Les Chiennes de garde : Sur les dents
Société

Les Chiennes de garde : Sur les dents

Fondée il y a un an, l’association les Chiennes de garde pourfend le sexisme qui sévit au pays de Jacques Chirac. Terminée, l’ère de la poupoune belle et silencieuse: les Françaises se réveillent et défendent leur honneur. Il était  temps!

Ah, la France! Ses paysages bucoliques, son bon vin, ses fromages et… son indécrottable machisme. Au pays des droits de l’Homme, les femmes qui osent se présenter en politique se font parfois traiter publiquement de putes ou de salopes. À moins qu’on ne leur demande, en pleine Assemblée nationale, si elles portent un slip sous leur jupe. C’est ça, le fameux jeu de séduction à la française? La première ministre Édith Cresson s’est même déjà fait dire: «On t’espère meilleure au lit qu’au ministère.» Bref, la violence des propos à l’endroit des femmes est tout simplement inconcevable.
C’est à la suite d’un épisode particulièrement disgracieux – la ministre de l’Environnement Dominique Voynet s’est fait crier: «Tire ton slip, salope!» en plein Salon de l’agriculture – que Florence Montreynaud, écrivaine et historienne (elle a écrit Le XXe siècle des femmes, un bouquin passionnant recensant les grands moments de l’histoire au féminin), a décidé de fonder les Chiennes de garde.
Objectif: crier haut et fort chaque fois qu’une femme, politicienne, artiste ou simple citoyenne, est victime d’insultes ou de discrimination sur la base de son sexe.
Après l’épisode Voynet, les Chiennes de garde ont défendu Laure Adler, animatrice (Le Cercle de minuit), écrivaine et aujourd’hui directrice de France Culture, une radio parisienne qu’on pourrait comparer à la Chaîne culturelle de Radio-Canada, en plus vivant. Bref, Laure Adler est un personnage public bien en vue à Paris. Or, au beau milieu de négocations avec les techniciens de la radio, le syndicat dirigé par Marc Blondel (leader de Force Ouvrière) a fait circuler un tract sur lequel on pouvait lire ceci: «Prenez garde, madame la directrice, de ne pas coincer vos talons aiguilles dans la grille de vos programmes.» Depuis, les Chiennes ont pris la défense de deux femmes seules s’étant vu refuser l’accès au chicissime Fouquet’s, sous prétexte que l’établissement ne servait pas les femmes non accompagnées (histoire, dit-on, d’éloigner les putes..).
Afin d’en savoir plus sur ce groupe, nous avons joint sa fondatrice, Florence Montreynaud, dans son appartement parisien.

Pourquoi avoir fondé les Chiennes de garde?
En 1978, je me suis présentée comme députée sous la bannière Choisir, et mes affiches ont été couvertes du mot «PUTE». Depuis, j’ai toujours soutenu les femmes qui se faisaient insulter publiquement. Je leur envoyais un petit mot réconfortant. Après l’épisode Dominique Voynet, qui a eu lieu le 6 mars 1999, je n’ai pas dormi de la nuit. Je me suis dit: «C’est assez, il faut faire quelque chose. Plutôt que d’écrire aux femmes affligées, je vais m’adresser aux machos.» J’ai donc rédigé un manifeste que j’ai fait circuler à l’occasion du 8 mars, Journée internationale des femmes. [NDLR: On peut le lire sur le site Internet http://www.chiennesdegarde.org.] Des centaines de gens ont adhéré mais personne n’en a fait mention dans les médias. Puis, en septembre, le quotidien Libération a publié notre manifeste. Les gens ont commencé à s’intéresser à nous. Ensuite, il y a eu l’épisode Laure Adler. Les médias nous reprochent parfois d’appuyer nos amies. C’est faux: je n’étais pas d’accord avec les politiques de Laure Adler à France Culture et, de son côté, elle n’avait pas signé notre manifeste. Nous l’avons tout de même défendue lorsqu’elle a été interpellée par Force Ouvrière. Depuis, elle a adhéré aux Chiennes de garde.

Qui sont vos supporters?
Des femmes et des hommes (ils comptent pour le tiers des membres) de partout sur la planète. Depuis le 8 mars 2000, un manifeste international circule grâce à Internet. Nous avons des signataires de partout, nous pensons même créer des chapitres locaux qui auraient leur page Web sur notre site. Les Québécoises ont d’ailleurs été très nombreuses à nous soutenir, particulièrement à Montréal. Les femmes qui nous appuient proviennent de tous les horizons: mères de famille, intellectuelles, scientifiques, artistes, politiques, etc.

Quand on regarde ce qui se passe présentemnt en France, on a le goût de vous dire: «Enfin, les Françaises se réveillent!» Comment expliquez-vous ce renouveau féministe?
En France, depuis 1995, plusieurs facteurs ont contribué à un certain renouveau social: la lutte anti-mondialisation, la pétition pour défendre la formation des gynécologues (qu’on veut pratiquement abolir en France), certaines grandes grèves, etc. La population cherche de nouveaux leaders. Peut-on parler d’un renouveau féministe? Je ne crois pas. Il y a des groupes féministes très actifs depuis une dizaine d’années, pensons aux Marie pas claire, aux Zarmazonnes, etc. Ce qui a changé, c’est la réception. La situation est mûre, les gens sont prêts à entendre le message des féministes.

En parcourant la presse française, on a parfois l’impression d’assister à une surenchère de déclarations pro-femmes de la part de vos hommes politiques. Les croyez-vous sincères?
Vous avez raison, il y a surenchère et elle est tout à fait démagogique. Soudainement, tout le monde se dit l’ami des femmes et ce, malgré le fait qu’elles ne représentent que 10 % des élus à l’Assemblée nationale! Il faut dire que la pression féministe augmente dans la société française. Même l’hebdomadaire Elle est de plus en plus féministe. Depuis la création des Chiennes de garde, on n’entend pratiquement plus d’injures sexistes à l’Asssemblée nationale. C’est un pas de géant quand on pense à toutes les horreurs qui ont été dites. Imaginez, on a déjà entendu un député lancer, à la suite d’un discours d’une de ses collègues: «C’est le concert des vagins!» C’est incroyable!

Ce qui est encore plus incroyable, c’est qu’aucune femme, avant l’arrivée des Chiennes de garde, n’ait dénoncé publiquement de telles injures!
Il y a deux choses honteuses en France. Premièrement, le président de l’Assemblée nationale aurait dû dire: «Non, c’est assez!» Il ne l’a pas fait. Deuxièmement, il n’y a jamais eu de solidarité entre les femmes. Or, depuis la création des Chiennes de garde, je crois que les députées prendraent publiquement la défense d’une consoeur insultée. Heureusement, elles n’ont pas eu à le faire puisqu’on n’a plus entendu ce genre d’insultes.

En l’espace d’un an, les Chiennes de garde auraient donc eu un impact sur l’attitude des Français?
Il n’est pas rare d’entendre dans nos médias: «Attention, on va appeler les Chiennes de garde.» Le succès de cette expression me stupéfie. Il faut dire que le terme (qui provient de l’anglais watchdog) ne plaît pas à tout le monde. Quand j’ai lancé le groupe, un tiers de mes amies n’ont pas voulu signer le manifeste car elles refusaient d’être appelées «chiennes». Il faut un certain courage, quand on est un personnage public, pour assumer cette appellation-là. Il faut accepter d’être ridicule. [NDLR: Lorsqu’elles manifestent, les Chiennes de garde portent un masque de chien et aboient.]

En France, on vous reproche de ne défendre que des gens connus. On vous traite de féministes BCBG…
C’est particulièrement malhonnête. La vérité, c’est que les médias ne s’intéressent pas à toutes les causes que nous défendons. Depuis quatre mois, nous supportons la footballeuse Nicole Abar (plusieurs fois championne de France), qui a été victime d’insultes sexistes. Elle s’est retrouvée une première fois devant la justice pour contester une décision de son association de football qui avait exclu les équipes féminines des compétitions 1998-1999. Le juge l’a condamnée à verser dix mille francs (environ deux mille deux cents dollars) à l’association en question. Elle est allée en appel. Ensuite, le maire l’a insulté publiquement, des injures sexistes dont plusieurs personnes ont été témoins. Nous étions à ses côtés lors de son procès qui a eu lieu à Nanterre, en banlieue de Paris. Les Chiennes de garde ont même créé un Fonds Nicole Abar pour l’aider à payer ses frais juridiques. Ça, personne n’en parle. L’agressivité de certains médias français à notre égard est parfois déroutante.


Réponse d’une Chienne de garde

Lettre publiée dans le corrier des lecteurs du Monde, le 29 septembre 1999:

J’ose prendre la plume, moi, obscure Chienne de garde, pour répondre à la réponse de Murièle Savigny au manifeste des Chiennes de garde, publiée dans le courrier du Monde des 26 et 27 septembre et titrée Violence féministe.
Où est la violence? Quand des agriculteurs interpellent une ministre aux cris de: «Enlève ton, slip salope», je me sens violentée.
Quand un responsable de France Inter parle de «radio ragnagna» à propos d’une émission traitant de faits de société parce qu’elle est réalisée et animée par des femmes, je me sens violentée.
Quand certains médecins hommes appellent leurs consoeurs gynécologues «les mémères à frottis», je me sens violentée.
Quand en conférence de rédaction, un confrère lance à une consoeur: «T’as quelque chose aujourd’hui pour ta rubrique, connasse?», je me sens violentée.
Quand les ouvrières d’une entreprise (Maryflo), lasses d’être harcelées et appelées quotidiennement par leur supérieur hiérarchique «connasses ou «salopes», ont dû faire grève pour être entendues, je me sens violentée.
Quand Marc Fumarolli, académicien, à propos de la féminisation du langage, écrit: «Tranchons entre recteuse, rectrice ou rectale», je me sens violentée.
J’en passe et des meilleures.
Si vous remplaciez «femmes» par «étrangers» et tous les surnoms que le racisme peut leur attribuer comme le sexisme en attribue aux femmes, il y aurait tollé et plus!
Quand pendant tant d’années nos protestations sont toujours restées lettre morte et que pour être entendues (mais pas forcément comprises), il a fallu en passer par l’expression provocatrice «les Chiennes de garde», je continue à me sentir violentée.
Rassurez-vous, nous ne mordons pas, nous ne montrons que les crocs; la violence, nous ne la connaissons que trop!
Nelly Trumel