Société

La semaine des 4 jeudis : Tu quoque mi parti

Cher Johnny The Christian,

Malgré son apparente facilité, le métier d’humoriste demande patience, expérience, et un sens de l’à-propos peu commun.

Vous vous êtes monté, au fil des années, un solide répertoire.

Le monologue du flag su’l hood et celui du Sommet de Vancouver avec son hilarant «Moi, du poivre, je mets ça dans mon assiette» nous font encore mourir de rire. Et que dire du célèbre «Pourquoi qu’il le rencontrerait? Y’é malaaaade!» stigmatisant la convalescence de Lucien Bouchard lors de la visite de Bill Clinton; ah, tout simplement pissant! Et le sketch génial sur les enfants et l’armement nucléaire présenté en pleine campagne électorale. Hahahaha! Il rivalise avec les meilleurs moments d’Yvon Deschamps.

En tournée sur les grandes scènes du monde, vous avez ajouté le geste à la parole pour notre plus grand plaisir avec le coup du blaireau japonais. Stand up comic chargé de divertir les troupes en Bosnie-Herzégovine, dans la ville martyre de Scebréni-Srébré-Srébrinatchatcha Scébréniquoi, déjà? (hahaha!), vous avez connu un immense succès mondial en mettant, comme le bon roi Dagobert, votre casque bleu à l’envers: une grande pantomime digne de Mr Bean. Tandis que ce p’tit match de basket où vous vous êtes pilé sans mal sur les lacets ressemblait aux acrobaties du Chaplin des grands jours! On reconnaît bien là votre large culture et vos références historiques.

Les grands artistes, c’est bien connu, se soucient de leur image. Pour garder la forme et la montrer, les sexagénaires Jean Marais et Yves Montand faisaient de la trempoline et des barres parallèles devant les journalistes. Quoi de mieux pour prouver qu’à 66 ans vous pétez de santé que d’administrer une solide prise du crabe à un militant pacifiste. Quel réflexe! Quelle virilité!

C’est ce genre d’acte qui maintient au sommet de la popularité en Ontario.

Mais le rôle de décomposition dans lequel vous excellez est certes celui de premier ministre du moindre mal.

Porté par le dégoût qu’inspire le précédent gouvernement, élu sans difficulté à la faveur de divisions sociales et linguistiques… Il faut bien admettre qu’outre votre acharnement à jouer les Indiens, si vous êtes devenu le «cheuffe», c’est aussi-beaucoup parce qu’aucune alternative sérieuse ne s’offre aux citoyens du plus beau pays du monde. Bref, faute de mieux, on vote pour vous.

Et tandis que le comédien du pays d’à côté risque d’entraîner tout son parti dans le gouffre pour une petite turlutte taillée par la première pétasse venue, vous, fidèle aux valeurs séculaires qui ont présidé à la construction de notre grande nation, vous résistez à tout.

Si bien qu’au tournant de l’an 2000, vos biographes raconteront que vous regardiez droit devant l’avenir sans nuage. Et que vous envisagiez un dernier long rappel avant de quitter la scène…

Attention! Je n’ai qu’un conseil à vous donner. Méfiez-vous. Méfiez-vous des ambitieux. De ces jeunes qui sont toujours prêts à faire plus fort et plus bête, à patauger sans gêne dans l’humour gras au détriment de toute subtilité. Car il est vrai que le spectateur, comme l’homme, s’habitue et se lasse de tout.

Et il se pourrait qu’outre les homophobes de l’Alternative unie, quelques-uns de vos faire-valoir, ministre des Ressources humaines, chef des forces armées, ministre de l’Environnement, ministre des Finances, veuillent tirer le tapis de sous vos pieds à la faveur de la première salle vide située dans une province qui ne vous porte pas dans son coeur.

Les indices ne trompent pas. Si vos lapsus habituels défraient encore la manchette, cette fois-ci, on ne rit plus de vos nouveaux monologues. Le fleuve de monsieur Jourdain et Jonathan Livingston le Golan n’ont pas la cote.

Même si, contrairement au mime Jospin, personne en Palestine ne vous a lancé tomates ou pierres. On ne vous pardonne même pas de vous enfarger dans le contexte politique terriblement complexe du Moyen-Orient. Vos débuts au grand écran dans Lost in East-West North-South Jerusalem: who cares?

Israéliens, Palestiniens, Jordaniens, Syriens, personne ne se soucie de vos bourdes.

Pourtant, ici, on monte l’affaire en épingle. Deux militants rabougris d’un comté profond racontent que le spectacle n’est plus ce qu’il était, et on en fait un sujet national.

Du coeur même de votre propre parti se répandent les rumeurs de complot les plus folles et des canulars propres à vous discréditer. On a même chuchoté en anglais que vous vouliez ramener le tiers de la Palestine dans vos bagages. Et, sont-ce des membres de votre propre parti qui, durant votre absence, racontent toutes ces salades sur les subventions dans Shawinigan?

Plus de doute. En fait, je crois que vos confrères et amis ont décidé de vous faire la job.

Et qu’ils risquent de réussir là où tous vos ennemis ont échoué.

Il serait temps d’étudier vos classiques afin de mettre au point votre propre version comique des ides de mars. Au moment où Jules César se fait poignarder dans le dos par les membres de son propre parti, vous pourriez vous exclamer en le parodiant: «Tu quoque mi parti!» Ce sera peut-être votre dernière réplique. Et wow! Quelle sortie!