Simplicité volontaire : Recyclage d'idées
Société

Simplicité volontaire : Recyclage d’idées

Le concept de simplicité volontaire, qui fait de plus en plus d’adeptes, ne date pas d’hier. L’écrivain américain HENRY DAVID THOREAU l’avait mis de l’avant en 1845. L’art de recycler de vieilles idées…

La «simplicité volontaire» attire de plus en plus d’adeptes. Sauf que l’idée n’est pas aussi nouvelle qu’on le croit. Ce qui, loin d’en réduire l’intérêt, permet d’y voir autre chose qu’une simple mode écolo-contestataire plus ou moins passagère.
«Simplicité, simplicité, simplicité! […] Simplifiez, simplifiez.» C’est en 1854 qu’Henry David Thoreau (1817-1862) a mis de l’avant ce mot d’ordre.
Dans son livre Walden, Thoreau faisait état de ce qui constitue l’une des toutes premières expériences de «simplicité volontaire» de l’histoire. À partir de 1845, il a vécu deux ans dans une cabane construite de ses propres mains, sur les bords de l’étang de Walden, dans les bois environnant la petite ville de Concord, à quelques dizaines de kilomètres de Boston. Et il a occupé l’essentiel de son temps à ne «rien faire». En tout cas, à ne rien faire de «productif»: à lire, à écrire, à observer les animaux, à pêcher dans l’étang et à entretenir un petit champ de fèves – à prendre soin de ses beans: une expression qui, en anglais, laisse entendre la même chose qu’en français lorsqu’on dit «s’occuper de ses oignons»!
«Je suis allé dans les bois parce que je souhaitais vivre délibérément», explique Thoreau. Moins pour se faciliter l’existence que pour l’intensifier. Afin d’être lui-même à la barre de sa vie, au lieu de la laisser être entraînée par le cours des événements. Mais Thoreau ne cherchait pas pour autant à fuir la société. «J’aime laisser de larges marges à ma vie», écrit-il, toujours dans Walden. Et déjà, à cette époque, il n’était pratiquement plus possible de s’accorder le genre de marge de manoeuvre qu’exigent la réflexion et la pensée. Comme il le constatait dans un article intitulé La Vie sans principes, il était difficile d’«acheter un carnet de feuilles blanches pour y écrire des pensées; on n’imprime plus que des livres de comptes».
On n’a pas d’autre choix que d’occuper les marges lorsque l’on veut parler d’autre chose que de chiffres! Et pour parvenir à laiser ainsi suffisamment de marge à sa vie, il faut réduire la place qu’occupent les colonnes de nos dépenses et de nos revenus. «[U]n homme peut être très occupé et pourtant perdre tout son temps», nous dit Thoreau, toujours dans La Vie sans principes. «Personne n’est plus fatalement dans l’erreur que celui qui dépense la plus grande partie de son existence à gagner sa vie.» De toute façon, ainsi qu’il l’écrit dans Walden: «Le surplus de richesse ne sert qu’à acheter du superflu.» Il n’y a qu’un seul moyen de vraiment profiter de l’essentiel, c’est-à-dire de la vie: en cessant de vivre aux crochets et au profit de ses employeurs.

Les habits neufs de l’empereur
On dépense beaucoup trop d’argent à vouloir en gagner, nous prévient Thoreau: «Méfiez-vous de toute occupation qui demande que vous vous achetiez de nouveaux vêtements, cela sans faire de vous un nouvel homme. Si l’homme n’est pas neuf, comment des vêtements neufs pourraient-ils lui faire?» Et en faisant ainsi des économies, on fait du même coup dans la politique. Car «seuls ceux qui fréquentent les soirées et les bureaux du gouvernement doivent avoir de nouvelles vestes – pour chaque fois qu’ils virent leur capot de bord».
Si Thoreau est l’un des premiers promoteurs de la simplicité volontaire, il est surtout l’auteur de La Désobéissance civile, un petit texte publié en 1849, dans lequel il pose le principe que chaque citoyen a le droit, voire le devoir de remettre en question les agissements de son gouvernement. Thoreau est le premier à avoir défini ce qui s’avère encore être le meilleur moyen de contribuer à l’abolition de l’injustice. Pour le dire dans ses propres mots: «Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la place d’un homme juste est en prison.» En désobéissant volontairement à des lois injustes, on force l’État à faire respecter ces lois. Ce faisant, cet État étale l’injustice de ses lois au grand jour. Comme lorsque, dans les années soixante, des Noirs se faisaient arrêter pour s’être assis sur dessièges réservés à des Blancs. Comme lorsque l’on pousse un ministre à en appeler à un juge pour se venger d’une tarte à la crème…
«Que vos agissements soient la contre-friction qui enrayera la machine.» Ce précepte de la désobéissance civile est également celui de la simplicité volontaire. En réduisant le plus possible notre rôle de consommateur, on désobéit aux loix du marché. Et pas besoin de structures politiques avec leur lot de «partisâneries». Pour Thoreau, «le mensonge, la flatterie, les élections» sont synonymes: celui qui accepte de prendre «le parti d’un des candidats qu’on lui soumet, prouve ainsi qu’il est lui-même soumis au parti du démagogue».
Thoreau écrivait à une époque où le télégraphe était alors, comme Internet aujourd’hui, la grande nouveauté technologique; il constatait: «Nous sommes très pressés de construire un télégraphe magnétique reliant le Maine au Texas, mais il est bien possible que le Maine et le Texas n’aient rien d’important à se communiquer. […] Après tout, l’homme dont le cheval parcourt un mille en une minute ne transporte pas les plus importants messages.»
Thoreau n’était pas un précurseur; il était simplement un homme tout à fait de son époque. L’actualité de son oeuvre nous signale qu’en fin de compte, le véritable problème est que les choses ne changent pas autant qu’on le croit avec le temps.

(Les traductions des textes de Thoreau qu’on retrouve dans cet article sont de moi. Parmi les trois versions de Walden qui sont actuellement offertes en français, la moins mauvaise est celle de G. Landré-Augier, éditée chez Aubier, collection bilingue des classiques étrangers. On doit à Sylvie Chaput une très bonne traduction de La désobéissance civile, à L’Hexagone, collection Typo. La seule version française de La Vie sans principes se retrouve dans une anthologie de textes de Thoreau publiée sous le titre Désobéir, chez 10/18.)