«Quand il y a Dieu, il y a Satan à côté… Les peuples qui s’éloignent du Christ tombent nécessairement dans la misère… L’homme est orgueilleux. Il croit pouvoir vivre sans lui. Il est trompé par Satan.»
L’individu au bout du fil est un fidèle de longue date originaire de Saint-Lambert-de-Lévis. Émile Boutin est retraité et aide maintenant la communauté. Il répare les voitures offertes par les pèlerins, donne un coup de main à l’imprimerie, etc. C’est lui que les Bérets blancs ont délégué pour nous éclairer.
Selon M. Boutin, l’humanité, trompée par les pouvoirs financiers, a bifurqué du droit chemin. Ainsi, les femmes ont quitté leur nid douillet, le domicile familial, afin de travailler, guidées par Satan qui n’a pour seul dessein que de détruire la cellule de base de toute communauté: la famille. Et, désemparés, privés d’une mère aimante, les enfants ne peuvent même plus se tourner vers l’école. «Les jeunes, je les plains et ne les blâme pas, compatit-il expliquant que tout était plus facile lorsque l’Église contrôlait l’enseignement. Les psychologues, c’est bien, mais la confession, c’est mieux.»
L’argent tout puissant n’a pas que détruit la famille. En fait, c’est la société tout entière qui est sous son joug. Les banques sont d’ailleurs la représentation matérielle des forces du mal. «Ils veulent arriver au contrôle mondial des hommes par le monétaire… C’est une dictature.» Poursuivant sur sa lancée, M. Boutin paraphrase le pape Pie XII: «\Ceux qui contrôlent l’argent et le crédit contrôlent nos vies.»
Malheureusement, nous ne pouvons en prendre conscience. «Ils contrôlent les médias d’information, alors le peuple ne voit pas les vraies causes… À peu près tous les grands médias sont contre nous autres, car ils sont contrôlés par les grands pouvoirs financiers.»
Voilà pourquoi il est si important pour les Bérets blancs de produire bénévolement leur journal, Vers demain, afin d’être entièrement libres. «Ça nous permet d’être dans le vrai», affirme M. Boutin.
Durs doreille
Malgré tous les efforts déployés depuis la création du mouvement intégriste durant les années 1930, les Québécois ne semblent pas vouloir entendre raison. C’est pourquoi les Bérets blancs, dont l’internationalisation ne cesse de se confirmer, tentent maintenant de libérer d’autres âmes, en des cieux plus cléments. Leur nouvelle cible? La Pologne.
«C’est le premier pays qui va se débarrasser de la dictature de la finance.» Lors de la dernière visite papale, les Bérets ont envoyé un plein conteneur de dépliants. Deux ambassadeurs sont également partis pour la terre qui a vu naître Jean-Paul II afin de prêcher la bonne nouvelle. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les Bérets blancs ne sont pas en guerre contre l’Église catholique romaine, pas plus qu’ils ne sont reniés par celle-ci. «Il est possible que des pays extérieurs se libèrent avant nous… Ça va être une honte pour nos politiciens, car l’idée vient d’ici.»
Dans cet ordre d’idées politique, les plus âgés se souviendront de l’épisode du Crédit social de Réal Caouette et Camille Samson. Si on se fie à M. Boutin, vous ne les reprendrez plus à ce jeu. L’expérience leur a déplu. «On a très peu confiance en la politique pour changer les structures, car les politiciens sont de vraies marionnettes… Ils sont obligés de suivre sinon ils se font discréditer. Ils ne peuvent s’opposer, car ils mettent en péril leur vie et leur carrière.» Vous aurez compris que Satan-l’argent les domine.
Le Québec dans le formol
Chercheur au Groupe de recherche sur l’institutionnalisation des mouvements sociaux et étudiant au doctorat en sociologie des religions, Martin Geoffroy a passé trois ans sur le terrain à scruter les Bérets blancs. Pour lui, ces intégristes religieux de droite sont plutôt comiques et loin d’être menaçants. «C’est rendu presque un groupe folklorique… Ils ne sont pas parmi les plus dangereux, mais c’est peut-être un des [groupes] les plus drôles!»
Le grand monastère de Rougemont l’a particulièrement impressioné. «C’est comme si tu avais mis le Québec des années 1930 dans un pot de formol!» s’exclame-t-il, fort expressif et loquace. Les règles vestimentaires y sont extrêmement strictes. Complet pour les hommes, robe, col roulé et surtout pas de pantalon pour les femmes. Le tout, à l’ancienne. «Ce sont des gens qui n’acceptent pas que le Québec soit devenu moderne.»
M. Geoffroy ajoute que les banques, incarnations de Satan, les obsèdent littéralement. Il en va de même pour la télévision. Depuis 1962, les membres actifs à temps plein au Québec ne la regardent plus. «Ils font même du "shooting-TV" dans les champs!… C’est l’instrument du Diable.»
Le chercheur mange du Bérets blancs. Il en parle avec passion. Pour lui, ils sont uniques. «\C’est la première secte au Québec… et d’origine québécoise… Ils étaient secte avant même que l’on ait l’appellation secte.»
Il est particulièrement impressionné par la capacité du groupe à prendre de l’expansion. Il se souvient d’un congrès annuel où il a rencontré avec stupéfaction des Africains arborant le fameux couvre-chef traditionnel. «C’est là que j’ai découvert qu’ils ont beaucoup de succès dans d’autres pays. Peut-être même plus qu’ici… Ils récupèrent beaucoup de gens dans les pays du tiers-monde.» Il se rendra d’ailleurs à Nantes au cours de l’été pour visiter l’une des maisons hors Québec des Bérets blancs. «C’est surtout dans les régions rurales que ça "pogne".»
Au fait, combien sont-ils? À leurs débuts, on évaluait à entre 20 000 et 30 000 le nombre de membres actifs dans la Belle Province. Aujourd’hui, ils ne sont guère plus que 2 000 âgés en moyenne de 45 à 50 ans. Néanmoins, ils maintiennent ce bassin en «procédant beaucoup avec la famille. Ils endoctrinent [les enfants]». De plus, le mouvement étant plus vigoureux à l’étranger, certains sont invités à venir goûter à la joie d’habiter dans le berceau du groupe.
Toutefois, les Bérets blancs peuvent compter sur l’appui de dizaines de milliers de sympathisants. Imaginez, leur journal est envoyé à plus d 75 000 abonnés et des centaines de milliers de tracts sont distribués annuellement. C’est d’ailleurs leur principale source de revenus. M. Geoffroy insiste ici sur l’honnêteté du groupe. Contrairement à plusieurs sectes, il ne profite pas des membres pour s’enrichir.
Cette probité et leurs idéaux traditionalistes leur valent, du reste, l’appui tacite du clergé catholique. «Ils ne sont pas rejetés par l’Église officielle.» Gilberte Côté-Mercier a ainsi reçu un certificat de la part du pape pour ses 50 années de loyaux services. Notons qu’à l’aube de ses 90 ans, l’une des mères fondatrices du mouvement «est encore fortement en selle». Mais, déjà, certaines têtes fortes commencent à préparer la relève.
Sociologue des religions et directeur de thèse de M. Geoffroy, Jean-Guy Vaillancourt ajoute quelques éléments intéressants. Entre autres, le groupe peut parfois s’adapter. Ainsi, nous savons que la télévision est l’incarnation de Satan. «Mais, il y a bien de leurs membres qui l’écoutent quand même… Ils font des concessions.»
Outre le petit écran, d’autres formes d’expression sont proscrites. «La musique moderne, c’est de la musique diabolique qui incite au péché.»
M. Vaillancourt remarque, de plus, que les relations avec l’Église ne sont pas idylliques. «Ils ne sont pas à couteaux tirés avec le Vatican… mais, ils n’aiment pas Vatican II.» Trop permissif.
Justement, au Québec, le clergé est reconnu pour être un peu plus progressiste. Il n’est donc pas étonnant, selon nos deux chercheurs, que certains de ses membres ne portent pas attention au discours des Bérets blancs. Ainsi, le porte-parole du diocèse de Québec, Jacques Côté, dit mettre aux rebuts tous les journaux qu’il reçoit. «C’est une vision extrêmement de droite, pour ne pas dire d’extrême droite.»