Société

La semaine des 4 jeudis : Où êtes-vous, forces obscures qui nous gouvernez?

«Je ne fais pas de politique, je fais des affaires.»

À qui attribuez-vous cette citation?

A) Howard Hughes
B) Bill Gates
C) Conrad Black
D) Pierre-Karl Péladeau
E) Toutes ces réponses

Vous avez choisi E? Bravo, vous avez raison.

Depuis la nuit des temps, la phrase sert de leitmotiv à tous les businessmans qui refusent d’afficher publiquement leur parti pris par crainte de s’aliéner une partie de leur clientèle, et de voir chuter le cours de l’action privilégiée.

Le dernier à avoir souscrit à l’énoncé fut le fils Péladeau qui, dès son accession aux rênes de Québécor, prit ses distances avec les engagements nationalistes de son paternel. Pierre-Karl s’était alors empressé d’affirmer qu’il ne faisait pas de politique, mais bien des affaires.

Et si pour M. Péladeau une opportunité d’affaires – la prise de contrôle de Vidéotron – s’est transformée en enjeu politique, Internet-Québec contre Internet-Canada, c’était assurément contre son gré.

On vous a raconté qu’au siècle de la mondialisation, la finance se soucie peu de politique.

Que depuis l’invention de la multinationale, l’économie de marché prévaut sur les états d’âme, que le pouvoir de l’argent broie les États sans plus de soucis pour le citoyen que pour les dirigeants.

Que dans nos sociétés aseptisées, la logique du profit fait figure à la fois de religion individuelle et de philosophie collective. Tout à fait.

Mais alors, que font Jean Monty, président de BCE, et Charles Sirois, milliardaire controversé, à discuter discrètement de l’avenir de Jean Charest en compagnie d’un éditorialiste de La Presse dont les allégeances fédéralistes sont reconnues? De la politique? Certainement pas au sens moderne. Plutôt des affaires.

Simple, le poulain n’a pas rapporté les dividendes escomptées. Il tire de la patte et n’arrive même pas à s’imposer devant des adversaires épuisés. Il n’a pas su consolider le fragile terreau de l’incertitude politique qui, nous répète-t-on, fait si peur aux investisseurs. On ne change peut-être pas de monture en pleine course, mais on peut toujours fouetter la brave bête.

Cela vous dérange? Vous imaginez un complot?

Pourquoi devrait-on se formaliser que quelques amis qui ont en commun, comme nous tous, une opinion politique discutent des choses de l’État? Qu’un politicien et quelques magnats de la finance puissent partager de grandes ambitions? Que ces fiers Canadiens souhaitent pour le beurre, et la gloire, la défaite d’un idéal aussi désuet que l’autodétermination d’un peuple?

Pourquoi serait-il révoltant que l’économie pèse de toutes ses forces sur le destin des nations? Que quelques journalistiques convaincus tentent d’influencer la population?

Que Conrad Black dicte la ligne éditoriale de ses journaux à la veille d’une élection provinciale?

Parce que, vous entends-je dire dans notre langue malade, vous craignez que votre petite voix d’insecte ne puisse rien contre le bruit des parquets du Toronto Stock Exchange et de Wall Street?

Pour avoir de telles pensées, il faudrait présumer que, plus qu’eux-mêmes, c’est la puissance de leur entreprise et, accessoirement, leurs moyens considérables que les Monty, Sirois et Black mettent au service du fédéralisme. En conclure que Bell et Téléglobe sont des entreprises fédéralistes qui craignent moins le boycott de 35 % des Québécois que l’instabilité politique.

Croire que le champion des fédéralistes est un opportuniste.

Croire, par ailleurs, que Bill Gates, la NRA, les groupes pro-vie et tous les marchands de cancers d’Amérique attendent le retour des républicains par autre chose que conviction.

Et même relancer cette vieille idée paranoïde selon laquelle au-delà des élus des forces obscures nous gouvernent. Que ces Mystérons de la finance, en synergie avec des médias complices, possèdent le contrôle du balayage horizontal et vertical.

Allons, allons, nous sommes en démocratie. Il y a des lois, il y a des droits. Des droits acquis par 1 000 ans de civilisation que les sinistres puissances de l’argent ne sauraient contourner: un homme, une voix. Et s’il en était autrement, si le monde n’était qu’un gigantesque trafic d’influences tout ce qu’il y a de plus légal, il serait bien trop insupportable pour qu’on choisisse d’y vivre ou d’y faire des enfants plus longtemps.

Maintenant, cochez la bonne réponse.

Suis-je?

A) Naïf
B) Utopiste
C) Aveugle
D) Méchamment cynique
E) Toutes ces réponses