Groupes populaires devant les tribunaux : Silence, on vote
Société

Groupes populaires devant les tribunaux : Silence, on vote

Automne 1998: en pleine campagne électorale, à Québec, deux regroupements d’aide aux démunis distribuent un dépliant critiquant le virage à droite du PQ et du PLQ, et incitant les pauvres à aller voter. Printemps 2000: le Directeur général des élections les poursuit pour avoir défavorisé ces deux partis. Écrire ce que l’on pense est-il devenu un crime?

«Le DGE a fait une poursuite pour museler des organisations populaires.»
Coordonnateur de l’Association pour la défense des droits sociaux du Québec métro (ADDS-QM), un des deux groupes intimés, Serge Petitclerc n’en revient tout simplement pas. «C’est museler les citoyens par l’entremise des organismes qui les défendent. C’est extrêmement grave, surtout que le moment où l’on a le moins le droit de parler, c’est durant le moment le plus important… Dire la vérité, dans une période d’élections, on n’a pas le droit.»
Pour Serge Petitclerc, la cause est limpide. Il exigera du juge de clarifier la portée de la Loi électorale. Il réclamera le droit à la liberté d’expression, même lors des campagnes électorales et, surtout, de pouvoir écrire ce qu’il pense afin de faire «sortir le vote» des pauvres.
Écrire, voilà le centre du litige. C’est que la faute n’est pas d’avoir dit quelque chose, mais de l’avoir couché sur papier. «Si on avait dit ça à la radio, on aurait été légal», soutient Petitclerc.
Que pouvait-on lire sur ces tracts? «La maxime du Québec dit: "Je me souviens", alors je me souviens du Parti québécois qui a coupé dans la santé, l’aide sociale, l’éducation et dans tous les services à la population. Et du Parti libéral qui a initié toutes ces coupures en créant les Boubou-macoutes, et en dégelant les frais de scolarité à l’université… Alors, faites un choix éclairé selon vos valeurs.» Titre du document: Je suis pauvre, mais je vote!
«On est coupable d’une seule chose: d’avoir été honnête», clame Serge Petitclerc. Pas parce qu’il croit avoir propagé la vérité, mais parce qu’il a signé son document. Bien d’autres font de même, mais «omettent» de se nommer. Résultat: le DGE ne peut poursuivre.
«En quoi le geste de diffuser une circulaire est-il plus répréhensible que de manifester ou d’écrire un éditorial?» renchérit le porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ, également accusé), Jean-Yves Desgagnés.
Pour lui, lacause est avant tout politique. «Notre système démocratique est en péril, notre démocratie est malade», lance-t-il, soulignant que les moins nantis ne sont pas considérés par les élus puisqu’ils ne votent pas. Son objectif était donc de sensibiliser les sans-le-sou, de les titiller pour qu’ils se décident à se faire entendre, affirme-t-il.

Récidives en vue
Monsieur Desgagnés assure que la poursuite ne le freinera pas. «C’est clair qu’on va continuer. C’est clair qu’on a l’intention de récidiver.» Il croit en la noblesse de sa cause et tient à éviter un virage à droite du gouvernement, motivé par le désintéressement des pauvres face à la politique, comme cela se voit aux États-Unis. «Ça nous confirme l’importance de continuer cette bataille… La requête va nous aider à préciser la marge de manoeuvre qu’on a.»
Néanmoins, Jean-Yves Desgagnés reconnaît que le geste à été posé à chaud, en pleine effervescence électorale, et que les deux phrases litigieuses peuvent être perçues comme une atteinte à la loi qui interdit de favoriser ou de défavoriser quelque partis ou candidats que ce soit en effectuant des dépenses non autorisées. Il se demande cependant pourquoi il devrait payer six cents dollars d’amende, autant pour l’ADDS-QM, alors que le déboursé total fut de huit cents dollars. «On trouve que c’est déraisonnable.»
En comparaison, le directeur général de l’Action démocratique du Québec, Jacques Hébert, avait dû régler une amende de cent trente-cinq dollars pour avoir accepté une contribution de mille dollars d’une entreprise. «Là, il y a vraiment une infraction à l’esprit même de la loi.»
Messieurs Desgagnés et Petitclerc se demandent pourquoi eux seuls doivent faire les frais d’une poursuite alors que plusieurs autres groupes sociaux du Québec ont repris et distribué le même dépliant.
Beaucoup de questions sont donc soulevées par cette poursuite. Malheureusement, malgré notre insistance, il n’a pas été possible d’en discuter avec la directrice générale des électios, Francine Barry. On nous réfère plutôt à son porte-parole, Bernard Rénald, très laconique.
La cause étant pendante devant les tribunaux, monsieur Rénald se contente de rappeler que les dépenses sont limitées lors des campagnes électorales. «Ça n’empêche pas un individu de dire ce qu’il pense», rétorque-t-il. Quant au fait que d’autres aient commis la même présumée infraction et ne soient pas poursuivis: «On n’a aucune preuve dans le dossier qui nous permettrait de croire qu’il y a eu une infraction semblable ailleurs. C’est la réponse officielle.»

Qu’en pensent le PQ et le PLQ?
Généralement, le DGE intente une action en justice à la suite du dépôt d’une plainte. Impossible de savoir d’où elle émane dans ce dossier. Bernard Rénald plaide la confidentialité.
Chose certaine, les principaux intéressés (c’est-à-dire le PQ et le PLQ, visé dans ces tracts) certifient qu’ils n’en sont pas les instigateurs. Les circulaires ont été principalement distribuées dans le comté de Taschereau, bastion péquiste de la ministre de la Culture et des Communications, Agnès Maltais. La conseillère politique, Loraine Beaupré, convient que le dossier a été longuement étudié. Mais rien de répréhensible n’y avait été décelé. «Le comité n’avait pas l’impression que c’était de la propagande électorale.»
Même constat pour le candidat libéral, Claude Doré, qui avait rencontré les groupes concernés. «Les gens ont le droit de s’exprimer.» Il avait conclu que le dépliant n’avait pour but que de montrer aux gens que leur vote est important.
Responsable de la campagne provinciale de l’ADQ, Patrick Robitaille ne croit pas que les dires des groupes sociaux aient eu un effet sur le résultat du scrutin. «S’il y a eu un impact, il s’est dilué», note-t-il, indiquant que six candidats étaient de la course.
La cause devait être entendue le 20 mars. Le tribunal a toutefois autorisé un report au 5 juin puisque le FCPASQ et l’ADDS-QM viennent tout juste de trouver un avoat bénévole qui assurera leur défense. Il s’agit de Pierre Fortin, le même qui pilote le dossier de Christiane Savary, cette assistée-sociale de Sillery qui se bat pour que son chèque ne soit pas amputé du montant de la pension alimentaire allouée à sa fille.