Philippe Séguin : Pari Québec
Société

Philippe Séguin : Pari Québec

Paru au moment où le projet de loi C-20 relançait le débat référendaire, Plus Français que moi, tu meurs! de PHILIPPE SÉGUIN a été réduit à sa position sur la tenue d’un nouveau référendum. «C’est un livre qui tient un propos beaucoup plus large», avertit l’ancien président de l’Assemblée nationale  française.

Votre essai,

Plus Français que moi, tu meurs!, ressemble à une psychanalyse des relations Québec/France, était-ce votre projet?
«Je crois qu’il n’était pas inutile d’en faire un bilan à la fois synthétique, complet et sans complaisance de part et d’autre. Il y a beaucoup de non-dit dans nos relations, beaucoup d’amertume et de frustrations, je crois que la meilleure façon de se débarrasser de tout cela, c’est de tout se dire – y compris les choses désagréables – ou de s’expliquer lorsqu’on s’est mal compris.»

Vous y dites que l’avenir du Québec n’est plus l’affaire de la France…
«Attention! Je ne veux pas dire qu’elle s’en lave les mains. La France vient de rappeler – implicitement ou explicitement, selon les cas – pendant le voyage de M. Bouchard qu’elle reconnaît le droit à l’autodétermination des Québécois. Cela étant, par définition, si un tiers – fut-il français – ou si le fédéral s’y immisce, il n’y a plus de libre choix.
La France défend le droit du Québec à l’autodétermination et c’est d’ailleurs l’un des siens, si j’ose dire, qui a reconnu publiquement ce droit depuis le balcon de l’hôtel de ville de Montréal. Ensuite, c’est aux Québécois de décider ce qu’ils en font. S’ils veulent être fédéralistes, c’est leur droit le plus strict; s’ils veulent être indépendants, c’est leur droit le plus strict. On leur reconnaît ce droit et on respecte l’usage qu’ils en feront.»

Ayant vous-même écrit que le statut du Québec «n’est pas l’affaire de la France», que pensez-vous du fait que les indépendantistes cherchent continuellement l’appui explicite de la France?
«Dans la mesure où, semble-t-il, ce droit à l’autodétermination est parfois contesté, ils se tournent vers ceux qui ont le plus clairement et depuis longtemps exprimé que ce droit existait. C’est logique. Il y a forcément des relations fortes entre deux pays qui ont une langue partagée. Vous savez, une langue, c’est deux choses: c’est un véhicule et une façon d’être. Une façon de voir le monde.Qu’on le veuille ou non, en dépit de toutes leurs différences, en dépit de leurs histoires apparemment lointaines, les Québécois et les Français partagent une certaine façon de voir le monde.
Vous en voulez un exemple? Les phénomènes actuels sur le plan international, les Anglais ont un mot pour les décrire: globalisation. Nous, on en a deux: globalisation et mondialisation. Cela veut dire que nous pouvons faire la différence et plaider pour la diversité culturelle dans le cadre de la mondialisation. Alors que les autres sont condamnés par leur vocabulaire de penser à un monde globalisé.»

C’est ici que la Francophonie peut jouer un rôle important?
«Elle le joue déjà par la force des choses, du fait qu’elle existe, mais ensuite je crois qu’on a besoin de l’organiser pour s’épauler les uns les autres, ne serait-ce que pour maintenir le statut de notre langue. Si on considère la langue uniquement comme un véhicule, il faut arrêter de parler français, il n’y a pas de doute. Il serait beaucoup plus simple de parler le sabir qu’on appelle l’anglais et qui n’a plus que de lointains rapports avec la langue de Shakespeare, mais qui est un moyen véhiculaire incontestable. Mais si on pense que c’est aussi une façon de dire et de voir le monde, il faut essayer de maintenir notre langue.»

Vous critiquez sévèrement la Francophonie. Quel devrait être son rôle, selon vous?
«C’est d’abord l’aide au développement des pays qui en font partie et qui, aujourd’hui, sont sur le bord du chemin. C’était d’ailleurs l’idée de Léopold Sédar Senghor, de Bourguiba et de Daniel Johnson, quand ils l’ont porté sur les fronts baptismaux. Parce que pour défendre une langue, il ne faut pas que des mesures d’exceptions, des dérogations aux règles du commerce sur les produits culturels ou autres, il faut aussi des marchés.
Prenez le dernier film de Luc Besson, Jeanne D’Arc. Dieu sait si c’est un sujet très français et si Luc Besson est un auteur très français, mais il a été fait en anglais avec des acteus américains. Pourquoi? Parce que s’il voulait amortir les coûts de son film à grand spectacle, il lui fallait en priorité le marché américain. Du coup, le scénario n’a plus de grand rapport avec l’histoire réelle. Si on avait eu des marchés francophones solvables, les choses se seraient passées différemment.»

Vous croyez qu’une entité francophone aussi hétéroclite peut vraiment être viable, politiquement et culturellement?
«Il ne faut pas non plus qu’on souhaite qu’elle soit une alternative à quelque chose qui est encore plus hétéroclite et qu’on appelle le village global…»

Vos points de vue sont-ils partagés par l’élite politique française?
«Sur le plan de la politique nationale, je crois que ce qui a été dit à Paris la semaine dernière n’est en rien contradictoire avec ce que je dis. Par ailleurs, je suis de ceux qui pensent qu’il faut multiplier toutes les initiatives pour resserrer les liens entre les deux peuples. À cet égard, il y a dans le relevé de décision – j’avais moi-même beaucoup plaidé pour cela – quelque chose qui me paraît prometteur sur les échanges entre les écoles primaires et secondaires du Québec et de la France. C’est un système qui va permettre aux enfants de 10 à 13 ans d’aller passer trois semaines dans une famille de l’autre pays.»

Afin de créer une sorte d’identité francophone?
«Une langue commune, cela permet des cultures qui présentent des différences, qui ont un fond commun, mais qui ont aussi leurs spécificités. Et il faut qu’elles les gardent, ces spécificités. Elles ont une histoire, des raisons, des fondements.»

Trouvez-vous que les échanges entre le Québec et la France sont atteints par le virus de la langue de bois?
«Parfois, oui. Dans l’histoire des couples, il y a des phases successives. Nous en sommes encore à la phase conventionnelle. Mais je crois qu’il faudrait passer à cette assurance qui fait qu’on peut tout se dire.»

Croyez-vous que votre livre va relancer le débat sur les relations entrenos deux pays?
«Il semble que oui puisque, au Salon du livre de Québec, je participerai à un débat avec madame Louise Beaudoin…»