là où elle se trouve déjà – comme sur le Plateau, où ils l’écrasent avec leurs gros sabots.

Attention, messieurs les développeurs: on enlève ses chaussures avant d’entrer ici.

Les grands explorateurs
Notre touriste-en-chef n’en finit plus d’accumuler les points Air Miles.

Le maire voyage, mais le maire voyage en égoïste et en parasite. Il est mû par le désir de recevoir l’hospitalité de ses amis à l’étranger, et en fonction de ses curiosités personnelles: l’Asie, les fleurs, les Antilles, les fleurs…

À quand une visite du maire chez Jane Jacobs? Monsieur Bourque, paraît que le jardin de madame Jacobs est une petite merveille… Ça ne vous tente pas d’aller écornifler un peu pour nous? Profitez-en pour faire un brin de jasette avec elle.