Les diamants en Sierra Leone : Attraction fatale
Société

Les diamants en Sierra Leone : Attraction fatale

Depuis huit ans, les rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF) tuent et mutilent impunément en Sierra Leone. Pour financer leurs activités, ils ont pris le contrôle des mines de diamant, et écoulent leurs productions sur le marché mondial. Il y a un petit peu de nous autres là-dedans…

«Depuis la nuit des temps, les diamants sont symboles de puissance, de richesse et d’amour éternel.»
Les diamants sont éternels, www.diamant-distribution.com

«Si vous voulez connaître la valeur d’un diamant en Sierra Leone, vous devez mettre tous les bras et les jambes coupés d’un côté, et tous les diamants trouvés de l’autre, puis faire la division.»

L’homme qui se confie ainsi au journaliste de The Observer sait de quoi il parle. Il y a trois ans, Jonah Dumbuya, un enseignant sierra-léonais de vingt-trois ans, s’est fait couper le bras droit et les oreilles par des rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF). Il se promenait dans les boisés près de son village, quand un groupe armé s’est emparé de lui, et l’a plaqué au sol pour le mutiler. Qu’il s’en soit sorti vivant tient du miracle.

«De telles histoires d’horreur sont monnaie courante en Sierra Leone: les rebelles terrorisent la population afin d’alimenter un climat de peur qui leur permet de garder leur mainmise sur les richesses du pays», explique Ralph Hazleton, coauteur du rapport intitulé The Heart of The Matter: Sierra Leone, Diamonds and Human Security. Cette étude, réalisée par le groupe Partnership Africa Canada, d’Ottawa, démontre par a + b comment les troupes rebelles sierra-léonaises financent leurs activités en vendant, sur le marché mondial, les diamants extraits des mines qu’elles exploitent.

Où vont ces diamants? Ils sont pour la plus grosse partie transigés en Belgique, plaque tournante de l’industrie, où ils sont achetés par De Beers, une multinationale basée en Afrique du Sud qui contrôle 75 % du marché mondial des diamants. Une fois taillées, les pierres précieuses sierra-léonaises (parmi les plus pures de la planète) se retrouvent immanquablement au cou des personnes les plus riches du monde, de Berlin à New York, du Maxim’s au Buena Notte…

Bague ensanglantée
L’industrie du diamant a le vet dans les voiles: en 1999, les ventes mondiales de diamants se chiffraient à 5,24 milliards de dollars, une hausse de 60 % par rapport aux chiffres de 1998. Une augmentation que d’aucuns imputent à l’énorme battage publicitaire orchestré par De Beers autour du passage à l’an 2000, alors que 170 millions de dollars ont été dépensés pour faire du diamant le «cadeau idéal du nouveau millénaire». Rien qu’aux États-Unis (qui achètent à eux seuls 50 % de la production de diamants de la planète), De Beers a dépensé plus de 60 millions de dollars pour la publicité entourant la Saint-Valentin.

Quand les affaires vont aussi bien, les rebelles du RUF touchent le gros lot. Les experts estiment que la vente de diamants procure aux rebelles de 200 à 300 millions de dollars annuellement, des sommes utilisées pour acheter des armes, et payer les soldats – des dépenses que même le gouvernement de Sierra Leone ne peut assurer pour sa propre armée! Avec cette faramineuse entrée d’argent, le RUF, qui n’était qu’un petit groupe de quatre cents volontaires il y a quelques années, est aujourd’hui devenu une puissante organisation de vingt mille soldats rémunérés, entraînés à tuer et à terroriser la population civile. Résultat: depuis huit ans, plus de soixante-quinze mille personnes ont perdu la vie, et plus de cent mille autres ont été mutilées dans ce pays qui arrive en dernière place de l’index du Développement humain de l’ONU, le même index qui classe le Canada en première position des pays du globe…

Faudrait-il alors faire pression pour que De Beers cesse d’acheter des diamants en Sierra Leone? «Le hic, c’est que sur papier, la Sierra Leone n’exporte pratiquement aucun diamant! explique Ralph Hazleton. Depuis 1980, De Beers, a fermé ses bureaux en Sierra Leone, et en a ouvert de nouveaux au Liberia, le pays voisin, qui possède peu de ressources diamantaires. Les rebelles traversent la frontière illégalement pour vendre leurs diamants en territoire libérien, et ceux-ci se retrouvent ensuite sur le marché mondial.»

Même si les mines libériennes ne peuvent produire que de 100 000 à 150 000 carats par année, personne ne s’est étonné que ce pays ait exporté, entre 1994 et 1998, plus de six millions de carats annuellement, soit soixante fois sa capacité de production! Un éléphant caché sous un brin d’herbe…

«Le Liberia est devenu une plaque tournante pour les diamants illégaux, le trafic d’armes, le blanchiment d’argent et le crime organisé, peut-on lire dans le rapport de Partnership Africa Canada. Ses exportations astronomiques de diamants sont sans commune mesure avec ses ressources intérieures. En acceptant d’acheter des diamants au Liberia, l’industrie internationale du diamant cautionne les crimes commis ou permis par le gouvernement libérien.»

Achetez canadien!
Serait-il alors souhaitable de carrément boycotter l’industrie du diamant? «Les diamants qui proviennent des zones de conflits comme la Sierra Leone ou encore l’Angola ne représentent qu’une infime partie de tous les diamants qui sont sur le marché, précise Ralph Hazleton. Mais ce n’est pas une excuse pour ne rien faire, puisque pour ces pays, les diamants constituent véritablement le coeur du problème. En Europe, plusieurs organismes non gouvernementaux (ONG) ont instauré des campagnes d’information. Mais leur objectif est d’éduquer les consommateurs, et non d’attaquer l’industrie du diamant. Nous voulons faire en sorte que l’industrie devienne plus responsable, qu’elle mesure l’impact des gestes qu’elles pose en achetant des diamants de tel ou tel pays.»

Dominique Morency, du Service des communications de la bijouterie Birks, explique que la provenance des diamants est impossible à déterminer. «Actuellement, l’industrie ne possède aucun moyen de retracer l’origine des diamants. Quand Birks reçoit un diamant, celui-ci est accompagné d’un certificat qui en indique la qualité, mais pas la provenance. C’est pourquoi nous insistons beaucoup pour promouvoir les diamants canadiens, qui sont les seuls dont nous pouvons garantirla source.»
Dans une entrevue accordée au webzine Shewire.com, Andrew Lamont, porte-parole de De Beers, brosse un tableau plus dramatique de la situation. «Boycotter l’industrie du diamant, c’est mettre en péril la vie de millions de personnes qui vivent et travaillent honnêtement. Par exemple, quand De Beers y a ouvert une mine dans les années soixante, le Botswana était un des pays les plus pauvres du monde, alors qu’aujourd’hui, il compte parmi les pays les plus riches d’Afrique. Mettez-vous dans la peau d’un enfant botswanais: que va-t-il devenir si vous lui enlevez la seule ressource qui fait vivre son pays?»

«L’industrie doit devenir plus transparente, explique Partnership Africa Canada en conclusion de son rapport. Elle doit également réagir rapidement, puisque la survie de milliers de personnes en dépend. L’idée n’est pas de détruire l’industrie, mais plutôt de l’asseoir sur des bases justes et solides. À ce titre, une Commission internationale du diamant chapeautée par l’ONU doit être instaurée pour veiller à ce que les gouvernements et l’industrie prennent leurs responsabilités.»

La mondialisation de l’équité? Ce ne sont pas les Amis de la tortue ou le Syndicat des gros bras qui vont s’y opposer…