Le procès des entartistes : Pas de la tarte!
Société

Le procès des entartistes : Pas de la tarte!

Vendredi dernier avait lieu le procès très médiatisé de Patrick «Pop-tarte» Robert et de Benoît «Tartagnan» Foisy, tous deux accusés d’avoir entarté le ministre Stéphane Dion. Lancer une tarte à la crème est-il un geste illégal ou une forme de protestation? Le juge devra trancher…

Ça se bousculait ferme vendredi dernier devant les portes de la petite salle d’audience de la cour municipale. Journalistes affairés, entartistes en devenir et sympathisants de toutes sortes étaient venus assister au procès qui oppose le ministre des Affaires intergouvernementales Stéphane Dion aux entartistes Patrick «Pop-tarte» Robert et Benoît «Tartagnan» Foisy.
«S’il vous plaît, tout le monde: on enlève son nez de clown avant d’entrer!» gueulaient les agents de sécurité, chargés de faire coïncider les exigences protocolaires de la Cour avec l’esprit de fête qui régnait dans le hall. Mi-exaspérés, mi-arrogants, leurs cris ont réussi à faire augmenter d’un cran le niveau de cynisme ambiant, déjà anormalement élevé en ce haut lieu du droit et de la justice…
Le cynisme sera d’ailleurs la trame de fond de ce procès surréaliste, sorte de croisement entre La Cour en direct et Le Gendarme de Saint-Tropez. Même le juge Léger aura du mal à contenir un fou rire lorsque le célèbre entartiste Noël Godin, fraîchement débarqué de Belgique, sera appelé à comparaître à titre «d’expert en balistique pâtissière». «Chose certaine: je ne vais sûrement pas vous déclarer expert, mais vous pouvez certainement nous expliquer la philosophie de l’entartage», a déclaré le juge à Godin, avant de lui demander s’il utilisait «plusieurs parfums de crème chantilly lors de ses attentats pâtissiers, ou s’il employait toujours de la crème nature».
Bref, dans l’assistance, on se tapait sur les genoux plus souvent qu’à son tour…

Pas drôle?
En fait, le seul qui n’entendait pas à rire était Stéphane Dion. Contrairement aux entartistes (dont l’attitude très media friendly leur a valu une presse plutôt positive), Dion n’a pas voulu parler aux médias – pas plus qu’il n’a tenu à rencontrer la horde des sympathisants des entartistes. Il est arrivé en catimini par la porte des accusés, pour repartir aussitôt après avoir témoigné.
«Je me rappelle avoir reçu un coup au visage», a dit Dion à a Cour d’une voix peu assurée. «Avez-vous ressenti une douleur?» lui a demandé l’entarteur Patrick Robert, qui a choisi de se défendre lui-même – et qui prenait visiblement un malin plaisir à questionner sa victime. «J’ai reçu un coup», se contentait de répondre Dion à celui qui l’avait couvert de crème fouettée l’an dernier, alors qu’il servait le dessert aux habitués du Chic Resto Pop. Le ministre a par la suite déclaré que recevoir une tarte en plein visage «n’est pas drôle du tout», et que «c’est un geste qui peut être très dangereux».
«Nous n’avons absolument pas voulu blesser monsieur Dion, s’est défendu Patrick Robert. Notre geste était exécuté dans la bonne humeur. Ce n’est pas comme si nous lui avions craché au visage, ce qui aurait été un geste vulgaire et déplacé. Depuis des siècles, la tarte à la crème est perçue comme un gag qui ne vise qu’à blesser l’ego, pas le corps…»
Dion ayant entre-temps quitté l’assistance, Robert a entrepris d’expliquer au juge, matériel en main, comment il s’y prenait pour confectionner ses tartes à la crème. Une assiette en carton (et non en aluminium, jugé plus dangereux) est utilisée comme base, tandis qu’une généreuse couche de crème chantilly («et jamais de crème à raser, ou tout autre type de crème») est appliquée comme garniture. «Le tout est lancé le plus délicatement possible sur le visage de la victime, de façon à ce qu’elle ne ressente aucune douleur.»
«Nous pensons que monsieur Dion n’est pas allé au Chic Resto Pop pour servir les pauvres, mais plutôt pour se servir des pauvres afin de redorer son image, et c’est ce qui a motivé notre geste, d’expliquer Patrick Robert au juge. Ça faisait des mois que Moisson-Montréal essayait de contacter monsieur Dion pour obtenir un rendez-vous, et le ministre ne prenait même pas la peine de leur répondre, et ce, même si l’organisme est situé dans son propre comté!» Ce à quoi le juge a répondu que le fait que les politiciens planifient leurs apparitions publiques dans le but de se faire du capital politique est «de otoriété publique, et presque de notoriété judiciaire», et qu’il cherchait plutôt à savoir si lancer une tarte à la crème dans le visage de quelqu’un constituait une voie de fait ou non.

Avalanche pâtissière
Debout dans le corridor, Noël Godin, le père spirituel de tous les entartistes, attend la fin des audiences. En vingt-neuf ans de carrière, Godin a commis une quarantaine d’assauts pâtissiers, notamment à l’endroit de Bill Gates, Jean-Luc Godard, Marguerite Duras et Patrick Bruel. Quand les «fâcheux» réagissent en riant, dit-il, il les laisse tranquilles. Mais s’ils rouspètent, leur nom est réinscrit sur la liste noire… C’est ainsi que le philosophe Bernard-Henri Lévy a été entarté à six reprises. «Quand les policiers nous arrêtaient, ils nous donnaient la liste de leurs chefs, en nous demandant si on ne pouvait pas les entarter de leur part… Mais en Belgique et en France, la justice s’est révélée clémente à notre égard. L’entartement du ministre français de la Culture, débouté en cour d’appel, a fait jurisprudence, de sorte que l’on peut maintenant entarter en toute impunité. Aux États-Unis, c’est différent: l’entartage a été condamné par la justice. C’est la première fois qu’un tribunal canadien aura à se pencher sur la question. Personnellement, je crois que les entartistes ont de bonnes chances d’être acquittés, ou alors de recevoir une petite condamnation folklorique.»
Le juge Léger rendra sa décision le 17 mai prochain. Et si les entartistes s’en sortaient blancs comme neige, pourrait-on s’attendre à voir se multiplier le nombre d’entartements? «Il est certain qu’un acquittement donnerait lieu à une avalanche pâtissière, concède Godin. Mais en cas de condamnation, nous allons nous réunir pour conspirer, et ce sera pire encore! Nous allons comploter terriblement, et commettre de somptueux assauts pâtissiers. Et puis il y aura certainement un entartement historique! Il ne nous reste qu’à trouver une victime du tonnerre de tous les diables…»