Manif à Washington : Seattle, prise 2
Société

Manif à Washington : Seattle, prise 2

Le brouhaha de Seattle contre l’Organisation mondiale du commerce n’était qu’un début. Les militants anti-mondialisation de la planète convergent vers Washington le 16 avril. La cible? Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Jointe à Washington, l’activiste américaine JULIETTE BECK dévoile les dessous de cette nouvelle frappe.

Les militants anti-mondialisation récidivent. Bousculer le déroulement de la grand-messe de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) l’automne dernier à Seattle n’a pas suffi. Voilà qu’ils mettent en branle le plan B: le projet A16 (pour 16 avril). À cette date, ils envahiront les rues de Washington pour chambarder les réunions printanières de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Anarchistes, environnementalistes, syndicalistes et étudiants de la planète se retrouveront pour un Woodstock économique, prise 2. Nuages de gaz en vue.
Les autorités sont sur le qui-vive. Pas question de voir la capitale des États-Unis se transformer en capitale de l’émeute. La police de Washington a dépensé pas moins d’un million de dollars en matériel anti-émeute. Depuis la fin du mois de mars, les policiers de la ville suivent des cours d’intervention de foule, basés sur des bandes vidéo démontrant les ratés de leurs confrères de Seattle, afin de former un contingent de mille cinq cents hommes. Les forces de l’ordre étudient aussi quelques éventualités, comme devoir contrôler cinq mille protestataires qui tentent de saccager Pennsylvania Avenue. Au cas où…
Afin de discuter de cette prochaine manif, nous avons joint Juliette Beck, de Global Exchange, un organisme sans but lucratif de San Francisco qui fait la promotion des droits humains et de la justice sociale. Cette militante américaine de vingt-sept ans est l’une des chefs d’orchestre des manifestations de Seattle et de Washington.
Depuis trois mois, Juliette Beck ne chôme pas. Gonflée à bloc depuis le tohu-bohu de Seattle, cette activiste a organisé une panoplie d’événements: une manifestation contre Al Gore et Bill Bradley à San Jose; un congrès international réunissant cinq cents syndicalistes à San Francisco; un symposium sur l’économie globale; des rencontres de comités de citoyens; des cours sur la désobéissance civile. «L’activisme n’est pas un travail, souligne-t-elle, mais une façon de vivre et un engagement.» Une workaholc qui scandera le slogan «Fair trade, not free trade» à Washington le 16 avril.

Considérez-vous Seattle comme l’an 1 de la résistance anti-mondialisation?
Pour Global Exchange, Seattle a été le big-bang en matière d’activisme anti-mondialisation. Nous avons pu rassembler des représentants du monde entier pour critiquer un nouvel ordre mondial décidé, géré et réglé par de puissantes institutions, comme l’OMC. Nous voulons faire la même chose à Washington.
Seattle représente un moment charnière, parce que nous avons été médiatisés comme jamais auparavant. De plus, les militants, qui autrefois défendaient leurs intérêts chacun de leur côté, ont appris à unir leurs forces. La population n’est plus passive devant ce qui se passe en matière économique. D’ailleurs, Seattle a été une preuve de l’efficacité d’une mobilisation globale et instantanée. Nous sommes sortis grands gagnants en faisant échouer les négociations qui étaient en cours lors de la conférence de l’OMC.

Croyez-vous que les protestataires, qui défendent des intérêts divers allant de la survie des tortues de mer aux conditions de travail des employés de multinationales, réussissent vraiment à faire échouer des rencontres économiques internationales?
Le fait que divers intérêts étaient présents à Seattle, et seront présents à Washington, prouve que la mondialisation attaque bien des aspects de la vie. Le capitalisme sauvage crée des dommages autant humains qu’environnementaux. C’est sûr que nous ne sommes pas entièrement responsables de l’échec des négociations à Seattle. Mais en partie, oui. Quand des protestataires empêchent la tenue de rencontres, ça ne favorise pas la réussite d’une conférence. Je suis sûre que nous avons une influence grandissante, qui se manifestera sûrement à Washington.

Après l’OMC, vous vous attaquez maintenant à la Banque mondiale et au FMI…
Ce sont les deux institutions qui complètent la trinité satanique OMC-FMI-Banque mondiale. Ces institutions ne se préoccupent pas des besoins humans de base, mais plutôt du bon déroulement des échanges économiques internationaux.
Les politiques du FMI sont injustes. Il offre des sommes d’argent à des pays qui connaissent des difficultés financières. Mais ces fonds sont accordés uniquement si les pays acceptent de réaliser des réformes économiques appelées «ajustements structurels». Il oblige les gouvernements à diminuer leur rôle en économie, à accepter l’arrivée de capitaux étrangers, à ouvrir leurs frontières, à mettre leurs ressources à la disposition de tous.
Le slogan de ces réformes est «Gardez votre pays ouvert». Ouvert à quoi, au juste? Ouvert à l’entrée de multinationales intéressées au profit maximum et qui paient les travailleurs dix sous l’heure. Ouvert à l’exploitation humaine. Ouvert au pillage des ressources. Ouvert à la dégradation de l’environnement. Quelle ouverture!? Les ajustements structurels ont enrichi les riches et appauvri les pauvres.
Il existe aussi des aberrations dans le fonctionnement de ces institutions. Les sept pays les plus industrialisés (G-7), donc les plus riches, contrôlent 45 % du FMI et de la Banque mondiale. Il y a une centaine de pays pauvres qui n’ont pratiquement pas un mot à dire. Ce n’est pas normal.
Nous voulons réformer ces institutions qui sont tout à fait illégitimes. Bien qu’elles soient non démocratiques, elles prennent plus de décisions dans certains pays que les gouvernements eux-mêmes. Nous désirons des institutions démocratiques et transparentes. Parce que si les décisions continuent à se prendre à Wall Street et à Washington, jamais la pauvreté ne sera enrayée. Pour moi, il est aussi primordial d’effacer la dette des pays du tiers-monde. C’est la base.

Comme à Seattle, est-ce que les moyens de pression utilisés à Washington se limiteront à des manifestations de rue?
C’est évident que nous allons bloquer les rues et empêcher la tenue des réunions, car nous sommes choqués de voir que des discussions qui touchent tous les habitants de la planète se déroulent derrière des portes coses.
Mais il faut comprendre que les manifestations ne sont que la première étape d’une action bien définie pour Global Exchange et d’autres groupes. Nous en sommes à la sensibilisation de la population. Une fois que les gens connaîtront la force de notre résistance et qu’ils comprendront les enjeux, nous serons à même d’aller plus loin, c’est-à-dire de réclamer des discussions avec les grands stratèges de la mondialisation, car nous aurons recueilli un appui populaire suffisant. En fait, nous voulons que de plus en plus de gens soient derrière nous avant de faire autre chose. Voilà pourquoi nous organisons des manifestations bien médiatisées.
Les manifestations de Washington vont prendre la forme d’un festival de résistance civile avec plusieurs milliers de personnes. Ce sera un moment unique, car certains manifestants ne sont pas sortis dans la rue depuis les protestations contre la guerre du Viêt Nam. C’est dire l’ampleur que prend la lutte contre la mondialisation aux États-Unis.

Les manifestations de Seattle se sont soldées par 2,5 millions de dollars de dommages et cinq cents arrestations. Craignez-vous que des actes de violence se produisent à nouveau, cette fois à Washington?
Nous espérons que la paix va régner. Je plaide pour la non-violence, mais on ne peut pas tout contrôler. Toutefois, je refuse de condamner systématiquement tous les gestes de vandalisme, car ce sont dans certains cas des actes réfléchis et l’expression d’un désespoir.
Je crois qu’il faut cependant insister non pas sur la violence des protestataires, mais sur la violence employée par la Banque mondiale et le FMI. Ils créent des ravages sans même utiliser la force. Il faut s’en rendre compte et réagir, au lieu de s’asseoir et de se laisser faire.