Société

Le respect des droits humains au Vietnam : Cour à obstacles

Il y a peu, une Torontoise mère de deux enfants, Nguyen Thi Hiep, 42 ans, a été exécutée dans son pays d’origine, le Vietnam, pour trafic d’héroïne. Pourtant les politiques canadiens affirmaient que tout allait pour le mieux et que sa peine serait commuée. Selon TRAN TRIEU QUAN, ce Québécois qui a déjà goûté à la prison vietnamienne, nos diplomates sont bien candides et devraient s’inscrire au cours «Culture vietnamienne  101».

«Le ministre des Affaires étrangères [Loyd Axworthy] peut bien garantir 56 affaires, mais ce n’est pas lui qui a le pouvoir!»
Pour Tran Trieu Quan, le dossier de Mme Nguyen est un billet vers la vallée des souvenirs. Durant trois ans, il a croupi dans un pénitencier du Vietnam à la suite d’une transaction de coton ayant mal tourné. Au milieu des années 1990, lui aussi avait reçu l’assurance que tout allait comme sur des roulettes et qu’il ne serait pas arrêté. Trois jours plus tard, il était emprisonné.
«C’est ça, la réalité au Vietnam. Il y a des gens très puissants, corrompus et fanatiques, qui dirigent tout.» Vous aurez compris que M. Tran ne porte pas les autorités de son pays d’origine dans son coeur. Il les juge d’ailleurs très durement et rappelle que les droits humains y sont régulièrement bafoués.
Mais il adresse également des remontrances au gouvernement canadien qui devrait être au fait des us et coutumes d’un pays avec lequel il a des relations bien établies. «Il y a encore des gens au ministère qui sont naïfs», lance-t-il lorsque nous lui apprenons qu’on ne faisait pas de bruit avec l’histoire de Mme Nguyen parce qu’on était certain que le pouvoir vietnamien avertirait tout le monde avant de passer à l’action.
Pour M. Tran, c’est bien connu que l’État vietnamien ne pouvait en aucun cas revenir sur sa décision, soit celle d’exécuter la Torontoise, sauf si on lui offrait une porte de sortie afin de sauver la face. «\Une fois qu’elle est condamnée, ce serait reconnaître leur tort.» Impensable, selon lui.
Pourquoi parler d’État alors que les tribunaux jugeaient l’affaire? «Il contrôle le pouvoir judiciaire et législatif», selon M. Tran. D’ailleurs, beaucoup d’avocats et tous les juges seraient nommés par le pouvoir communiste et leur marge de manoeuvre serait extrêmement limitée. «C’est la conséquence d’un manque de démocratie.»
Il se demande aussi si certains individus haut placés n’avaient pas avantage à ce que la dame disparaisse à jamais. Certains membres du corps étatiue mouilleraient dans le commerce fort lucratif de la drogue.
Mme Nguyen avait été appréhendée à Hanoi avec des tableaux dissimulant plus de 5,4 kilos d’héroïne. Elle affirmait qu’un individu lui avait demandé de les apporter à un ami en échange de 100 $ US. Les policiers de Toronto croyaient pouvoir démontrer qu’elle s’était fait piéger par un réseau structuré. Au Vietnam, on semble ne pas avoir tenu compte de la preuve ou, du moins, jugé qu’elle était concluante.
L’ex-prisonnier indique que le Vietnam, ayant des frontières communes avec les grands pays producteurs du Triangle d’or, est aux prises avec un sérieux problème de trafic de stupéfiants. Les Américains l’ont d’ailleurs mis sur la liste des nations impliquées dans le trafic. Le pays se doit donc de faire montre de son sérieux afin d’endiguer le fléau.
Qu’adviendra-t-il maintenant? Pour Mme Nguyen fille, il est évidemment trop tard. Tout ce que l’on peut demander, c’est que sa dépouille soit rendue à sa famille. Mais, Mme Nguyen mère, qui était du voyage, est toujours emprisonnée à Hanoi. Elle n’a pas été exécutée pour des raisons humanitaires. Elle est âgée de 74 ans.
Selon Tran Trieu Quan, il sera difficile de la faire gracier. «Le gouvernement canadien est pris entre ses intérêts économiques et le respect des droits humains, indique-t-il. [Mais], si la pression est très forte, elle pourrait être libérée.» Une lutte diplomatique de longue haleine puisque, encore une fois, le pouvoir vietnamien ne voudra pas perdre la face.

Contrôle de l’information
Difficile cependant de savoir de quelle nature sera la confrontation et si le gouvernement canadien fera tout ce qui est en son pouvoir afin de se faire entendre. En l’absence du ministre, en voyage, la personne la mieux placée pour répondre à cette question, l’ambassadrice Cécile Latour, est interdite de parole. «Mme Latour ne sera pas mise à la disposition des médias pour l’instant», dit simplement un des porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Raynald Doiron,visiblement très agacé par notre insistance.
On préfère nous diriger vers une autre porte-parole, Valery Noftle. Celle-ci ne peut que nous relire les communiqués de presse émis précédemment. Ainsi, elle rabâche la liste de «sanctions» prises contre le Vietnam: l’ambassadrice demeurera ici pour un bon moment, les relations ministérielles sont suspendues, le ministre Axworthy a écrit à ses vis-à-vis afin de marquer son indignation, le Canada cesse d’appuyer la candidature du Vietnam pour son accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et, finalement, boycotte les «célébrations» du 25e anniversaire de la fin de la guerre.
Nous avons néanmoins réussi à parler au secrétaire d’État pour la région Asie-Pacifique, Raymond Chan, qui est nettement plus loquace. Il a personnellement travaillé sur le dossier des deux femmes et s’est rendu à plusieurs reprises au Vietnam. «Je suis très en colère. Parfois, ils prennent des décisions irrationnelles… Je ne comprends vraiment pas», déclare-t-il, un pincement dans la voix.
M. Chan avait rencontré le ministre des Affaires étrangères du Vietnam. Il affirme que les relations entre les deux pays étaient au beau fixe. Aux dernières nouvelles, les autorités vietnamiennes devaient répondre à une offre d’aide émanant du service de police de Toronto qui voulait dépêcher quelqu’un sur le terrain afin de présenter les preuves recueillies chez nous. Mme Nguyen a été exécutée sans qu’une communication ne soit établie.
«Ils n’ont toujours pas répondu. Pourquoi? Pourquoi ne pas nous avoir avertis? Pourquoi ne pas avoir informé la famille? C’est très difficile à accepter… Nous leur avions demandé de les amnistier.»
Quant aux représailles, elles ne mèneront sûrement pas à la fin des relations bilatérales. On se plaint, mais pas trop fort. «Nous continuons de travailler avec eux, mais nous avons envoyé un message très clair que ce n’est pas acceptable… Ils n’ont pas respecté leur promesse.»

Condamné à l’étranger
Une source québécoise quiconnaît très bien la région mais que nous ne pouvons nommer par crainte d’envenimer le dossier – celui-ci étant fédéral et, de surcroît, international – apporte une précision intéressante. Mme Nguyen détenait les deux nationalités, soit vietnamienne et canadienne, ce que le Vietnam ne reconnaît pas. Elle a donc été jugée comme une «nationale» plutôt que comme une étrangère. Le poids de notre gouvernement en est d’autant diminué.
«[Malgré cela], dans ce cas-là, on ne comprend pas l’acharnement», expose-t-elle, soulignant que deux jours après l’exécution de Mme Nguyen, 12 000 prisonniers vietnamiens ont été amnistiés.
Pour cette personne, le cas de Mme Nguyen n’est qu’un exemple de plus des problèmes que vivent les ressortissants canadiens arrêtés à l’étranger. Surtout dans des pays où le commerce des stupéfiants est florissant, voulant faire bonne figure au niveau international et ne disposant pas de système juridique indépendant. Comment prouver si elle a été vraiment crédule ou si elle savait ce que contenait son colis?