Les Orphelins de Bouchard : Lulu a-t-il trahi le PQ?
Société

Les Orphelins de Bouchard : Lulu a-t-il trahi le PQ?

Selon GAÉTAN BRETON, prof de sciences comptables à l’UQAM, Lucien Bouchard a détourné le programme du Parti québécois. Après Jean Chrétien, c’est maintenant au tour de Lulu d’essuyer les foudres de certains de ses militants…

Si c’est arrivé à Jean Chrétien, Preston Manning, Gilles Duceppe et Jean Charest, fallait bien que cela arrive aussi à Lucien Bouchard.
Moins d’un mois avant le congrès biennal du Parti québécois, un premier appel public à la démission de Lucien Bouchard à la tête des souverainistes québécois se fait entendre.
Gaétan Breton, professeur en sciences comptables à l’UQAM, et ancien membre des exécutifs des associations de comté de Viau et Mercier au Parti québécois, lance ce mois-ci Les Orphelins de Bouchard (Triptyque), un essai par lequel il en appelle à un changement de la garde au Parti québécois. Pour lui, le PQ n’est plus assez souverainiste et trop éloigné de sa tradition social-démocrate. Les souverainistes, dit-il, méritent mieux que Lucien Bouchard et Bernard Landry. Jacquot est-il prêt pour un retour?

Qu’est-ce qui ne va plus au Parti québécois, selon vous?
On l’a vidé de sa démocratie. Les militants n’ont plus le droit de parole. On magouille comme dans tous les autres partis. Les gens qui avaient des idées ont été tassés, ou ils ont fait le compromis du silence pour la cause de la souveraineté. Ce qui a ouvert la porte au détournement du programme.
À mon avis, Lucien Bouchard n’est pas souverainiste. Il a carrément détourné le Parti pour ses propres intérêts, en foulant le programme sans aucune légitimité. Les dirigeants ont également accaparé l’appareil, en magouillant comme dans les autres partis lors des investitures. De plus, on dicte maintenant aux militants ce que le gouvernement a choisi de faire, pour qu’ils le répètent lors des congrès. C’est ce qui est arrivé lors des débats sur la loi 86 et les conditions gagnantes.

Êtes-vous en train de demander la démission de Lucien Bouchard lors du prochain congrès du PQ, en mai?
Oui, oui! Si mon livre peut servir à ça, tant mieux. Mais pas seulement celle de Lucien Bouchard, celle de Bernard Landry également, et le plus vite possible, pour recommencer à parler de souveraineté, à travailler la soveraineté dans une optique de projet de société. Depuis que Lucien Bouchard est là, on ne parle plus de souveraineté au Parti québécois. On ne parle plus de social-démocratie, mais de démantèlement de l’État au nom de la mondialisation.

Pourtant, la semaine dernière, les Entartistes ont essayé de crémer Bernard Landry justement parce qu’il parlait trop de souveraineté, et pas assez des enjeux sociaux au Québec…
C’est qu’on ne peut pas séparer les deux. Si je fondais un nouveau parti politique aujourd’hui, il serait d’abord social-démocrate avant d’être souverainiste. Plus la souveraineté tarde à se réaliser, plus on repousse la social-démocratie dans le temps. Vient un moment où la justice sociale ne peut plus attendre que la souveraineté se fasse. C’est ce qui est arrivé. Au PQ, on s’est dit: «On va mettre tout ça de côté, on va rassembler des gens d’obédiences économiques différentes dans le même lit en attendant que la souveraineté se réalise; et après, on recommencera à se disputer.» C’est faible comme projet de société. Il était clair, après le dernier référendum, qu’il était impossible de faire la souveraineté sans un projet de société décent, qui se tienne. Avec les effets de la mondialisation sur le Québec et son État, il est devenu essentiel qu’on établisse d’abord un projet de société social-démocrate, plutôt que de songer à la souveraineté à tout prix chez les militants, pendant que les dirigeants prennent la direction d’Ottawa.

À ce que je sache, ce sont les militants qui ont plébiscité Lucien Bouchard!
Ils ont laissé faire Lucien Bouchard parce qu’ils ont été embobinés. On leur avait martelé dans toutes les instances, dans les médias, que Lucien Bouchard était leur dernière chance de faire la souveraineté. Ils ont fait une mauvaise analyse de la situation, lors du congrès de 1996, où il a fait chanter l’assemblée en menaçant de tout lâcher si ses changements au programme n’étaient pas acceptés.
Aujourd’hui, lorsqu’il y a des possibilités de débats, l’aile parleentaire du Parti nous dit: «Ça ne sert à rien de discuter, nous ne sommes visiblement pas d’accord.» Ils font marcher la démocratie à l’envers, en enfonçant les idées du gouvernement dans la tête des militants. Or, c’est aux militants à dicter la conduite aux élus de leur parti.

Les militants n’ont-ils pas été piégés par leur idéal, par l’article 1 du programme péquiste, celui de faire la souveraineté, qui est la raison d’être du PQ?
Non, puisqu’à ce moment, il ne restait plus que ça, la souveraineté, dans le programme original. Les éléments de gauche ont disparu petit à petit du programme. Quand c’est rendu qu’on parle de zone franche, on est loin de la justice sociale. L’économie sociale? C’est d’abolir des emplois de professionnels pour les transformer en jobines précaires subventionnées. Depuis des années, on pratique la solution Lisée, en participant aux réunions fédérales-provinciales, en quémandant auprès d’Ottawa un pouvoir ici et là. C’est contraire au programme du Parti! Même si la proposition Lisée semble avoir été écartée, cela n’empêchera pas Lucien Bouchard de retomber dans cette voie en toute innocence, de la présenter comme solution pour ceux qui ont à pratiquer la «realpolitic».
Or, ça n’a rien à voir avec le programme de 1993. Un programme politique, c’est un contrat entre la population et le parti porté au pouvoir. Mais depuis l’arrivée de Lucien Bouchard, le programme n’a pas été suivi. Lucien Bouchard est un conservateur déguisé en social-démocrate. On a même réussi à faire croire aux gens que ceux qui défendaient le programme en matière d’économie, de langue et de souveraineté étaient des extrémistes, des purs et durs, alors qu’ils ne sont que les gardiens du contrat entre le Parti et la population.

Si le Parti n’avait pas pris ce virage à droite, n’aurait-il pas perdu ses élections en 1998? Alors, adieu le référendum…
Et puis après? Je sais que cela peut paraître terriblement fleur bleue mais, parfois, il faut savoir se retirer du pouvoir. Pourmoi, un parti, ce n’est pas pour prendre à tout prix le pouvoir, mais pour faire passer des idées. À force de jouer le jeu du pouvoir, le PQ est à la dérive.

Mais Lucien Bouchard est-il responsable d’une opération de massacre des acquis sociaux du Québec comme vous le décrivez dans votre livre? On entend parler de coupures dans l’éducation et dans le système de santé depuis 1982… En l’an 2000, l’État québécois a encore un budget qui représente le quart de son PIB, il y a autant d’employés dans les secteurs publics et parapublics aujourd’hui qu’en 1992, soit plus de six cent mille…
C’est qu’on a dépassé les limites dans les coupures. Notre système d’éducation, pour parler de ce que je connais bien, n’a jamais été aussi mal en point. À l’UQAM, on n’a même plus les moyens d’embaucher de nouveaux professeurs, il n’y a plus de fonds de recherche.

Préparez-vous un retour de Jacques Parizeau? Serait-ce souhaitable à vos yeux?
Ça aurait pu l’être il y a quelques années; mais, honnêtement, même si j’ai beaucoup de respect pour Jacques Parizeau, il faut arrêter de regarder vers des personnalités qui ont été tassées. Comme selon toute vraisemblance, et à mon grand désespoir, Lucien Bouchard sera confirmé dans ses fonctions lors du prochain congrès, il faut plutôt préparer le terrain pour l’arrivée de nouveaux leaders, pour une course à la direction dans trois ou quatre ans.

Les Orphelins de Bouchard, Triptyque, 126 pages