D’ordinaire, les fraises apparaissent à la une des journaux vers la fin juin. Juste au moment où tous les «acteurs» de l’actualité sortent de scène pour des vacances de quatre mois pleinement méritées, voire salutaires.
À ce moment-là, seuls les orages, une bonne vieille émeute de la Saint-Jean ou le congédiement annuel du capitaine du Canadien peuvent prétendre déloger les fraises de la manchette principale.
«Elles arrivent! Elles arrivent!» clame-t-on à la une, comme si les rouges étaient aux portes de la ville. Enfin, pas comme si: elles sont bel et bien aux portes de la ville à ce moment-là de la saison. Il y en a à Boucherville, à Saint-Hubert, à La Plaine, à Mirabel…
Mais à la faveur d’un printemps précoce (probablement une sorte de microclimat dont jouit la banlieue nord parce que nous, de la ville, n’avons rien remarqué), les fraises sont déjà apparues à l’étalage médiatique.
Samedi, les maires de la couronne nord de Montréal ont distribué des dizaines de casseaux de fraises aux délégués du Parti québécois, sur l’esplanade du Palais des congrès où les péquistes étaient réunis. Des fraises qui, espérait-on, feraient rougir de honte la ministre des Affaires municipales, Louise Harel.
Le lendemain, la ministre a eu droit à un véritable shortcake à la une des journaux. Le coup avait porté. Mais lundi, c’était au tour de l’idéateur de cette drôle de manifestation, Yvan Deschênes, maire de Rosemère, à être dans le jus.
C’est que le pauvre homme, tellement obsédé par la réforme municipale, tellement investi contre une planification régionale du Grand Montréal, commence à entendre des voix: «Sans la présence de Montréal, les municipalités de la couronne nord ne seraient que d’immenses champs de fraises.»
Une phrase que le maire jurait avoir entendue de la bouche de Louise Harel. «Je l’ai entendue de la bouche même de madame Harel», dira-t-il, la main sur le coeur, au journaliste Philippe Schnob, de Radio-Canada. Or, Louise Harel n’a jamais dit ça. Cest Philippe Schnob qui a sorti cette phrase. Une belle image, soit dit en passant, qui traduit en termes clairs une réalité de la vie: la banlieue croît avec la grande ville. Une ville-champignon comme Rosemère, ça ne pousse pas de façon inopinée.
Ce qui fait qu’aujourd’hui, les cantonniers de la couronne nord ont l’air complètement patraques. Ce qu’on se demande maintenant, c’est pourquoi, à l’heure des communications par satellite qui nous permettent presque d’entrer en contact avec des extraterrestres, les maires de la banlieue nord ont-ils dépensé des milliers de dollars et gaspillé un temps fou pour la préparation de l’événement en se basant sur un simple commérage de taverne? Sans aucune vérification? Ça laisse planer de gros doutes sur la valeur de leurs arguments contre l’idée d’une communauté métropolitaine.
Même en sous-entendu, Louise Harel n’a jamais dit: «Sans la présence de Montréal, les municipalités de la couronne nord ne seraient que d’immenses champs de fraises.» Ce qu’elle dit, c’est qu’il faut bien un jour tracer une frontière où finit la ville, et où débute la campagne.
Parce que la richesse d’une ville, c’est comme la confiture aux fraises: moins on en a, plus on l’étend.
Le maire de la communauté urbaine du Grand Portland, en Oregon, était de passage à Montréal la semaine dernière. Sa région connaît une prospérité record, et présente le taux de croissance le plus élevé en Amérique – en plus d’être présentée comme une sorte Barcelone de la Côte-Ouest tant la planification de son développement est intelligente. Pourquoi? Parce qu’on a cessé de développer des banlieues tous azimuts, au détriment de la ville-centre. «Il a fallu tracer une ligne entre la ville et la campagne», nous a-t-il dit.
De la Californie en passant par Mirabel
Les fraises distribuées samedi, notamment par le maire de Mirabel, Hubert Meilleur, étaient des fraises de Californie. Des fraises destinées au marché de Montréal, arrivées probablement par avion-cargo à… Mirabel.
Si c’est pas la fraise…
Pour expliquer la théorie sur laquelle se base Louise Harel pour mettre de l’avant son plan de réorganisation du Grand Montréal, Philippe Schnob a dit dans son reportage que «sans la présence de Montréal, les municipalités de la couronne nord ne seraient que d’immenses champs de fraises». On n’a pas aimé, même s’il est très honorable de cultiver la fraise. Alors, dorénavant, on dira que sans la présence de Montréal:
* elles ne seraient qu’un refuge national pour la marmotte;
* il n’y aurait que des pacages à vaches;
* les rangs de blé d’Inde croiseraient les rangs d’oignons;
* ça sentirait bon le trèfle au lieu de la tondeuse à gazon;
* Blainville serait à la fine pointe de l’asperge;
* et les outardes constitueraient le gros du trafic aérien à Mirabel.