Société

Droit de cité : La revanche du morpion

C’était une fois deux gars, comprends-tu, des colocs. L’un était grand, six pieds deux, blond frisé, les épaules carrées, une gueule d’enfer, et qui savait parler aux femmes, en plus d’en avoir plein la poche (de l’argent, s’entend). Un vrai chanteur de charme. L’autre n’était pas beau, bas sur pattes, et romantique comme une roue de bicycle. Il lui fallait toujours des petits biscuits chinois pour savoir quoi dire aux femmes, et encore, il tombait toujours sur celui qui disait: «Vous êtes condamné à rater votre vie.» Ça, c’est quand il payait la note. En général, il n’avait même pas droit aux biscuits parce qu’il n’avait rien pour payer, cassé comme un clou.

Un de ces soirs, les deux gars recevaient à souper Julia Roberts. Ils lui ont fait la cour toute la soirée, dans ce match perdu d’avance pour le morpion, alors que l’Adonis avait déjà déballé son condom.
Avec qui Julia Roberts a-t-elle fini la soirée, penses-tu? Avec le morpion.
Morale de cette petite histoire? Il n’y en a pas. Mais si l’envie vous prend de savoir comment l’Adonis se sent aujourd’hui, allez à Toronto, rue Bay, et criez très fort: «NASDAQ!!!!» Mais attention de ne pas vous faire lapider.

The Lulu & Bernie Show
Depuis Andy Warhol, tout le monde le sait: chacun a droit à son petit quinze minutes de gloire. Lucien Bouchard et Bernard Landry ont eu le leur, la semaine dernière, sur Times Square, en plus. J’espère qu’ils en ont profité pleinement, parce que ça vient juste une fois dans la vie, ces choses-là.
Alors, pendant plus ou moins quinze minutes, sur l’écran géant de la Bourse électronique de NASDAQ à Times Square, Lulu et Bernie ont annoncé au peuple des États-Unis d’Amérique la bonne nouvelle: Montréal sera dorénavant branché à la NASDAQ, une connexion directe, comme un oléoduc à capitaux, sur la Bourse de l’avenir, pendant que Toronto devra se contenter de patauger dans son petit carré de sable canadien.

Est-ce que cela va aider l’économie de Montréal? On s’en contre-saint-ciboirise! De toue façon, ce n’est pas pour nous. Bernard l’a dit. C’est pour les i-n-v-e-s-t-i-s-s-e-u-r-s. Laisse les affaires de papa, et va jouer avec tes bébelles, c’est-à-dire ton compte d’épargne avec opérations chez Desjardins.
Donc, on s’en contre-saint-ciboirise à première vue, mais quand je constate la réaction qu’a suscitée la nouvelle à Toronto, je deviens tout chose. C’est qu’il existe un indice du bonheur montréalais: si Toronto est fâché de ce qui se passe à Montréal, c’est que les choses doivent aller rudement bien pour nous.
Dans les journaux, il y a eu différentes réactions. Celle du déni, où l’on disait que l’accord entre Québec et la NASDAQ, ça ne valait pas de la chnoutte; que, de toute façon, Toronto l’aurait aussi, son entente avec la Bourse électronique… Allez y comprendre quelque chose.

Il y a celle du mépris, qui accuse Québec de favoritisme, en permettant aux trois ordinateurs de la NASDAQ installés à Montréal de fonctionner sur des systèmes d’opération exclusivement anglais.
D’autres, rigolotes, comme la caricature du Globe and Mail qui se moquait des lois linguistiques, en écrivant NASDAQUE en grosses lettres, et Nasdaq en petites lettres.

Et, finalement, il y a eu le délire absolu, dans le genre exilé cubain à Miami. C’est dans le Financial Post qu’on y a eu droit, un éditorial titré «Les séparatistes et la NASDAQ». Des extraits, annotés:
«La NASDAQ et le gouvernement du Québec forment les plus étranges partenaires qu’on puisse imaginer. La Bourse new-yorkaise (NDLR: elle n’est pas de New York, mais de Washington) est devenue LE symbole de la globalisation (NDLR: la globalisation est perçue comme la terre promise par les lecteurs du FP). Ce qui contraste avec l’approche intensément nationaliste du gouvernement du Parti québécois, qui est anti-global sur tout.»

Coudonc, mon Méo, parles-tu du Québec ou bien de la Corée du Nord? Enfin… Ça continue:
«Alors que monsieur Bouchard n’abandonnera pas son approche dirigiste (NDLR: en général, dans les pages financièrs, le dirigisme est attribué au système économique instauré par les communistes chinois ces dernières années), ça ne lui fera rien au passage de détruire le système boursier canadien. (…) Pourquoi, si vous ne voulez pas faire partie du Canada, voudriez-vous faire partie du système boursier canadien? (NDLR: ce sont surtout les gens d’affaires de Montréal, pourtant plus canadiens que le Blue Nose et la Molson Canadian réunis, qui ont poussé fort pour l’entrée de la NASDAQ à Montréal)»

Bref, le monsieur est très fâché. D’autant plus qu’il cherchait à conclure exactement le même deal avec NASDAQ. Mais il s’est fait littéralement tirer le tapis sous les pieds par ce morpion de Montréal.

Alors, quand Toronto est très fâché contre Montréal, c’est que la puck doit rouler pour nous. Par exemple, l’été dernier, le tout-Toronto était en beau calvaire: son festival de jazz était mourant, à cause de la concurrence déloyale du largely state subsidized Festival de Jazz de Montréal. Ah! Les maudits communistes, encore eux autres.

Et cette fois-ci, on doit avoir affaire à des maoïstes du Sentier lumineux à tendance albanaise, parce que l’annonce de l’établissement de la NASDAQ à Montréal, ils ne l’ont vraiment, mais alors vraiment pas prise.