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Les jeunes délinquants : La loi du plus fort
Le gouvernement fédéral étudie présentement un projet de loi qui augmentera la sévérité des tribunaux envers les jeunes délinquants. À tel point que certains d’entre eux seront punis comme des adultes… même à quatorze ans. Pour RENÉ BINET, président de l’Association des avocats et avocates en droit de la jeunesse de Montréal, ce projet de loi est inacceptable.
Tommy Chouinard
Photo : Benoit Aquin
Pour voter aux élections, il faut avoir dix-huit ans. Idem pour consommer de l’alcool et acheter des cigarettes. Pour passer devant la justice des adultes, toutefois, la donne semble vouloir changer. Car s’il est encore trop immature pour conduire une automobile ou abandonner l’école, voilà qu’un jeune de quatorze ans accusé d’un crime grave pourrait être puni… comme un adulte!
«Pourrait», car le projet de loi fédéral C-3 sur le système de justice pénal pour les adolescents est actuellement en lecture à la Chambre des communes. S’il est adopté, il remplacera la Loi sur les jeunes contrevenants (1984), jugée dépassée par Ottawa. Trop imprécise, trop laxiste, trop contradictoire. Le projet de loi C-3 vise plutôt à instaurer une approche punitive uniforme. Plus simple, plus convaincante, plus mordante.
Ainsi, les adolescents de quatorze ans et plus reconnus coupables de meurtre, de tentative de meurtre, d’homicide involontaire, d’agression sexuelle grave ou de récidives de crimes violents seraient passibles d’une peine pour adultes. Actuellement, seuls les jeunes de seize et dix-sept ans sont soumis à ce régime.
Le projet de loi C-23 abolit aussi le processus de renvoi des adolescents devant une juridiction adulte. Il confie plutôt aux tribunaux de la jeunesse le pouvoir d’imposer des peines pour adultes. Exit la réhabilitation, bonjour les barreaux! Au bout du compte, le projet de loi pousse un cran plus loin la sévérité des tribunaux envers les jeunes.
Ce projet de loi a soulevé un véritable tollé au Québec, notamment à l’Assemblée nationale et au Barreau du Québec. C’est que l’intervention québécoise en matière de jeunes contrevenants est axée sur la prévention, la réhabilitation et la réinsertion, et non sur la punition et la sanction comme dans le reste du Canada.
L’approche punitive et ses méthodes fortes affronte alors l’approche préventive et ses méthodes douces. Le président de l’Association des avocats et avocates en droit de la jeunesse de Montréal, René Binet, se pote à la défense de cette dernière. Avec le projet de loi C-3, il craint un système judiciaire de plus en plus répressif. Une dérive grave.
Pourquoi le projet de loi C-3 représente-t-il une menace pour vous?
C’est carrément une bombe! Traiter un enfant qui commet un crime de la même manière qu’une personne majeure irrécupérable, c’est lui promettre une longue carrière de criminel. Avec des punitions plus sévères, nous n’aidons pas les jeunes délinquants à se sortir du crime. Nous les écrasons.
Le problème de ce projet de loi, c’est qu’il prévoit des sentences selon la gravité de l’infraction, comme dans les procès pour adultes. Il ne tient pas compte de la situation du jeune, de ses difficultés économiques et sociales. Par exemple, je crois qu’on ne doit pas traiter de la même façon un jeune délinquant provenant d’un milieu pauvre et abandonné par ses parents, et celui provenant d’un milieu aisé et d’une famille unie.
Par ailleurs, le projet de loi estime que la peine doit servir à punir le délinquant. Je crois qu’elle doit plutôt corriger son comportement. Par exemple, avec le projet de loi, un jeune de quatorze ans ayant commis une infraction grave pourrait se voir imposer une détention, alors qu’une démarche de réadaptation serait de loin plus adéquate à ses besoins, surtout si son comportement général n’est pas violent.
En aidant les jeunes au lieu de les coffrer, nous pouvons obtenir de meilleurs résultats. La preuve, c’est qu’au Québec, notre pratique tient compte des besoins du jeune et de son degré de maturité. C’est plus efficace.
En quoi le «modèle québécois» est-il supérieur au modèle punitif prôné par le projet de loi C-23?
Depuis vingt ans, grâce à l’utilisation qui est faite de la Loi sur les jeunes contrevenants et de la Loi sur la protection de la jeunesse, l’approche du Québec est préventive. Elle vise la réhabilitation du jeune délinquant. Au Canada anglais, on emploie plutôt la méthode punitive.
Avec ses interventions différentes qui font appel à des psycoéducateurs et d’autres spécialistes, le Québec a un taux de criminalité juvénile inférieur de 50 % à la moyenne des autres provinces. Il affiche aussi le plus bas taux d’incarcération chez les jeunes au Canada et le plus faible taux de récidive. Le Québec est la province qui mise le plus sur la réinsertion et les solutions non judiciaires. Nous pouvons constater que ça donne de bons résultats.
Malgré tout, de nombreuses personnes appuient farouchement le projet de loi. D’où provient cette volonté de rendre la législation plus rigide?
Le projet de loi C-3 émane du travail de lobbys de droite de l’Ouest canadien. En fait, le Québec est en train de se faire dicter par ses voisins la façon d’élever ses enfants! Les personnes derrière le projet de loi C-3 ont peur, car les tueries commises par les jeunes sont fortement médiatisées.
Les lobbys de droite ont créé une forme de psychose basée sur des mensonges grossiers. Ils croient que la criminalité chez les jeunes est en hausse. Or, c’est faux. La criminalité juvénile est en baisse constante au Canada. Mais les gens ne le savent pas. Et l’ignorance entraîne la peur. Avec le projet de loi C-3, le gouvernement accorde une sécurité illusoire aux gens. Il veut imposer des peines plus sévères en pensant qu’il n’y aura plus de crimes. C’est une grave erreur de jugement.
Les défenseurs du projet de loi estiment qu’un adolescent de quatorze ans sait très bien ce qu’il fait lorsqu’il commet un crime grave, au même titre qu’un adulte. Pourquoi, à l’inverse, croyez-vous que les jeunes doivent être traités différemment des adultes devant la justice?
Au contraire, je crois que lorsqu’un adolescent commet un crime grave, il ne sait souvent pas ce qu’il fait. Sur le plan psychologique, un jeune est une personne en développement. Il n’est pas mature. Après tout, même au civil, il n’a pas les mêmes droits qu’un adulte. Pourquoi en serait-il autrement devant la justice?
Mais je ne suis pas systématiquement contre des peines sévères. Il y aura toujours ds jeunes délinquants irrécupérables qu’il faudra isoler. Je dis seulement qu’il faut faire attention aux débordements. La société a le droit de se protéger contre la violence de certains jeunes, mais il faut savoir comment.
Pour la juge américaine Judy Sheindlin (voir encadré), il faut utiliser la force pour dissuader les adolescents de commettre des crimes. Ne pensez-vous pas que des peines plus sévères feraient réfléchir davantage les jeunes contrevenants?
Quant à moi, les propos de cette juge sont de la violence au même titre qu’un crime. Elle est victime de l’obsession d’éradication pénale de toute forme de violence, un phénomène très répandu. Mais l’incarcération ne donne rien. Un jeune qui va en prison se fait des contacts, apprend des trucs et sort plus fort qu’avant.
Pour cette juge, ne pas donner une grosse punition à un jeune pour un crime X, c’est comme lui donner la permission de recommencer. C’est faux. L’alourdissement des peines n’a jamais entraîné une baisse de la récidive ni du nombre de crimes. Une période de probation sous surveillance dans la collectivité a un taux d’efficacité supérieur.
Que proposez-vous à la place de cette législation?
Il faut garder le statu quo au Québec, car nous sommes en train de bâtir un système approprié et efficace. Mais le projet de loi C-23 m’inquiète. S’il l’adopte, le gouvernement fédéral ouvre la porte à des choses bien pires. Qu’est-ce que ce sera dans cinq ou dix ans?
La juge Judy
FINI, LE NIAISAGE!
Les propos de la juge américaine Judy Sheindlin se situent aux antipodes de ceux de l’avocat René Binet. Dans son livre Don’t Pee on my Leg and Tell Me It’s Raining (traduction libre: «Ne pisse pas sur ma jambe en disant qu’il pleut…»), celle que l’on nomme «la juge en droit de la jeunesse la plus dure des États-Unis» envoie un message clair aux jeunes délinquants: «Si vous enfreignez la loi, c’est votre faute. Préparez-vous à payer!» Ouch…
D’après cette juge, un jeune doit être traité comme un adulte devant la loi, puisqu’«une personne tuée par un délinquant de quinze ans n’en est pas moins morte». Il n’y a donc aucune excuse valable pour gracier un adolescent. «Comprendre qu’un jeune a une famille déchirée n’excuse pas le crime qu’il a commis. Peu importe leur situation sociale, les jeunes doivent payer leurs crimes.»
La juge Sheindlin préconise une méthode forte: des peines encore plus sévères, question de dissuader les jeunes délinquants. «Envoyer un jeune en cellule avec des menottes le fait réfléchir, note-t-elle. Mais donner des peines peu sévères aux jeunes encourage leur mentalité antisociale.» Car, selon elle, les méthodes douces ont échoué. «Pendant des décennies, politiciens, psychologues, sociologues et travailleurs sociaux ont travaillé pour trouver une clé magique pouvant réduire la violence en Amérique. Tout ce qu’ils ont réussi à faire, c’est gaspiller des millions de dollars.»
«La délinquance juvénile est hors de contrôle, écrit-elle. Il ne faut pas traiter à la légère les jeunes criminels. Il faut leur faire craindre la cour. Quand un jeune passe devant moi, je veux qu’il s’en souvienne toute sa vie. Les jeunes croient trop souvent pouvoir échapper au système. Mais ils ne réussissent jamais à passer par-dessus moi.» Pas d’autres questions, votre honneur!