Société

Droit de cité : Dieu est partout

À une époque où personne ne remercie plus qui que ce soit, ne serait-ce que le serveur au restaurant en guise de bénédicité, il y a encore des irréductibles qui, avant chaque communion, demandent grâce à Dieu pour qu’il leur soit de bon conseil.

C’est le cas des élus municipaux d’Outremont. À chaque début de séance du conseil municipal, ils récitent une prière à Dieu, pour qu’il leur serve de lanterne en vue d’une gestion éclairée des deniers publics.

Ce qui n’a pas empêché le conseil municipal de la petite enclave bourgeoise de réaliser une comédie d’erreurs dans la rénovation du Théâtre Outremont et de se faire fourrer pas à peu près.

Peut-être parce qu’ils avaient péché avant – comme la fois où ils avaient traité leur prochain, les Montréalais, comme des moins que rien, en envisageant de jeter leurs neiges usées à la frontière d’un quartier montréalais. Fallait bien que la pollution s’écoule hors d’Outremont. Et Parc-Extension, ce n’est déjà plus Outremont.

Enfin, toujours est-il qu’on prie à l’hôtel de ville d’Outremont. On le fait également à la Communauté urbaine de Montréal.

Or, c’est illégal. Contraire aux chartes des droits et libertés. La Commission des droits de la personne et de la jeunesse a ordonné à Outremont et à la CUM que cesse la pratique. Le conseil municipal d’Outremont a décidé le 5 avril dernier (et la CUM en février) de ne pas se plier à l’ordre de la Commission, sous peine de poursuites devant le Tribunal des droits de la personne.

Selon la Commission, la prière au conseil municipal est une violation claire d’un droit fondamental, celui de la liberté de culte. Personne ne peut en effet imposer son dieu aux autres, surtout si l’autre est agnostique. À Outremont, le maire Jérôme Utemberg réplique que sa prière n’a rien de catholique, qu’elle est l’exemple même d’un acte oecuménique, que même les juifs hassidiques l’ont adoptée. Pour cette raison, Outremont ignorera l’avis de la Commission.

S’il est vrai que sur le terrain des droits fondamentaux, on a déjà vu pire comme transgression (à ce compte-là, on pourrait être toute une gang au Québec à intenter un recours collectif contre nos parents pour nous avoir imposé la Confirmation), reste qu’avec sa prière, Outremont a l’air tout droit sortie de l’époque d’Élisabeth Première.

Ça fait plus de deux cents ans qu’en Occident, on sépare l’Église de l’État, comme le gras du bouillon avant de faire sa soupe au poulet. La question n’est pas d’interdire les rites spirituels au profit de rites profanes, mais plutôt d’une nécessaire neutralité religieuse, d’une fonction et d’une institution civiles.

La solution la plus simple aurait été de négocier avec la Commission un compromis acceptable. Comme celui en vigueur à la Ville de Montréal depuis plus de dix ans: une minute de recueillement pour tout le monde, en silence. Ceux qui désirent prier, prient celui qu’ils veulent bien prier; alors que les autres en profitent pour réfléchir sur leur utilité à la société; du moins, espérons-le.

Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Alors, Outremont a choisi le sentier de l’affrontement. Les avocats envisagent sans doute la suite avec appétit.

D’une part, vous avez les catholiques pratiquants qui tiennent mordicus à ce que Dieu demeure partout, à plus forte raison dans l’État. D’autre part, il y a les agnostiques confirmés pour qui la laïcité de la société civile n’est pas négociable. Et c’est la justice qui tranchera. Après avoir divisé la population avec l’argent de ses taxes.

Tout ça pour savoir si on a le droit ou non de réciter une prière à haute voix. Ça parle au diable.

Quatorze millions de dollars dans le drain

On a eu la preuve, la fin de semaine dernière, qu’il existe bel et bien une malédiction montréalaise. Elle prend la forme de deux pieds de neige au mois d’avril.

Devant un attroupement de journalistes, le porte-parole des Travaux publics de la Ville a annoncé une seconde fatalité: la neige devra disparaître par elle-même. Il en coûterait quatorze millions de dollars pour enlever une matière qui, de toute façon, dans le très très pire des cas, c’est-à-dire au moment où les médias commenceront à comparer notre situation à celle du Kosovo («Ah! l’Albanie. Vivre à Montréal, c’est déjà un peu la regretter»), aura disparu dans une semaine et demie, liquéfiée dans les égouts de la ville.

«On n’a vraiment pas les moyens de l’enlever?» a insisté un collègue. Coudonc, Chose, sais-tu ce que ça représente, quatorze millions?

Une année de fonctionnement pour l’OSM.

Le double de ce que s’apprête à verser chaque année le gouvernement du Québec pour le nouveau stade des Expos.

Le financement complet pour Les Boys III, IV, V et VI, ou deux autres saisons de Quadra à Radio-Canada.

Trois ans de petits-déjeuners dans les écoles défavorisées de Montréal.

On envoie cinquante mille enfants en camps de vacances cet été.

On achète 1,4 million de livres, format poche, pour les bibliothèques municipales.

On construit dix Accueils Bonneau.

Tous les petits parcs de quartier sont refaits à neuf.

Ou ben on enlève la neige.

Faites votre choix.