L'unité de la gauche : Électrochoc
Société

L’unité de la gauche : Électrochoc

Ce week-end, de nombreux groupes progressistes (allant des écolos aux marxistes-léninistes) se sont réunis afin d’unir leurs forces. On a scandé les slogans habituels, sorti la liste d’épicerie, et échangé sur la révolution russe. Mais on a aussi discuté des moyens à prendre pour agir concrètement.

Après les congrès du Parti québécois et du Parti conservateur, voilà que la gauche vient de conclure le sien. La fin de semaine dernière, quelque 550 marxistes, syndicalistes, anarchistes, écologistes, socialistes et citoyens se sont réunis pour le Colloque sur l’unité de la gauche politique et des forces progressistes québécoises, organisé par le Rassemblement pour l’alternative politique (RAP). Un tel ralliement de la gauche ne s’était pas vu depuis belle lurette. Pourquoi un brainstorming collectif? Pour trouver un moyen d’unifier la gauche dans une lutte commune contre le néolibéralisme. Mission impossible? Pas du tout, foi des participants.

«Face au néolibéralisme, un projet de société alternatif: la nécessité de l’unité de la gauche politique et des forces progressistes.» Le thème évasif du colloque peut se traduire en d’autres termes: fini le niaisage! Une bonne fois pour toutes, la gauche veut cesser d’être… gauche. «Nous sommes maladroits en étant divisés depuis des années, affirme Paul Cliche, membre du RAP et un des organisateurs du colloque. Nous avons cru que c’était une nécessité de regrouper les partis politiques de gauche, les forces progressistes et les groupes communautaires pour discuter d’une offensive que nous pourrions mener de front, au lieu de rester chacun de notre côté à tenter de régler nos petites affaires.»

Pendant une bonne partie du colloque, toutefois, les participants aux différentes tables rondes s’en sont tenus isolément à des discours minimalistes quasi éculés. «La mondialisation appauvrit les pauvres!», «Les ressources naturelles sont dilapidées!», «Les services sociaux sont exécrables!», «C’est la faute aux capitalissssses!» Rien de neuf sous le soleil. Et c’est sans compter la longue liste d’épicerie de revendications, et les leçons d’histoire sur la révolution russe et les combats syndicaux des années soixante et soixante-dix… Déjà vu, ou plutôt entendu.

«Nous voulons des discours concrets», ont lancé des citoyens impatients afin de rovoquer de vrais débats. Ce qui était jusqu’alors une thérapie de groupe s’est transformé en réflexion pratico-pratique. Chaque participant a alors tenté de démontrer par A + B comment les courants de la gauche, actuellement divisés, pourraient s’additionner pour multiplier les attaques contre le néolibéralisme et l’empêcher ainsi de se soustraire à la critique. Les calculs diffèrent. Les opinions aussi.

L’oeil de la vache
Depuis les heures glorieuses de la Révolution tranquille, la gauche se remet en question dans une espèce de crise de la quarantaine. «Elle est en plein bouleversement, estime Michel Chossudovsky, professeur d’économie politique à l’Université McGill et conférencier invité. Au Québec, la gauche est fragmentée, peu écoutée et incapable d’accéder au pouvoir. Le néolibéralisme occupe le haut du pavé. Une voix dissidente à ce discours est à peine perceptible.»

Alors que la gauche dort profondément, la droite danse allègrement. Un véritable tango se mène du côté de l’Alliance canadienne, le nouveau parti-phare de la droite, qui se lance dans une campagne de séduction coast to coast. «Au Canada et au Québec, la droite ne connaît pas de contre-poids idéologique car aucune riposte ne provient de la gauche, s’indigne Jean-Yves Desgagné, porte-parole du Front des personnes assistées sociales du Québec. J’ai l’impression que la gauche est dépolitisée, éloignée de la base de la population, constamment sur la défensive et incapable de défendre des revendications communes. Il est temps d’agir.»

Grande perdante de la montée de la droite, la gauche sombre dans l’immobilisme. Comme une vache dans un champ, constatent plusieurs, la gauche regarde passer le train néolibéral en ruminant quelques vaines idées de révolution. «Nous sommes peu actifs de nos jours, précise François Saillant, coordonnateur du Front d’action populaire en réaménagement urbain. La gauche a laissé passer bien des batailles, telle celle contre les ravages causés par la lutte au déficit zérodu gouvernement. Aujourd’hui, il continue donc de sévir sans que personne ne réagisse.»

Même lorsqu’elle ose sortir du placard, la gauche est vite muselée. «Il faut s’inquiéter du fait que les manifestations de la gauche soient victimes de répression, indique Sébastien Rivard, porte-parole d’Opération SalAMI. C’est un signe que notre discours est bafoué.»

Au sombre portrait de l’état actuel de la gauche s’ajoute une triste réalité. Aux dernières élections provinciales, l’ensemble des partis de gauche présents au colloque ont récolté… à peine 1 % des voix. «C’est un vrai flop, lance Paul Cliche. Il faut se ressaisir au plus vite. Le colloque permet d’ailleurs une prise de conscience des problème actuels et des solutions envisageables.»

Un nouveau parti?
Pour extirper la gauche du marasme ambiant, les propositions foisonnent. Ce ne sont pas les idées et l’enthousiasme qui manquent. Le «projet de société alternatif» connaît bien des variantes: coalition, mouvement, plate-forme, parti, union, association… «La gauche veut intégrer le système électoral en pensant pouvoir le changer par la formation d’un parti unique, affirme Michel Chossudovsky. C’est une grave erreur. Ce n’est pas d’un parti politique dont on a besoin. Il faut un mouvement social qui créerait un pouvoir parallèle en dehors du gouvernement.»

À l’opposé, le RAP, qui deviendra un parti politique provincial au mois de novembre, prône la voie électorale. Selon ses partisans, grâce à un parti commun, seule avenue possible pour prendre des décisions sur l’échiquier politique, la gauche gagnerait en visibilité et en importance au moment des élections.

Sans vouloir se fondre dans une formation politique commune, d’autres veulent plutôt s’unir dans des actions conjointes afin de préserver la couleur et l’autonomie de chaque groupe. «Nous pourrions ensemble créer une plate-forme politique qui pourrait intervenir sur des enjeux importants comme la santé, l’éducation, l’environnement et la question nationae», propose André Parizeau, président du Parti communiste du Québec. Même son de cloche chez le Syndicat de la fonction publique du Québec et le Parti Vert. «En réalisant ensemble des actions concrètes, nous pourrions lutter avec force contre des décisions du gouvernement et obtenir une plus grande crédibilité auprès du public», précise Paul Rose, chef du Parti de la démocratie socialiste.

Parti unique ou pas, tous s’entendent pour dire que l’union de la gauche passe par une mobilisation sociale. Reste à savoir comment. Selon Paul Cliche, «le colloque sur l’unité n’est après tout qu’un début». Le début de quoi? Personne ne le sait trop encore. Mais une chose est sûre: la gauche sort de sa torpeur. D’ailleurs, les groupes communautaires et les partis politiques présents au colloque se réuniront à nouveau ce dimanche, le temps d’un post mortem. Histoire de concrétiser la résistance.