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Le cannabis à des fins médicales : Pusher recherché!
Santé Canada recherche un homme ou une femme pour devenir pusher officiel du gouvernement. Le but? Réaliser des essais cliniques sur les bienfaits du cannabis. Cultivateurs de pot, le temps est venu de servir votre pays!
Tommy Chouinard
Photo : Mathieu Bélanger
Oyez! Oyez! Canadiennes et Canadiens, le gouvernement fédéral a besoin d’un coup de pouce… vert. Le 5 mai, le ministère fédéral de la Santé a lancé un appel d’offres pour se trouver un pusher de pot d’ici la fin de l’été. Pas pour ses partys de bureau, mais pour des recherches qui évalueront les vertus thérapeutiques de la marijuana. Ainsi, le ministère de la Santé réalisera des essais cliniques pour traiter les malades en phase terminale ou ceux qui souffrent de maladies dégénératives, une première mondiale. Producteurs de pot, à vos plants!
Ceux qui croient être en mesure de répondre à l’appel de Santé Canada en cultivant quelques plants de pot sous des lumières IKEA dans un petit quatre et demi, oubliez ça tout de suite. Selon les critères établis par le ministère, l’entrepreneur choisi devra s’occuper de la culture, la transformation, l’entreposage, l’étiquetage et la distribution du produit. Il devra aussi réaliser des analyses de laboratoire et effectuer des contrôles de qualité de la substance. C’est du sérieux! «Il faut vraiment être une petite entreprise solide et présenter un dossier crédible, affirme Alexandre Bessette, expert cannabique de la boutique Hemp-Québec, spécialisée en matière de marijuana. Devenir le fournisseur du gouvernement, ce n’est pas accessible à n’importe qui.»
Claude prétend justement ne pas être «n’importe qui». Ce propriétaire d’une entreprise agricole de la région de Joliette a tenté sa chance auprès de Santé Canada. Dans ses bâtiments, il ne cultive pas que des poivrons, mais aussi du pot, bien caché, évidemment. Atteint de spondylarthrite ankylosante qui affecte les nerfs de son dos, il fume chaque jour entre cinq et sept grammes de marijuana pour soulager sa douleur. «Depuis que je prends du cannabis, avoue-t-il, je n’utilise plus de médicaments et je fonctionne comme tout le monde. Jamais mon médecin n’aurait pu croire ça! Donc, grâce à mon expérience personnelle, Santé Canada verra sûrement le sérieux de mon offre.»
Pusher en herb
Dans un document de quarante pages envoyé à Santé Canada, Claude a vanté les mérites de sa technique pour persuader le ministère de l’embaucher comme pusher officiel. «J’ai inventé un système révolutionnaire que j’ai appelé l’ultraponique. Mon système est trois fois plus rapide que ce qui existe présentement. Je cultive la marijuana depuis une bonne dizaine d’années. Et en plus, je suis moi-même malade et je fume chaque jour. Donc, je connais très bien la qualité du cannabis nécessaire au soulagement des malaises.»
Claude avoue toutefois qu’il ne répond qu’à 99 % des critères de Santé Canada. Le hic, c’est qu’il possède un dossier criminel depuis qu’il a été trouvé coupable d’avoir cultivé du cannabis, il y a cinq ans. «C’est une tache à mon offre, mais je crois que ce critère du ministère soulève une certaine contradiction. Santé Canada veut une personne expérimentée, mais qui n’a pas de dossier criminel. Pourtant, lorsqu’une personne a un dossier pour avoir cultivé du cannabis, cela prouve qu’elle a une certaine expérience, non?»
Malgré tout, Claude mise sur la qualité de son herbe. «Mon cannabis a un taux de THC [la substance effective du cannabis] assez élevé, au-dessus de 6 %. Je le fais pousser avec des produits naturels et non chimiques. Généralement, un plant moyen peut donner dix grammes. Avec ma technologie, il en donne vingt-cinq! J’ai aussi expérimenté les effets thérapeutiques de mon cannabis sur ma propre personne. Les résultats sont pour moi plus que satisfaisants.»
Des raisons purement humanitaires, dignes du bon Samaritain, ont poussé Claude à vouloir décrocher le prestigieux titre de fournisseur de pot du gouvernement. «J’offre mes services pour le bien des malades, souligne-t-il. Je sais ce que c’est d’avoir mal partout et de se bourrer de médicaments. Je veux donc que la recherche avance le plus vite possible. Je veux faire ma part.»
Herbe bienfaisante
Couru, le concours de Santé Canada? Selon Marc Boris Saint-Maurice, chef fondateurde la nouvelle formation politique fédérale le Parti Marijuana, l’offre de Claude fait partie d’une bonne centaine d’autres qui ont été déposées sur le bureau de Santé Canada. «Beaucoup de personnes répondent à l’appel, mais ce sont surtout des cultivateurs, et non des producteurs de cannabis, souligne Alexandre Bessette. C’est que vendre le pot sur le marché noir est très payant. Si une personne s’engage auprès du gouvernement, elle devra cesser toute activité du genre, parce que Santé Canada passerait pour le complice d’un réseau de stupéfiants. Je ne pense pas que le gouvernement souhaite projeter cette image!»
Parmi les cultivateurs intéressés, une dizaine ont contacté le Club Compassion pour plus de détails sur le cannabis médical. «Nous ne sommes cependant pas tellement impliqués dans les recherches de Santé Canada, indique Caroline Doyer, une des fondatrices du Club Compassion, un organisme qui permet à des personnes souffrantes de consommer du pot à des fins thérapeutiques. C’est un peu décevant, car la seule initiative que nous avons est la distribution de questionnaires aux malades. Nous avons pourtant une certaine expertise concernant les qualités médicales du cannabis.»
Qualités. Vertus. Effets. Bienfaits. Voilà ce que Santé Canada veut découvrir du cannabis avec ses essais cliniques. «D’après ce qu’on a vu ici et ailleurs dans le monde, note Alexandre Bessette, fumer du cannabis aide les gens atteints de glaucome à diminuer leurs douleurs aux yeux et même à conserver la vue. Aussi, les sidéens qui consomment beaucoup de médicaments finissent souvent par perdre l’appétit. Prendre du pot les aide à le retrouver. De plus, les personnes atteintes de troubles musculaires, comme la dystonie, sont régulièrement secouées de spasmes violents. Le cannabis permet de détendre leurs muscles et de réduire la douleur.»
Actuellement, une trentaine de personnes au pays peuvent bénéficier des vertus du cannabis par une exemption du ministère de la Santé qui leur permet de fumer légalement de lamarijuana. Avec les nouvelles recherches, le nombre devrait augmenter légèrement. Mais attention. Le pot offert par Santé Canada sera loin d’être gratuit: douze dollars le joint! «C’est ridicule, lance Alexandre Bessette. C’est quatre fois trop cher. Les malades sont peut-être souffrants, mais ils ne sont pas stupides! Ils vont aller sur le marché noir. Je connais même des malades qui préfèrent alors produire eux-mêmes du cannabis dans leur garde-robe.»
Pot aux roses
D’après Alexandre Bessette, les nouveaux essais cliniques de Santé Canada représentent une percée indéniable. «C’est la première fois que des recherches ne portent pas strictement sur le côté négatif du cannabis. En fait, je pense que le gouvernement se rend tranquillement compte des bienfaits de la marijuana sur le plan médical.»
Si toutes les personnes interrogées voient dans le geste de Santé Canada un pas en avant vers la reconnaissance du cannabis médical, elles déplorent cependant la lenteur du processus. «Santé Canada tarde depuis juin 1999 à lancer ses essais cliniques, affirme Caroline Doyer. De plus, les recherches vont durer cinq ans. Le gouvernement fait alors attendre injustement des malades qui ont grand besoin de soulagement.» D’après Marc-Boris Saint-Maurice, «le gouvernement se donne du temps et reste prudent, car le cannabis médical est un sujet chaud et controversé».
Que Santé Canada ait recours à un appel d’offres n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard, estime Alexandre Bessette. «Les chercheurs du gouvernement seraient capables de faire pousser du pot, mais Santé Canada ne veut pas avoir la responsabilité, comme autorité politique, de cultiver de la marijuana, une drogue douce qu’il interdit lui-même. Donc, en donnant le contrat à quelqu’un d’autre, il garde les mains blanches.» ____