Société

La semaine des 4 jeudis : Le maire de Champignac

Connaissez-vous le maire de Champignac?

Sûrement, si vous êtes de ceux qui croient que la bande dessinée est un art majeur susceptible d’intéresser les petits comme les grands enfants.

Durant ma prime jeunesse, Le Journal de Spirou fut un des favoris des amateurs de bd. Personnage secondaire inventé par le génial Francois Franquin, le maire de Champignac ponctue plusieurs des meilleures aventures de Spirou et Fantasio de sa présence cocasse.

Dans ces histoires, le maire est un petit despote insignifiant qui règne sur une municipalité imaginaire de la France profonde. Son apparence rappelle singulièrement un Jacques Parizeau que l’on aurait coiffé d’un melon sur son costume trois pièces.

Le maire adore les grandes envolées lyriques vaseuses, les discours flamboyants et creux. De la foire agricole aux célébrations de victoire, il saisit toutes les tribunes, pour étaler sa culture approximative.

Chacun de ses discours est chef-d’oeuvre de verve où se télescopent comiquement toutes les figures de style et les expressions consacrées du XXe siècle. Jugez-en:

«Nous lançons d’une main sûre, un regard plein de confiance, vers l’avenir qui nous attend de pied ferme.»

«Agriculture, commerce et tourisme sont les deux mamelles qui sèment le pain dont nous abreuvons nos enfants!» clame le maire qui n’est jamais plus inspiré que lorsqu’il appelle à la mobilisation de ses concitoyens. «… Et c’est du haut du fier symbole au pied duquel j’ai l’honneur de me trouver en ce jour, que je dis à chacun de vous, mes chers administrés, d’une voix vibrante: "Debout!"»

Le maire de Champignac est bien sûr une parodie du discours pédant et vide, des flatulences verbales de nos politiciens patineurs professionnels qui tournent autour du sujet jusqu’à le vider de tout sens.

Évidemment, la réalité dépasse la fiction.

Et quoique plus personne à part quelques journalistes n’écoute la langue de bois de nos élus, il y a des moments où leur discours dérisoire flirte avec le surréalisme.

Ainsi, la semaine dernière, de passage parmi les civilisés du vieux continent, notre premier ministre s’est littéralement transformé en maire de Champignac.

Huit citoyens sur 10 ont beau lui signifier par sondage que, par les temps qui courent, ils se crissent du débat national, le PM a laissé cours à sa verve en choisissant d’annoncer à l’étranger que le débat national, s’il n’en tient qu’à lui, entre dans une nouvelle manche. Publicités, mobilisations, erreurs niaiseuses de l’adversaire, tout sera bon pour éduquer encore une fois les masses ignares… Je ne vous propose pas un débat sur le sujet, mais plutôt d’apprécier le délire verbal contenu dans ces quelques morceaux choisis lancés en conférence de presse à la sortie de l’Élysée par M. Bouchard au cas où vous n’y auriez pas prêté attention:

«Le Québec a la capacité d’assumer les choix de ses responsabilités.»

«C’est un chapitre ouvert où l’avenir du Québec va être recentré dans l’actualité.»

Kossé ça veut dire? À peu près que nous sommes maîtres de notre destin…

Mettons ce délire sur le compte du décalage horaire.

Que rétorquent les officiels français à nos velléités nationalistes? Que «quel que soit le choix du Québec, la France est prête à accompagner ce choix.»

Cette foutaise marque malgré tout quelques progrès sur le célèbre «non-ingérence, mais non-indifférence» des socialistes. Mais c’est bien peu pour un politicien en manque de légitimité.

Alors, comment solliciter un propos franchement partisan, sans équivoque? En invitant une vieille baderne, genre Raymond Barre, politicailleur de droite anachronique, résidu d’une époque révolue, à émettre des opinions inconséquentes sur le statut du Québec.

Tu parles. Raymond Barre a une dette envers le Québec. Dans les années 80, il en a coûté 20 000 piastres pour faire déblayer la côte Gilmour en plein hiver. Vingt mille piastres afin de permettre à monsieur d’apprécier le paysage.

J’ai toujours trouvé assez déprimant de constater que, parmi la classe politique française, ce sont les grands bourgeois de la droite affairiste-nationaleuse-tricolore qui soutiennent le Québec dans ses velléités d’indépendance tandis que la gauche progressiste a trop souvent tendance à prendre les indépendantistes pour de petits nazis nationalistes étroits d’esprit. Particulièrement flagrant sous le règne de Mitterrand, ce symptôme atavique sur lequel un René-Daniel Dubois n’hésiterait pas à étayer ses argumentations actuelles reste perceptible chez Lionel Jospin. Tels des maires de Champignac, eux aussi, nos amis de France, conjuguent nationalisme et indépendance comme s’il s’agissait des valeurs constituantes d’une même équation.

Philippe Séguin, politicien influent de la droite française et candidat sérieux à la mairie de Paris, consacre ces temps-ci un édifiant ouvrage aux relations France-Québec. Faisant preuve de lucidité d’historien, M. Séguin (interviewé cette semaine dans nos pages) n’a pas eu besoin de se taper la guerre des drapeaux et des hymnes nationaux qui prévaut quotidiennement au consulat français de la rue des Braves pour apprécier les ambiguïtés de notre situation politique. Le moindre de ses maux fut de rappeler, perplexe, que pour les francophones hors Québec (qui sont tout de même des francophones), l’indépendance du Québec serait une catastrophe.

Séguin appelle de ses voeux une fusion des francophonies. Espérons qu’il ne nous prend pas comme les administrateurs de TV5 pour un pays du tiers-monde, colonisé, tout juste bon à alimenter la francophonie des platitudes de Denise Bombardier.

Ceci dit, dans le débat national, cela semble actuellement de peu d’importance. Nos choix risquant tôt ou tard de s’avérer bien plus dramatiques que ces pistes de solution inoffensives.

Personne ne pourra cependant l’accuser de nuire à la discussion au même titre que les Dion, Landry et que tous les énarques de nos partis nationalistes ou fédéralistes campés sur leurs positions respectives à qui le maire de Champignac pourrait rétorquer avec la verve qu’on lui connaît: «Vous avez tort de vous lancer dans des discours enflammés qui ne peuvent que rafraîchir l’atmosphère. Si vous mettiez un peu d’eau dans votre vin, vous éviteriez de jeter de l’huile sur le feu.»