Rencontre de Vancouver : Climat de tensions
Société

Rencontre de Vancouver : Climat de tensions

Dernièrement, les ministres de l’Environnement et leurs vis-à-vis de l’Énergie de tout le pays s’étaient donné rendez-vous à Vancouver afin de décider comment respecter les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pris à Rio puis à Kyoto. Le ministre québécois a «claqué» la porte et les autres étudieront plus en profondeur la question avant d’agir. Véritable débat ou simple mascarade  politique?

Si vous pensez que la lutte de nos politiciens contre l’effet de serre est principalement motivée par un désir profond de sauver l’humanité et de purifier l’air, vous êtes bien naïfs!
«C’est de la bouffonnerie, tout ça! Les gens de la politique ne réagissent que lorsque l’opinion publique est bien informée et réclame des changements… Il y a une réponse molle, car les Canadiens ne sont pas convaincus qu’il faut payer.» Le constat émane d’un enseignant de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM spécialisé en management environnemental et écologiste de conviction, Daniel Clapin-Pépin.
Selon lui, nos élus s’enlisent de plus en plus puisque la problématique est réduite à des questions politiques et économiques. Leur ferveur est d’autant amoindrie que nos contrées ne seront pas les plus touchées par le réchauffement de la planète. «Même que, au contraire, au Canada, on a des avantages.» Ce sont les pays du tiers-monde qui y goûteront le plus lorsque leur littoral sera inondé.
M. Clapin-Pépin ne se fait donc pas d’illusions. Les désirs électoralistes et, surtout, la logique d’entreprise priment dans le dossier des GES. Et, qui dit entreprises, dit lobbys très puissants et poids considérable de l’oncle Sam, de ses industries. Nous, pauvres nordiques, ne pouvons qu’espérer que nos voisins agissent et forcent la main à nos représentants. «Les principales décisions, c’est aux États-Unis que ça se passe. C’est là que les décisions se prennent… Le Canada est une succursale américaine.»

Mal nécessaire
Le responsable de la cause des changements climatiques au sein de Greenpeace, Steven Guilbeault, remarque également que les jeux politico-économiques sont omniprésents dans le dossier. Particulièrement au Québec.
Le ministre de l’Environnement, Paul Bégin, a claqué la porte de la conférence de Vancouver afin de marquer la différence québécoise, son désir d’agir et les bienfaits de l’hydroélectricité pour l’environnement. Il avait fait exactement la même chose ennovembre 1997 à Régina lors de la rencontre préparatoire au sommet de Kyoto. «Quelle belle façon de montrer qu’on est une société distincte!» lance M. Guilbeault. En plus, on fait d’une pierre deux coups en renfonçant l’image d’Hydro-Québec. Le but? Faire de l’argent, vendre plus d’électricité.
M. Guilbeault s’accommode néanmoins tant bien que mal de cette «comédie» politique et tente d’en profiter au maximum. «C’est une épée à double tranchant pour M. Bégin… Quand ça va être le temps de livrer la marchandise, on va l’attendre avec une brique et un fanal», prévient-il. Certes nous polluons moins que les autres confédérés qui n’ont pas le même bassin hydrographique, mais nous faisons encore trois à quatre fois pire que les Scandinaves. «Si on veut aller de l’avant, il faut regarder ceux qui font mieux que nous.»
Représentant des Amis-es de la Terre au sein du groupe de travail mis sur pied par le ministre Bégin, Richard Domm est un peu moins optimiste que son collègue. Il ne perçoit pas de réel désir d’implanter des mesures coercitives afin de contraindre les industries. «On va faire comme le fédéral. On va attendre quatre ou cinq ans… Le Québec utilise ses projets hydroélectriques pour ne pas faire tout ce qu’il peut. Je vois ça comme une belle excuse pour ne pas faire plus.»
M. Domm prête toutefois des intentions louables au ministre Bégin qui serait réellement «éveillé». Mais, l’écologiste doute que le politique fasse le poids devant les lobbys. «D’après moi, c’est plus une question d’argent parce que le Québec n’est pas prêt à faire sa part… C’est quoi? Juste dire qu’on est beau et fin parce qu’on a de l’eau… On n’est pas mieux qu’un autre, vitupère-t-il. C’est du théâtre.»
Le bénévole déplore également la complaisance démontrée par de nombreux chercheurs envers les gouvernements. Selon lui, plusieurs des participants à la table de discussion du ministre vivent des subsides gouvernementaux, ce qui fausse quelque peu leur jugement. Il doute ainsi de la validité de l’exercice et dévelope de plus en plus d’appréhensions à l’aube du dépôt du plan en juin et de la politique à l’automne.

Lueur au bout du tunnel
Le président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), André Bélisle, perçoit néanmoins une lueur au bout du tunnel. «[M. Bégin] a une conjoncture favorable parce qu’il est au Québec. Il y a une occasion d’affaires.» Voilà la solution, selon lui. Démontrer qu’il y a une «piastre» à faire.
L’AQLPA a d’ailleurs piloté, il y a quelques mois, un projet d’inspection-entretien des véhicules routiers responsables de 40 % de la pollution de l’air au Québec. Mieux entretenus, les autos et camions pollueront moins, seront plus économiques. Aussi, de nombreux emplois seraient créés.
De plus, il faudrait développer notre expertise en production d’électricité éolienne. L’hydro, c’est bien, mais le vent, c’est mieux, croit M. Bélisle.
Il demeure cependant bien conscient que les pouvoirs du Québec en la matière sont limités et que le fédéral devra agir. Pas dans 10 ans. Aujourd’hui. «La réalité nous condamne. Ça passe ou ça casse.» Malheureusement, l’Ontario et l’Alberta, des provinces fort puissantes où le pétrole et l’automobile règnent, ont déjà émis une fin de non-recevoir. «Ça fait que le fédéral n’est pas courageux.»

Dossier complexe
Le directeur de la Direction des changements climatiques du ministère de l’Environnement du Québec, Robert Noël de Tilly, affirme être confiant que le Québec réussira à atteindre ses objectifs de réduction de GES. N’empêche qu’il admet que «c’est un dossier qui est beaucoup plus complexe que les gens le pensaient à l’origine». Énormément d’argent est en jeu et il faut déterminer qui payera la note.
Il ajoute que la province a déjà stabilisé ses émissions de GES au seuil de 1990, un de ses objectifs, contrairement à ce que dit le fédéral, soit une hausse de 3 % sur le territoire québécois. Les méthodes de calcul québécoises seraient plus fiables.
Quant au déart remarqué du ministre Bégin de Vancouver? M. Noël de Tilly était là et a pris la relève en tant qu’observateur. «J’y vois un réel désir d’agir.» Quoi qu’il en soit, M. Bégin n’a pas manqué grand-chose et M. Noël de Tilly ne l’a pas suppléé longtemps puisque le ministre a quitté moins d’une heure avant la fin des discussions.