Voilà. Le Collectif a réussi à rallier, non sans peine, les groupes sociaux québécois. Mais déjà, certains de ses membres mettent le holà à l’exultation généralisée. On ne renverse pas le mode de gestion bien implanté d’un gouvernement en claquant des doigts. Surtout quand on joue avec des milliards de dollars publics.
L’objectif est louable. En 10 ans, la pauvreté étant combattue avec fermeté et ardeur, le Québec sera plus équitable, les riches et les pauvres moins éloignés, etc. Mais encore faut-il que nous et nos élus acceptions d’embarquer et d’y mettre le prix.
«Maintenant, la vraie lutte commence… C’est le plus gros. Même si la première étape a été très exigeante, ça n’a rien à voir avec la deuxième… Il faut que ça devienne un incontournable dans la population», expose le coordonnateur du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), François Saillant.
Attendez-vous donc à en entendre parler. Parce que si on nous vend l’idée, «le gouvernement, à tout le moins, va être obligé de prêter une oreille attentive». Et que veut-on lui faire entendre? La version finale du projet de loi ne sera rendue publique que le 13 mai. Malgré tout, M. Saillant a laissé couler quelques bribes d’information: les prestations d’aide-sociale augmentées substantiellement, un revenu minimum garanti, un plan d’action fixe établi et le salaire minimum haussé à 8,50 $/heure.
Des idéaux comme ceux-là, il y en a une multitude dans le projet de loi. M. Saillant demeure terre à terre. Le gouvernement ne l’acceptera jamais textuellement, se résigne-t-il. «Mais, au moins, il devrait céder des mesures concrètes.»
Le représentant de la FTQ dans le dossier, Marc Bellemare, est tout aussi réaliste. «\Je ne suis pas sûr que les membres du Collectif réalisent tout le travail qu’il reste à faire.» Le vieux routier des luttes contre le gouvernement et le patronat fait un peu figure d’empêcheur de tourner en rond au sein du groupe.
Même si les tenants de cet absolu de l’équité sociale développentun argumentaire quasi péremptoire et nous persuadent, rien ne sera gagné. Surtout avec un gouvernement qui se prépare pour les prochaines élections, indique M. Bellemare. Malgré cela, s’il accepte d’en débattre, il y aura commission parlementaire. Et là, attendez-vous à voir débarquer la cavalerie du néolibéralisme et du capitalisme. Des gens puissants ayant un poids certain et qui savent que les pauvres participent peu à ce genre d’exercice.
En plus, si le gouvernement veut se faire un peu de capital politique, il risque de s’approprier le projet, fait valoir M. Bellemare. Dès lors, il pourra confier le dossier à un ministère plutôt qu’à un conseil indépendant, comme le demande le Collectif, et en faire ce qu’il veut. «Ça va faire un très gros débat», prévient-il.
À l’écouter, on pourrait croire que le projet ne va jamais aboutir. «Ça va dépendre comment les gens vont réagir après le premier NON, avance-t-il. Gardons les deux pieds sur le trottoir et des objectifs que l’on peut atteindre.» Sans quoi, tous ceux qui auront mis la main à la pâte bénévolement et tenté de nous convertir abandonneront.
Rien de moins
Néanmoins, la coordonnatrice du Collectif, Vivian Labrie, n’en démord pas. «On ne vise pas un dépôt symbolique… On est très clair. Ce qu’on vient d’adopter, c’est ce qu’on veut.» Le Québec devra s’engager à lutter contre la pauvreté tant qu’il y en aura et favoriser l’enrichissement du cinquième le plus pauvre à celui du cinquième le plus riche. Rien de moins.
Oui, mais tout ça va coûter très cher aux Québécois? «Ça coûte cher aux gens de ne pas vivre dans l’égalité, rétorque-t-elle. Il y a des droits reconnus à tous, mais qu’on ne peut pas exercer quand on est dans un état de pauvreté.»
Oui, mais beaucoup de citoyens, dont les élus, vont faire un exercice comptable? Les quelque 4,5 milliards de dollars redistribués en baisse d’impôt par le ministre des Finances, Bernard Landry, suffiraient à pallier au plus urgent, estime Mme Labrie. On garde une part pour les plus fortunés et quatre pour les autres. «C’est ce qui nous amène à dire qu’on a les moyens.» Du moins, pour l’attaque initiale. La mise en oeuvre des nombreuses autres mesures n’a pas encore été chiffrée.
Mais, une fois les premières nécessités réglées, les écarts rétrécissent; nous avons une société où il fait bon vivre, plus en santé et plus équilibrée, entrevoit Mme Labrie. C’est l’économie sociale. Tout un changement de cap pour le gouvernement, admet-elle.
Dépôt en chambre
Durant tout l’été, donc, on entendra parler du projet de loi. Ainsi, on espère trouver des appuis à la Chambre des communes pour un dépôt à l’automne. L’idéal? Que le premier ministre, Lucien Bouchard, pilote le dossier.
On ne se fait toutefois pas trop d’illusions, indique le porte-parole du Collectif, Christian Dubois. Pour l’instant, tous les députés «sont des alliés potentiels… et des ennemis potentiels!» En fait, on tentera de rencontrer les trois partis et d’en trouver au moins un pour appuyer la démarche.
À ce jour, un seul politicien s’est mouillé le bout du petit orteil. Le député péquiste de Maskinongé, Rémy Désilets. Il n’a malheureusement pas eu le temps de rendre notre appel. Aux dires de M. Dubois, il aurait donné son appui à l’idée de produire et d’adopter une loi antipauvreté. De quel type et de quelle portée? Attendez! Les politiciens n’embarqueront pas dans le débat avant de savoir si ça peut leur donner un avantage certain.
Porté par les femmes
Le 13 avril, tous se donnent rendez-vous devant l’Assemblée nationale, histoire de faire un peu de bruit, de fouetter les troupes et de montrer aux élus hésitants que les appuis sont nombreux. Dès lors, la Marche mondiale des femmes soutiendra une bonne part du projet, celles-ci étant plus sujettes à la pauvreté. «Ce n’est pas juste un projet de femmes. Mais comme elles sont plus organisées, elles peuvent le porter», explique l’une des vice-présidentes de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Viviane Barbot.
Pour la FFQ, l’boutissement des deux années de travail marque un grand pas en avant pour la société québécoise. Elle entend bien faire pression sur les élus et leur faire comprendre que l’État est avant tout la propriété des citoyens et non celle des milieux d’affaires. «\C’est toujours le côté économique qui revient. Comme si l’État ne nous appartenait pas.» Une confrontation d’envergure en perspective.